Bonjour
Epoque formidable. A échéance régulière des scientifiques publient sur la cigarette électronique. Publier ou mourir. Il y a un an c’était une lettre adressée au New England Journal of Medicine : « La cigarette électronique à nouveau accusée d’être (possiblement) cancérigène » (22 janvier 2015). L’affaire fit grand bruit, puis long feu.
Aujourd’hui c’est une publication de la revue Oral Oncology. On peut la lire (intégralement) ici : ‘’Electronic cigarettes induce DNA strand breaks and cell death independently of nicotine in cell lines’’. Un travail signé d’un groupe dirigé par Weg M. Ongkeko (Department of Otolaryngology-Head and Neck Surgery, University of California, San Diego, La Jolla, California). En France ce travail vient d’être repris et décrypté sur le site de Sciences et Avenir « E-cigarette : l’ADN des cellules endommagé, vraiment ? » (Hugo Jalinière).
Marlboro rouge
De quoi parle-t-on ? Les auteurs affirment en substance avoir constaté une toxicité importante de la vapeur de cigarette électronique sur des cellules cultivées in vitro. Science et Avenir :
« Concrètement, l’équipe américaine a observé la cytotoxicité de la vapeur produite par deux types de e-liquide – l’un avec nicotine, l’autre sans – sur des cellules épithéliales qui tapissent notamment la bouche ou les poumons. Placées dans des boîtes de Pétri, ces cellules ont été exposées à des doses très importantes de vapeur. Des doses qui, de l’aveu même des auteurs, ne correspondent pas à une utilisation normale : « Dans cette étude, les tests correspondaient à une personne fumant de façon continue pendant des heures et des heures, donc une quantité supérieure à celle qui serait normalement délivrée », reconnaît le Dr Wang-Rodriguez. Un biais méthodologique d’importance. (…)
« Surtout, un détail spécifié dans l’étude semble contredire frontalement le Dr Wang-Rodriguez : les chercheurs ont en effet mené l’expérience en soumettant également des cellules à la fumée de cigarette de marque Marlboro rouge. Un test arrêté au bout de 24 heures en raison de l’extrême toxicité de cette fumée. À titre de comparaison, les cellules soumises à la vapeur d’e-cigarette l’ont été pendant 8 semaines. Difficile dans ces conditions de mettre sur un pied d’égalité le tabac et le vapotage. »
Répliques cinglantes
Résumé du Dr Jessica Wang-Rodriguez (Department of Pathology, VA San Diego Healthcare System, La Jolla, California) avant-dernière auteure de la publication de Oral Oncology : « Sur la base de nos résultats, je ne crois pas que la cigarette électronique soit moins nocive que le tabac.»
Réplique cinglante, dans The Guardian, de Linda Bauld, spécialiste de santé publique à l’Université de Stirling : “No, there’s still no evidence e-cigarettes are as harmful as smoking”.
Nous avons pour notre part demandé un commentaire au Pr Jean-François Etter (Université de Genève), expert de réputation internationale de ces questions. Sa réponse : « Le poison est dans la dose. Ecrire « Sur la base de nos résultats, je ne crois pas que la cigarette électronique soit moins nocive que le tabac » est absurde. »
Publier pour ne pas mourir. L’absurdité avant l’éternité.
A demain
Merci pour cet article complet et très clair (et plus synthétique que la plupart des autres sur le sujet).
Belle conclusion que « Publier pour ne pas mourir. L’absurdité avant l’éternité. », en espérant que la santé publique ne finisse pas par totalement se décrédibiliser et mourrir de ce débat absurde entre l’obscurantisme et le simple constat factuel (le tabac n’est pas bon pour la santé, la vape n’est pas [de loin pas aussi] nocive, combien de morts faudra-t-il laisser arriver avant que ce simple fait soit pris en compte).
La méthodologie de l’étude évoquée est d’une rigueur impressionnante …
Bonjour, je viens de lire l’intégralité de l’article d’Oral Oncology et il me semble que ce billet, ainsi que celui de Science et Avenir prend à charge des éléments qui ne sont pas l’objet de l’étude décriée. En effet, cette étude ne comprends à aucun moment, ni dans la conclusion, ni ailleurs, la phrase rapportée ici du Dr Jessica Wang-Rodriguez: « Sur la base de nos résultats, je ne crois pas que la cigarette électronique soit moins nocive que le tabac ». Peut-être a-t-elle donné son opinion personnelle dans un cadre extérieur à cette étude mais cela ne peut en aucun cas être présenté comme la conclusion de cette recherche. Par ailleurs, nulle part dans l’étude n’est citée la marque Marlboro, ce qui est le cas ici et sur Science et Avenir.
