Bonjour
On avait (presque) oublié que le Comité consultatif national d’éthique existait. Il vient de publier, sur son site internet, un document étonnant intitulé : « Repenser la place de l’humanité dans la nature ». C’est, tout simplement, sa « contribution du à la réflexion dans le contexte de la 21ème conférence sur les changements climatiques (COP21) ». On observera que les « sages » du ‘’CCNE’’ ont jugé utile de ne pas mettre de majuscule à la Nature. Une volonté consubstantielle de désacraliser ? Une erreur de relecture ?
Que peut nous dire ici l’éthique, cette morale en marche, sur les changements climatiques ? Tout est exprimé entre les lignes de l’introduction :
« La multiplication des évènements météorologiques et climatiques extrêmes fait prendre conscience des changements de l’environnement à l’échelle planétaire et de leurs liens avec les activités humaines. Mais cette prise de conscience demeure le plus souvent focalisée sur le seul changement climatique, sans prendre en compte l’ensemble des conséquences négatives des dégradations de l’environnement sur les conditions de vie, les inégalités sociales et la santé humaine. »
Bien-être humain
C’est un texte étonnant par sa brièveté, ses généralités hors-sol, son absence de propositions concrètes. Conclusion :
« Il y a urgence à intensifier les efforts de l’humanité pour réduire les inégalités entre les pays et entre les personnes au sein d’un même pays, en adoptant des mesures qui préservent le bien-être humain et protègent l’environnement au-delà de sa seule composante climatique.
Pour le CCNE l’acuité des problèmes écologiques nécessite de repenser nos relations au sein de l’humanité, et celles de l’humanité au sein de la nature, en élaborant de nouveaux concepts de solidarité, de responsabilité et d’équité, dans une démarche d’anticipation et de prévention privilégiant la préservation des ressources naturelles au bénéfice de l’ensemble de l’humanité. »
Avides de comprendre
Cette initiative apparaît d’autant plus désincarnée que le CCNE avait, avec les controverses sur le réchauffement climatique (le « climatoscepticisme ») un vaste champ de réflexions dont il pouvait s’autosaisir pour éclairer les responsables politiques et les citoyens soucieux, parfois avides, de comprendre.
Il aurait pu, notamment, répondre à la question provocatrice soulevée dans Le Monde du4 novembre : « Le climatoscepticisme relève-t-il de la science ? ». Une question soulevée par Philippe Huneman (directeur de recherche, Institut d’histoire et de philosophie des sciences et techniques CNRS/université Paris-I-Panthéon-Sorbonne). Un texte repris et complété sur Slate.fr. Poser le débat en ces termes c’est, déjà, répondre. De fait M. Huneman ne surprend pas. Il apporte sa voix à celles qui, dans ce même quotidien, ont clairement pris position dans cette nouvelle guerre.
Architecture argumentaire
Il faut bien évidemment lire la totalité de la tribune de M. Huneman. La conclusion permet toutefois de se faire une bonne opinion sur l’architecture argumentaire qui se met en place dans cette dispute : Voici la fin de cette contribution :
« (…) Pour conclure, les positions climatosceptiques sur le fait du changement climatique relèvent souvent de la non-science. Peu ou prou, elles ressemblent à l’avis de l’homme ordinaire soutenant qu’il n’y a aucun réchauffement car il a fait singulièrement froid en novembre 2014 à Paris (aucune prédiction climatique – par nature probabiliste et à grande échelle – n’est infirmée ni même concernée par un tel fait local instantané).
Le discours climatosceptique sur la cause de ce fait, lui, relève souvent davantage de la science fausse, comme dans mon exemple des perturbations solaires. Il est donc réfutable, à condition de l’isoler des éléments non scientifiques qui, comme tels, restent irréfutables.
Le mouvement climatosceptique est difficile à saisir car, par certains côtés, il est effectivement non scientifique, tandis que par d’autres il défend des thèses scientifiques fausses. Il est à la fois dans la science et en dehors d’elle. Ce statut ambigu lui confère une singulière aptitude à fuir les critiques : là où on vient réfuter une thèse fausse, le climatosceptique peut se replier vers une position où il rejette en bloc la science et ses procédures usuelles, auxquelles souscrivent la majorité des climatologues, et là où on lui reproche d’être antiscientifique, il peut facilement se défendre en montrant qu’il use des mêmes méthodes que les scientifiques du climat, donc que le consensus scientifique que politiques et journalistes présentent comme un fait n’en est pas un… »
Journalisme idéal
On relit cette dernière phrase et ses points de suspension. Et on ne peut manquer d’être troublé par l’idée que « politiques et journalistes présentent comme un fait » un « consensus scientifique » – consensus par ailleurs contesté. On pourrait imaginer, dans un monde idéal, une plus grande liberté d’action pour le journaliste. Songer à une époque où le sceptique, interrogeant sans cesse le niveau de véracité, demandent plus de preuves, stimulant ainsi le scientifique dans sa quête perpétuelle de déchiffrage du réel. On pourrait même, dans ce monde parfait, imaginer que le journaliste joue le rôle du sceptique.
« L’agence de presse Associated Press a récemment décidé de remplacer le terme de «sceptique», jugé péjoratif, par celui de personne qui doute («doubter»), nous apprend Slate.fr. Réhabiliter les sceptiques comme des interlocuteurs dignes d’être écoutés ou estimer que leur présence apporte au débat scientifique plus qu’elle ne lui nuit est cependant valable dans un monde où chaque participant est de bonne foi, et recherche vraiment la vérité, fait remarquer dans The Guardian, le spécialiste de l’environnement Dana Nuccitelli. En un mot, quand les règles de l’éthique de la discussion résumées par le philosophe Jürgen Habermas sont respectées. »
Est-ce, ici, le cas ? Chacun peut en débattre, mais, malheureusement, sans les lumières du Comité national d’éthique français. Un CCNE qui a préféré, ici, la stratosphère à la dispute, cette « discussion sur un point de théologie, de philosophie ou de science ». Ou d’éthique.
A demain