Bonjour
Il aura donc fallu quatorze ans pour lever le voile sur une publication scientifique qui vantait sans nuances les vertus de cet antidépresseur. Une affaire exemplaire qui devrait faire école pour imposer une réelle transparence aux firmes pharmaceutiques sur leurs essais cliniques.
La paroxétine est un antidépresseur bien connu des médecins et très fréquemment prescrit. Pourtant, un article du British Medical Journal remet aujourd’hui sérieusement en cause son efficacité. Commercialisé en France sous le nom de Deroxat® (4,24 € les 14 comprimés) depuis le 19 février 1995, on le trouve actuellement vendu sous vingt-et-une présentations différentes. Son succès commercial durable tient notamment à l’étendue des indications que son fabricant a pu (sur la foi d’essais cliniques qu’il a lui-même mené) officiellement obtenir des autorités en charge des médicaments:
« Troubles obsessionnels compulsifs (pensées répétitives, obsessionnelles avec comportement incontrôlable); trouble panique (attaques de panique, y compris celles causées par la peur des lieux publics, l’agoraphobie); trouble anxiété sociale (peur ou rejet de situations où vous devez être en société); état de stress post- traumatique (anxiété causée par un événement traumatique); anxiété généralisée.»
Les médicaments contenant de la paroxétine appartiennent à la classe des «inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine» (ISRS).
« Les personnes souffrant de dépression ou d’anxiété présentent un taux de sérotonine (substance présente dans le cerveau) diminué, explique le site du gouvernement sur les médicaments. Le mécanisme d’action de Deroxat® et des autres ISRS n’est pas complètement connu, mais ils augmenteraient le taux de sérotonine dans le cerveau. Bien traiter votre dépression ou votre trouble anxieux est important pour vous aider à vous sentir mieux.»
Déboires
Lancée sur le marché en 1992 par le groupe pharmaceutique britannique GlaxoSmithKline la paroxétine a très vite rencontré un vif succès chez les prescripteurs. Aux États-Unis, comme au Royaume-Uni, cette spécialité a connu plusieurs déboires retentissants à la suite d’actions en justice menées notamment après la découverte d’effets secondaires parfois graves (tendances suicidaires et passage à l’acte) –en particulier lors de prescriptions chez des enfants et des adolescents.
Plusieurs travaux ont ensuite démontré que chez les mineurs la paroxétine n’était pas plus efficace pour traiter la dépression qu’un placebo et que le rapport risque-bénéfice n’était pas en faveur de cette molécule. Ces polémiques n’ont guère eu d’écho en France où cette molécule est largement connue des prescripteurs (l’Agence nationale du médicament n’est étrangement pas en mesure de préciser la part des volumes consommés qui correspond à des prescriptions pédiatriques).
Aujourd’hui l’«affaire paroxétine» rebondit dans le monde anglo-saxon (comme en témoignent la couverture du New York Times , du Guardian ou du Scientific American) après les accusations du British Medical Journal.
Brutes
Ces accusations résultent d’un travail original mené par un groupe international dirigé par Joanna Le Noury (université de Bangor, pays de Galles). Tout se passe comme s’il avait fallu attendre quatorze ans pour découvrir les coulisses d’une entreprise déguisée de promotion de ce médicament. Cette histoire est racontée dans le détail par Hervé Maisonneuve sur son blog «Rédaction médicale et scientifique».
L’affaire commence en 2001 avec une publication dans la revue spécialisée Journal of The American Academy of Child and Adolescent Psychiatry. Il s’agit d’un essai comparant la paroxétine et l’imipramine (un antidépresseur d’une autre famille) chez 275 adolescents souffrant d’une dépression sévère, et suivis pendant huit semaines (study 329). Conclusion: «La paroxétine est généralement bien tolérée et efficace dans la dépression sévère de l’adolescent.»
«Les contestations sont nombreuses et récurrentes quant aux conclusions de cet essai, et ce, pendant de nombreuses années, rappelle Hervé Maisonneuve. Puis vient le démarrage du projet RIAT (Restoring Invisible and Abandoned Trials, ndlr) pour analyser des essais abandonnés et/ou posant problèmes. Après de nombreuses difficultés pour avoir accès aux données une nouvelle analyse de 77.000 pages des ‘’case report forms’’ transmis par GlaxoSmithKline. Suit alors le travail majeur d’une équipe internationale et publication dans le BMJ le 16 septembre 2015.»
Mises en garde
Or, la conclusion est radicalement différente de celle de 2001: «Ni la paroxétine, ni les hautes doses d’imipramine n’ont montré une efficacité pour la dépression sévère des adolescents, et une augmentation des risques a été observée avec les deux médicaments.»
