Bonjour
C’est un phénomène hors norme qui de développe sous nos yeux : la naissance d’un syndrome médiatique ; le « syndrome du procureur de la République de Paris ». Et ce procureur porte un nom : François Molins, né le 26 août 1953 à Banyuls-dels-Aspres (Pyrénées-Orientales).
Une carrière de magistrat exemplaire : substitut ou procureur successivement à Carcassonne, Montbrison, Villefranche-sur-Saône, Bastia, Lyon, Angers. Puis, enfin, Paris. Chef de service à la Direction des affaires criminelles et des grâces de la Chancellerie, procureur de la République de Bobigny, directeur de cabinet du ministre de la Justice (Michèle Alliot-Marie ). Puis, en novembre 2011, il est nommé avocat général près la Cour de cassation pour exercer les fonctions de procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris.
Cris des syndicats de magistrats qui jugent « malsain » qu’un directeur de cabinet du garde des Sceaux devienne procureur de Paris, premier tribunal de France, estimant que ses décisions seraient entachées de suspicion. De fait les précédents ne manquaient pas.
Idole contre nature
Quatre ans plus tard, et contre toute attente, François Molins est devenu une forme d’idole contre nature des journalistes parisiens. L’affaire a commencé avec un papier aussi remarquable que paradoxal. Le papier one shot qui confère d’emblée à son auteur une célébrité que peinent parfois à atteindre bien des auteurs d’éditoriaux à répétition. Nous parlons ici de Johan Hufnagel, directeur délégué de Libération 1. Voici le texte de sa tribune :
« Monsieur le procureur François Molins, je vous aime
Il y a quelques heures, quand j’ai appris qu’Abdelhamid Abaaoud faisait partie de la liste des jihadistes abattus lors du raid de la police à Saint-Denis, j’ai espéré que nous allions nous retrouver pour un point d’explication. Vous n’imaginez pas ma déception quand j’ai appris que Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur, allait s’en charger.
C’est bizarre, j’en conviens : en général, quand vous apparaissez sur nos écrans, c’est que ça ne va pas fort. Je crois que la première fois que je vous ai vu à la télévision, c’était pendant l’affaire Merah. Depuis, il y a eu Charlie, Vincennes, et l’attaque du Thalys. Depuis il y a eu, aussi, vendredi. Autant vous dire que ça ne va vraiment pas fort. Et pourtant, il faut bien avouer que ça me fait un bien fou de vous voir. Je ne suis pas le seul à attendre le point presse du proc’. Quand on vous voit apparaître, la rédaction se fige, «Chut, Molins, ça commence.» On augmente alors le volume et on écoute, en communion. Imaginez, François, une rédaction, de gauche, suspendue à la parole d’un procureur…
C’est quoi votre truc ? OK, il y a ce léger accent pyrénéen, la précision du vocabulaire (je ne sais pas où vous êtes allé chercher «l’appartement conspiratif» de Saint-Denis, mais là, chapeau), le phrasé, le regard, la coupe de cheveux toujours impeccable. Rassurant, terrien, pro. Mais surtout, vous avez une façon bien à vous de mettre des mots sur l’horreur et des mots qui nous apaisent. Ultime oxymore, mais logique, après tout.
Dans un monde qui semble s’écrouler, vous apparaissez comme un point de repère, familier qui va séparer la rumeur de l’info, tuer l’abus de conditionnel des chaînes d’infos, rejeter le trop-plein de spéculations. Vous savez remettre de la chronologie là où il n’y a que chaos. Vous savez mettre du sens là où le sens a disparu, là où les politiques et certains experts autoproclamés ajoutent de la confusion. Oh, on sait bien François, que de temps en temps, vous ne nous dites pas tout. Ça fait partie du jeu. Nous aussi, on a nos sources.
Mais merci pour ces moments de transparence. Et j’espère, mon cher François, de tout cœur, ne plus vous revoir dans ces circonstances. »
Sartre Jean-Paul et July Serge
Effet de souffle garanti. Avec, en prime, un effet coup de jeune paradoxal garanti chez des jeunes qui n’ont jamais su que Libé fut porté sur les fonds baptismaux par Jean-Paul Sartre bras dessus bras dessous avec un journaliste nommé Serge July.
