Cancer de l’ovaire : la question est désormais posée de son dépistage systématique

Bonjour

L’ovaire après le sein ? A partir de quel moment un cancer doit-il faire l’objet d’un dépistage systématique ? La question est aujourd’hui posée pour les cancers de l’ovaire avec la publication, dans The Lancet 1, de la plus vaste étude randomisée menée sur ce sujet ; une étude britannique qui conclut que le dépistage du cancer de l’ovaire peut réduire la mortalité d’environ 20% après un suivi de quatorze  ans. Une étude qui dit aussi qu’un suivi plus long est nécessaire pour déterminer la réduction de la mortalité ultime et si le dépistage de la population générale est justifié.

En France, l’incidence du cancer de l’ovaire est estimée (2005) à 8,1/100 000 femmes – avec une mortalité de 4,6/100 000 femmes. Les pics de l’incidence et de la mortalité par tranche d’âge se situent entre 55 et 94 ans. Avec une incidence de 4 375 nouveaux cas diagnostiqués (2005) ce cancer représente 3,2 % de l’ensemble des nouveaux cancers féminins. Et avec 3 180 décès par an il se situe au 13e rang de l’ensemble des décès par cancer, et au 5e rang des décès par cancer chez la femme.

Haut risque

La question de son dépistage (systématiquement proposée) soulève de nombreuses questions techniques, médicales et éthiques. Chez les patientes considérées à haut risque génétique (porteuses d’une mutation sur le gène BRCA1 ou BRCA2), un examen régulier par échographie vaginale avec dosage d’un marqueur biologique (CA 125) peut être recommandée à partir de 35 ans, voire plus tôt. Une ovariectomie bilatérale systématique peut aussi parfois être proposée – sujet controversé.

Dans ce contexte la publication du Lancet apporte de bouveaux éléments. Ce travail a été mené dans le cadre du  “United Kingdom Collaborative Trial of Ovarian Cancer Screening” (UKCTOCS). Il a été dirigé  par les Prs  Ian Jacobs et Usha Menon (Institute for Women’s Health, University College London). Il a d’autre part été financé par le UK Medical Research Council et le Department of Health for England ainsi que par deux charities : Cancer Research UK et  The Eve Appeal.

Mortalité à cinq ans

The Lancet rappelle que le cancer de l’ovaire continue d’être diagnostiqué à un stade avancé – avec 60% des patientes qui meurent dans les cinq ans suivant le diagnostic. Le UKCTOCS a testé l’hypothèse selon laquelle le dépistage du cancer de l’ovaire dans la population générale était de nature à réduire la mortalité de la maladie, sans pour autant créer des « dommages significatifs ». Il semble que cela puisse être le cas.

Au total 202 638 ont été recrutés entre 2001 à 2005 pour cette étude contrôlée randomisée, et ce  à travers treize centres en Angleterre, Irlande du Nord et au Pays de Galles. Il s’agissait de femmes ménopausées (50 à 74 ans) n’étant pas considérées comme à risque de cancer de l’ovaire familial. Le dépistage (annuel) utilisait le marqueur CA125 sérique (interprété avec le Risk of Ovarian Cancer Algorithm – ROCA) associé à une échographie transvaginale.

Première preuve

Les dépistages annuels se sont achevés en décembre 2011 et le suivi a duré jusqu’au 31 décembre 2014. Le critère principal était la mort par cancer de l’ovaire.  Le suivi médian a été de 11,1 ans. Au total 630 cancers de l’ovaire ont été diagnostiqués (en absence de dépistage) 338 et 314 dans les deux groupes correspondant à deux types de dépistage. Soit, in fine, une réduction significative du nombre de décès avec une réduction de la mortalité moyenne comprise entre 20% et  28%.

«Notre travail constitue  la première preuve obtenue avec un essai contrôlé randomisé que le dépistage peut réduire la mortalité de cancer de l’ovaire, souligne le Pr Usha Menon. Ces résultats sont importants étant donné le peu de progrès réalisé dans les résultats de traitement pour le cancer de l’ovaire au cours des trente dernières années. »

Pr Dominique Stoppa-Lyonnet

Nous avons demandé au Pr Dominique Stoppa-Lyonnet (Institut Curie de Paris) de commenter ce travail :

«  Il s’agit là d’une étude impressionnante par le nombre de femmes suivies et la durée du suivi – l’une des plus grosses études cliniques qui soit. Elle me semble de bonne qualité d’un point de vue méthodologie. La diminution de mortalité par cancer de l’ovaire après criblage est effectivement comparable à celle des cancers du sein. Une différence est que dix fois plus de femmes sont concernées par le risque de cancer du sein

« Je ne pense pas que le fait d’attendre de cinq à dix ans de plus fera une grande différence.  Le nombre de récidives est élevé à courte distance du diagnostic mais ne semble pas diminuer après celui-ci. En d’autres termes, je ne pense pas qu’il y ait beaucoup d’évènement de rechute après dix ans (à la différence du sein).

Débrouillage

« Il faut s’interroger sur la faisabilité du criblage. S’agit-il d’une échographie de « débrouillage » faite par le gynécologue lui-même dans son cabinet ou d’un examen sophistiqué. Si l’échographie  est faite par le gynécologue (ou par le généraliste), c’est faisable. On pourrait même assimiler cet examen à un prolongement de l’examen clinique pelvien.

«  Quels sont les risques de faux positifs et par là d’examens exploratoires invasifs ? C’est un sujet majeur : l’échographie n’est naturellement pas spécifique d’un cancer de l’ovaire, comme le CA125 qui l’est encore moins. A tel point, pour le CA125, qu’il n’est pas en France, dans les recommandations de l’INCa chez les femmes à haut risque de cancer de l’ovaire.  Il y a là un risque non négligeable de laparatomies exploratoires, et donc de gestes invasifs qui vont se solder  par une annexectomie.  Et dont la majorité se montrera  inutile.

Perspectives

« Pour ce qui est des perspectives,  il sera intéressant de développer de nouveaux tests plus spécifiques (ADN tumoral circulant, spectrométrie de masse détectant des glycoprotéines tumorales) ; Ces tests devraient limiter les effets des faux positifs évoqués dans précédemment

« En résumé, c’est une étude dont le nombre de cas suivis, la méthodologie qui est bien faite. Néanmoins, compte-tenu de la faible fréquence du cancer de l’ovaire (risque cumulé au cours de la vie de l’ordre de 1,5% -avec parmi ces femmes des BRCA1/2 qui s’ignorent donc un risque en valeur absolu plus faible), du risque de faux positifs et de gestes secondaires invasifs,  le  bénéfice à faire un criblage du cancer de l’ovaire pour les femmes atteintes de la population  générale ne va pas de soi. »

A demain

1Ovarian cancer screening and mortality in the UK Collaborative Trial of Ovarian Cancer Screening (UKCTOCS): a randomised controlled trial 

 Published Online December 17, 2015

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