Pour Hervé Maisonneuve comme pour les observateurs indépendants des publications médicales et scientifiques concernant les médicaments, il s’agit là d’un travail remarquable. Tout est accessible à partir d’un site dédié mis en ligne par le BMJ; «Restoring study 329». La revue médicale britannique est cinglante vis-à-vis de GlaxoSmithKline comme vis-à-vis de l’ensemble du système:
«Pas de correction, pas de rétractation, pas d’excuses, pas de commentaires : cette ré-analyse pose des questions sur les responsabilités institutionnelles.»
Juge et partie
De fait, cette affaire exemplaire dépasse le seul cas de la paroxétine.
«L’accès aux données brutes des essais cliniques doit devenir obligatoire, nous a déclaré le Pr Bernard Granger (service de psychiatrie, hôpital Tarnier-Cochin, Paris). Il est anormal que l’analyse statistique soit effectuée par le laboratoire pharmaceutique (juge et partie) et il est indispensable que des chercheurs indépendants (ou hostiles, comme c’est le cas ici) puissent la mener de leur côté. Pour ce qui est de cette étude il faut préciser qu’il ne s’agissait pas d’une population représentative d’adolescents déprimés: ils n’avaient pas été tirés au sort mais choisis selon des procédures et avec des critères d’exclusion particuliers.
Comme dans les autres essais cliniques d’antidépresseurs, l’existence d’idées suicidaires est un critère d’exclusion pour des raisons éthiques. Ceci montre bien que la communauté scientifique n’admet pas que l’on traite des adolescents suicidaires par un placebo! Nous touchons là les limites des études en double aveugle contre placebo dans la dépression et les généralisations abusives et scientifiquement non fondées auxquelles elles donnent lieu.»
Impossible transparence
En France, depuis 2007 de nouvelles mises en garde ont été ajoutées dans les notices des spécialités pharmaceutiques à base de paroxétine. Elles concernent l’augmentation du risque de malformations congénitales majeures (et aussi d’hypertension artérielle pulmonaire) chez les enfants de mère traitée par la paroxétine pendant le premier trimestre de grossesse. Une rubrique «mises en garde spéciales et précautions d’emploi» a également été ajoutée. Elle alerte sur «l’augmentation du risque suicidaire chez les adultes jeunes traités par paroxétine et notamment ceux atteints de troubles dépressifs majeurs».
Il reste maintenant à connaître les chiffres de vente de la paroxétine en France, leur évolution et la part des prescriptions concernant les mineurs. Cette transparence semble, fort malheureusement, pratiquement impossible à atteindre.
A demain
Ce texte a initialement été publié sur Slate.fr
Pourquoi ne pas preciser que le Deroxat n’avait pas l’AMM pour les populations pediatriques en France ?
Bonjour,
Je vous cite :
« La paroxétine est un antidépresseur bien connu des médecins et très fréquemment prescrit. Pourtant, un article du British Medical Journal remet aujourd’hui sérieusement en cause son efficacité. »
Voilà exactement le type de propos qu’il est dangereux de tenir ! Vous vous insurgez souvent contre les effets d’annonce médiatiques, mais vous faites de même.
L’article du BMJ ne remet pas en cause son efficacité, il reprend les données de GSK, et arrive à des conclusions très différentes concernant une population bien particulière : les adolescents. Il n’est pas douteux aujourd’hui que cette étude soit de très mauvaise qualité ainsi que le démontre très bien le travail publié dans le BMJ, pour autant ce travail n’invalide absolument l’utilisation de la paroxétine dans les cas de dépressions graves.
La méta-analyse publié dans le Lancet début 2018 : Lancet 2018; 391: 1357–66, remet bien les pendules à l’heure. La conclusion est que la paroxétine n’est pas plus active qu’un placebo et peu présenter des effets secondaires graves dans les cas de pseudo-dépression (score d’Hamilton 20).
D’autre part dès 2003 l’AFSSAPS dans un CR de juin, indiquait que les seuls INRS indiqués chez le mineur étaient : la sertaline et la fluvoxamine, et ce en cas de TOC et nullement de dépression. Les prescriptions de paroxétine chez les mineurs était donc faites hors AMM et sous la seule responsabilité du prescripteur !
Le problème MAJEUR de la médecine en France est que les généralistes font n’importe quoi et prescrivent n’importe quoi : combien de tonnes de fluidifiants des sécrétions bronchiques ont été prescrites alors que ces molécules sont sans utilité, idem pour les anti-tussifs ?!!