Cette étude porte sur les ruptures de la chaine ADN et la mort des cellules liées à l’usage d’e-cigarette, par rapport à un échantillon sain (non-exposé). Si les doses sont supérieures à celles reçues en réalité par un vapoteur, c’est que l’étude n’a pas pour but de simuler les effets du vapotage in vivo, mais de mettre en lumière le lien entre l’exposition aux substance et la destruction des cellules, afin de savoir si OUI ou NON c’est potentiellement dangereux. A ce titre, la réponse et OUI. L’étude montre clairement que l’exposition entraine une mort des cellules 5x supérieure dans les produits sans nicotine, et 10x supérieures dans ceux avec, comparé au échantillons non exposés, ce qui prouve de facto que la nocivité de ces produits et devrait suffire à induire un principe de précaution.
Que la cigarette soit encore plus nocive ne change rien à ces résultats, et d’ailleurs la comparaison possible n’existe que dans l’esprit de ceux qui veulent remplacer un marché par un autre, ce n’est pas parce qu’on a du cyanure qu’on ne doit pas se méfier du curare.
En gros, si blâmer la vapeur de cigarette électronique parce que à des doses infiniment plus grandes, elles présentes des risques pour les cellules, autant tout blâmer … Blâmons le radiateur à serviette car car à une dose de chaleur infiniment plus grande, il risque de se transformer en lave en fusion, ou blâmons la clim d’une voiture car à du froid infiniment plus grand, ça transformerait toute la rue en glaçon 😉
Oui la vape présente un risque au dessus de zéro, mais faut il le préciser ? (si ce n’est pour alimenter la polémique, car ce n’est pas fait gratuitement (…)
C’est un glissement sémantique compréhensible mais excessif de déduire que l’exposition à rien et l’exposition à une surdose de longue durée en condition in vitro puisse induire un quelconque principe, soit-il de précaution.
Tout au plus cette étude devrait-elle inciter à conduire des analyses représentatives in-vivo (qui ont été menées il y a des années mais répéter et améliorer n’est jamais une mauvaise idée en science)…
Imaginez par exemple une même méthodologie appliquée en exposant ces mêmes échantillons de cellules à un décilitre de café, répété quotidiennement, sans interruption, pendant plusieurs semaines. Si 50% des cellules survivaient, appliqueriez-vous le même principe ? Cela justifierait-il de tels titres annonçant que le café généralisé tuerait probablement plus de 200 Français par jour ?
Et vous posez indirectement une très bonne question plus haut : que veut dire Jessica Wang-Rodriguez ? Qui a payé la diffusion médiatique mondiale de ses déclarations (parce que c’est bien son quart d’heure de gloire à cette échelle) ? Pourquoi ?
En la question, il me semble qu’il est – encore – fait un amalgame entre la publication scientifique elle-même, qui est loin d’être une déclaration médiatique tonitruante – je doute fort qu’Oral Oncology passionne les foules – et celle des médias de masse, qui n’en sont pas à leur coup d’essai pour faire peur avec des produits nouveaux et peu connus sur des éléments ténus et en utilisant des raccourcis putassiers – les amateurs de jeu de rôle et les amateurs de Death Metal savent de quoi je parle.
Pour autant, je trouve à la fois normal et sain que des études soient menées sur des nouveaux produits pour déterminer leur effets. Pour reprendre l’exemple du café que vous donnez, vous avez raison sur le point que ce serait ridicule d’en faire des gros titres aujourd’hui, puisqu’il est rentré dans nos usages depuis belle lurette, mais il a cependant fait lui aussi fait l’objet de nombreuses interdictions et controverses à l’époque de son introduction, et ce dans plusieurs pays. D’autre part, nous sommes tous au courant et bien informés de ses possibles effets néfastes sur la santé.
En revanche et pour donner un autre exemple, il eût peut-être été préférable de mener des études similaires et d’avoir été particulièrement procéduriers avant de floquer nos maisons à l’amiante il y a 60 ans.
Les conclusions de l’étude, si elles pointent effectivement un danger potentiel, ne sont en aucun cas, comme vous semblez le penser, que ce produit devrait être interdit ou encore moins qu’il faille lui préférer la cigarette traditionnelle, mais qu’il est nécessaire de mener d’autres recherches plus poussées et spécifiques sur le sujet, afin d’anticiper au mieux d’éventuels effets à long terme, ce qui ne peut qu’être bénéfique à tous.
Quant à la question de qui a payé le diffusion médiatique des propos de Jessica Wang-Rodriguez, j’aurais bien du mal à en tirer les conclusions de lobbying de la part du fabriquant de cigarettes que vous semblez sous-entendre, tant à leur place je ne ferai pas le malin au vu des résultats de l’étude les concernant.
Pour finir, si je conçoit qu’on puisse être critique envers le travail de chercheurs et les possibles erreurs de méthodologie dans leurs procédures et conclusions, je ne peux qu’être encore plus méfiant envers les allégations d’industriels et de commerciaux. Rapellons nous qu’il y a un siècle encore, la cigarette était parée de toutes les vertus thérapeutiques sur les seules déclarations de ceux qui les fabriquaient (et les fabriquent toujours, d’ailleurs). La sagesse est de préférer écouter le lanceur d’alerte plutôt que le vendeur de rêve.