Bonjour
Le médicament fait vendre. Le dénoncer aussi. Après bien d’autres « 60 Millions de consommateurs » remet l’ouvrage sur le métier. Il le fait dans un opuscule spécial, sorte d’almanach pour prévenir et traiter les petits maux hivernaux (5,90 euros). « Grippe, rhume, toux, troubles digestifs… Se soigner sans ordonnance ». Avec une « exclusivité » : « la liste des médicaments dangereux ». Et un paradigme en prime : « Pas besoin d’un marteau pour écraser une mouche ! ».
Au crible : soixante-et-un médicaments à prescription médicale facultative, parmi les plus vendus en pharmacie d’officine. La liste des best sellers ? Elle a été fournie par des pharmacies-gros volumes (la pharmacie Prado-Mermoz à Marseille et la pharmacie de la Gare à Roissy-en-Brie). Données croisées avec celles de l’Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable (Afipa). Puis un travail sur lequel aucune précision n’est donnée et qui a été mené « sous le contrôle » du Pr Jean-Paul Giroud, pharmacologue clinicien, membre de l’Académie de médecine, et d’Hélène Berthelot, pharmacienne et experte auprès de la Haute Autorité de Santé. Rien n’est vraiment dit des liens et autres conflits d’intérêts.
Verdict : sur les soixante-et-un « testé »n vingt-huit sont « à proscrire en raison d’une balance bénéfice/risque défavorable en automédication. « Certains produits contiennent des substances qu’on ne devrait tout simplement pas associer », estime Jean-Paul Giroud.
A privilégier : Clarix toux sèche® , Humex adultes toux sèche®, Atuxane toux sèche®, Vicks Vaporub® , Vicks Imodiumcaps® , Gaviscon menthe®, Maalox sans sucre®, Tussidane®, Forlax 10 g®, Psyllium Langlebert®, Calyptol inhalant®, Perubore Inhalation®. Sans oublier la célèbre Essence algérienne® des Laboratoires Gerda malgré ses dérivés terpéniques et son prix « exorbitant » (7 euros le flacon de 20ml).
A proscrire : Parmi les vingt-huit on trouve Actifed Rhume Jour & Nuit® de Johnson & Johnson ? Les deux experts affirment que « derrière le concept marketing, l’association paracétamol-pseudoéphédrine-diphénhydramine décuple les risques, déjà nombreux d’accidents cardio-vasculaires, neurologiques ou psychiatriques ». Mêmes accusations pour Rhinadvil Rhume ibuprofène et pseudoéphédrine® (Pfizer) : « Une liste à rallonge de contre-indications, d’effets indésirables et d’additifs indésirables (dont les parahydroxybenzoates) fait que ce médicament ne peut qu’être formellement déconseillé pour un simple rhume ». Sans oublier le célèbre Drill Miel Rosat® des Laboratoires Pierre Fabre : on ne dira jamais assez à quel point ces pastilles exposent au risque de fausse route (sic).
Attaque opportuniste
« 60 Millions de consommateurs » milite désormais pour que certains de ces médicaments ne soient délivrés que prescription ou soient retirés du marché. L’Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable a violemment réagi. Dans un communiqué elle dénonce « une attaque opportuniste et injustifiée », et rappelle que ces médicaments disposent tous d’une autorisation de mise sur le marché. « Autrement dit, rappelle-t-elle, ces spécialités ont un bénéfice/risque favorable, elles ont prouvé leur efficacité et font l’objet d’un suivi de pharmacovigilance par l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) »
L’ANSM ? Elle n’a pas réagi aux accusations de « 60 millions de consommateurs ». On comprend son embarras. Faut-il répondre à un travail fondé sur une aussi pauvre méthodologie ? A l’inverse il faut tenir compte de l’audience de cette revue et de l’aura dont elle dispose encore. Comment ne pas répondre alors même que l’on est en charge de la « sécurité du médicament » ? Prenons le pari que l’ANSM suivra la voie de la raison et nous dira prochainement ce qu’elle pense de ce qui apparaît comme un triste ersatz du travail que mène, depuis plus de trente ans, Prescrire ; un mensuel de référence mais qui n’a guère d’écho que dans des franges éclairées du corps des médecins-prescripteurs et des pharmaciens-délivreurs.
Ire pharmaceutique
Les pharmaciens, précisément. Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) n’apprécie guère les méthodes du magazine des consommateurs :
« Je n’aime pas qu’on affole la population en disant que des médicaments sont dangereux. Je note d’ailleurs que le magazine qui publie cette enquête faisait il y a un an la promotion des médicaments en grande surface. C’est assez incohérent. Si ces médicaments étaient aussi dangereux que le dit cette enquête, on aurait des centaines de morts puisqu’ils sont très souvent utilisés. Tout cela n’est qu’exagération. Je pense que l’automédication est un mot mal employé : il laisse croire que les gens peuvent acheter leurs médicaments dans une espèce de libre-service. Mais quand un patient a besoin d’un conseil parce qu’il a mal à la tête et qu’il va voir son pharmacien, c’est une démarche de parcours de soin. Nous lui donnons un médicament adapté à sa situation, nous l’avertissons sur les risques et les conditions d’utilisation. »
Les pharmaciens d’officine auraient grand tort de trop s’inquiéter d’une variation à la baisse de leur chiffre d’affaires : « 60 Millions de consommateurs » conseille vivement à ses lecteurs de remplacer les médicaments trop dangereux par de douces huiles essentielles et quelques « phytomédicaments ».
A demain