Effet de souffle et de contagion. Le Canard Enchaîné se moque gentiment du confrère et conclut d’un «Merci de continuer cette conversation sur Meetic» du meilleur effet pour qui connaît l’auteur (et Meetic). Le Monde publie un long portrait à la gloire, ou presque, de François Molins…. L’affaire est partie. Comprenons-nous : le directeur délégué de Libé n’est pas le créateur du phénomène mais il a, le premier au bon moment et au bon endroit, allumé une mèche qui ne demandait qu’à prendre. Il a senti le vent, humé l’ait du temps, anglé son sujet et cristallisé son objet. Et aujourd’hui la boucle se ferme avec le papier de Vincent Glad, que publie Slate.fr – non pas sur François Molins mais bien sur le syndrome François Molins : « Pourquoi les journalistes idolâtrent le procureur Molins ». L’ombre portée, en somme, du papier de Libé 2 :
« Il y a un sacré paradoxe à voir Libération, rédaction de gauche, célébrer la parole d’un procureur. Mais le directeur délégué de la rédaction y voit un pôle de stabilité dans un monde dévasté (…) Tout se passe comme si les conférences de Molins signaient la fin de la récré médiatique. Le procureur ramasse les copies journalistiques —toutes ces indiscrétions parfois contradictoires sorties dans la presse les jours précédents— et assène froidement sa version des événements, linéaire, cohérente, qui souvent piétine les infos sorties précédemment. Plus rien n’existe alors, autre que cette parole officielle, reprise dans tous les médias.
« D’ordinaire, c’est l’inverse. Les sources officielles parlent, les journalistes doutent et les médias ont la parole finale. Mais les attentats du 13 novembre sont une affaire si complexe qu’aucun journaliste ne peut embrasser seul tous les événements. Par la précision de son exposé, et la confiance qu’il inspire, le procureur Molins a en quelque sorte pris la place de l’AFP, comme source dont toute la presse s’abreuve. »
ORTF et Mediapart
Le procureur Molins incarne-t-il le fantasme d’un retour à l’ORTF ? Qui se souvient encore de ce dernier ? On peut raisonnablement en douter. De même que l’on peut sourire quand Vincent Glad plaisant en écrivant que s’il était journaliste, le procureur Molins travaillerait à Médiapart (sic). Bref, François Molins est devenu une icône magnétique médiatique, une presque pythie de la République.
Dans quelque mois, dans quelques années, ce sera un phénomène que décrypteront les écoles de journalisme. On se demandera si cette fascination tenait au fait que ce procureur apparut un instant « comme l’antidote anti-flux des journalistes qui se sont perdus dedans, noyés dans un déluge d’information, entre BFMTV et Twitter ». Le jeune Vincent Glad, sur Slate.fr, parle comme un vieux briscard :
« François Molins est le pendant médiatique de l’état d’urgence. Bien sûr, il est absurde de boire la parole d’un procureur, comme il est dément d’autoriser des perquisitions sur la foi de quart de renseignement, mais, dans ces circonstances exceptionnelles, les lignes bougent. La voix officielle apparaît plus rassurante qu’un concert de dissonances. L’écosystème médiatique moderne est une démocratie trop bruyante qui encourage un retour à la parole unique, sûre, étatique.
« La passion des journalistes pour le procureur Molins chez les journalistes apparaît comme un désaveu de leur propre métier, comme une nostalgie d’un temps révolu: une parole rare et sûre, ne s’exprimant jamais dans l’urgence et débarquant toujours avec trois scoops sur la table. »
Sanctification médiatique
Qu’en sera-t-il demain ? Les guignolades télévisées et les imitateurs patentés vont-il oser s’emparer de François Molins, abîmer l’homme et entacher sa fonction ?
En marge de la sanctification médiatique de François Molins il faudra s’interroger sur le phénomène Marc Trévidic, 50 ans. Nommé en mai 2006 juge d’instruction au pôle antiterrorisme au tribunal de grande instance de Paris l’homme est connu pour avoir instruit de nombreuses affaires parmi lesquelles l’ attentat du 8 mai 2002 à Karachi et l’assassinat des moines de Tibhirine. En dépit de ses compétences et de son savoir-faire unanimement salué il a dû quitter ce poste en septembre 2015 (le statut de la magistrature qui limite à dix ans la durée de fonction dans certaines fonction spécialisées, dont celles de l ‘instruction). Il a publiquement déploré n’avoir pu, de ce fait, aller au bout des affaires des moines de Tibhirine et de Karachi. Il a été nommé, « en avancement » premier vice-président au tribunal de grande instance de Lille.
Depuis les attentats de Paris du 13 novembre Marc Trévidic est omniprésent dans les médias, télévisés notamment. Il explique, critique, dénonce les failles et les lourdeurs du système. Au risque d’être bientôt broyé par la monstrueuse machinerie médiatique. Sauf à imaginer que son marathon médiatique génère un mouvement d’opinion qui le feront quitter Lille pour, par la grâce d’un exécutif inquiet, revenir à Paris et aux affaires terroristes. Et ne plus parler.
A demain
1 Disclaimer : Johan Hufnagel est l’ancien rédacteur en chef de Slate.fr, site auquel nous collaborons depuis sa création.
2 Disclaimer : L’auteur de l’article de Slate.fr précise qu’il collabore par ailleurs à Libération