Essai clinique mortel de Rennes : les quatre jours qui soulèvent une série de graves questions

Bonjour

Les pièces du puzzle de l’affaire de Rennes commencent à être réunies, les questions se précisent. Se rapproche-t-on pour autant de la manifestation de la vérité ? Interrogée ce jeudi 28 janvier sur France Info Marisol Touraine a indiqué qu’elle attendait sous peu les premières conclusions de l’enquête confiée à l’Inspection générale des affaires sociales. Pour sa part l’Agence nationale de sécurité sanitaire des produits de santé (ANSM) a publié, le 27 janvier, une « chronologie  de l’évaluation et du déroulement de l’essai clinique promu par les laboratoires BIAL et réalisé par la société BIOTRIAL à Rennes ».

Cette chronologie très détaillée confirme qu’aucun incident n’avait été noté entre le 9 juillet 2015 (« début cohorte 1 : première administration de la dose à 0,25 mg à deux volontaires de la cohorte 1) et le 6 janvier 2016, date du début de la « cohorte 5 » (dix-neuf jours après la fin de la « cohorte 4 »). Cette « cohorte 5 » est constituée de huit volontaires qui ont accepté prendre des doses de 50 mg du médicament « BIA 10-2474 » (médicament chimique sous forme de gélule) (réf. ANSM : 150565A-31 – EudraCT n° 2015-001799-24). Extrait du document de l’ANSM :

«  Mercredi 6 janvier 2016 : Début du traitement à la dose de 50 mg dans la cohorte 5 (19 jours après la fin de la cohorte 4)

Dimanche 10 janvier 2016 : – 5 ème jour d’administration d’une dose de 50 mg aux huit volontaires de la cohorte 5 ; – date d’apparition des symptômes chez un des volontaires de la cohorte – hospitalisation le soir de ce volontaire.

Lundi 11 janvier 2016 : – Les sept autres volontaires de la cohorte 5 reçoivent la 6ème dose de traitement le matin ; – IRM chez le volontaire hospitalisé dont l’état clinique s’est aggravé (coma) ; – Interruption de l’essai clinique en accord entre le promoteur BIAL et la société BIOTRIAL.

Entre le mercredi 13 et le vendredi 15 janvier 2016 : Hospitalisation des cinq autres volontaires de la cohorte 5 traités par le verum [médicament testé, à distinguer du placebo].

Jeudi 14 janvier 2016 : L’ANSM est informée par BIOTRIAL de la survenue d’effets indésirables graves dans le cadre de l’essai. »

Au vu de ces éléments trois interrogations sont soulevées.

1 La première interrogation porte sur le temps nécessaire pour que la puissance publique en charge de la sécurité du médicament (et incidemment le ministère de la santé) soit tenue informée des éléments inquiétants survenus à Rennes. Il faut ici revenir aux textes. Le cadre général dispose que le promoteur (ou un délégataire qu’il a désigné à cet effet) doit déclarer à l’ANSM (et à la base de données européenne Eudravigilance) [articles L. 1123-10 et R. 1123-47 du code de la santé publique] toutes les suspicions d’effet indésirable grave inattendu (EIGI) survenant au cours de l’essai concerné.

Quand BIOTRIAL devait-il déclarer les EIGI et les « faits nouveaux de sécurité » ? Les délais sont, là encore, prévus par l’article R. 1123-47 du code de la santé publique. Deux cas de figure :

« Pour les EIGI « fatals ou mettant en danger la vie du participant » : sans délai, et au plus tard dans un délai de 7 jours calendaires, à compter du moment où le promoteur ou son délégataire en a eu connaissance pour la première fois.

« Pour les autres suspicions d’EIGI et les faits nouveaux : dès que possible et au plus tard dans les 15 jours calendaires à compter du moment où le promoteur ou son délégataire en a eu connaissance pour la première fois. »

De ce point de vue la réglementation a été respectée puisque l’ANSM a été informée par BIAL quatre jours après la découverte des premiers symptômes d’un accident qui devait se révéler mortel. La question se pose néanmoins du délai de « 7 jours calendaires » laissé au promoteur de l’essai clinique. Pourquoi une telle latitude d-s lors qu’il s’agit d’EIGI « fatals ou mettant en danger la vie du participant ». 

2 La deuxième interrogation découle de la première. Comment expliquer que les responsables de BIOTRIAL prennent le risque d’administrer la 6ème dose du candidat-médicament aux sept autres volontaires de la « cohorte 5 » alors que le huitième était hospitalisé depuis la veille et que son état neurologique s’aggravait ? Pourquoi la décision d’interrompre l’essai n’a-t-elle pas été prise avant cette administration ? Quels ont été les échanges d’information entre les responsables de BIOTRIAL et les équipes médicales, voisines, du CHU Pontchaillou de Rennes ? Qu’est-il prévu, d’un point de vue réglementaire, sur ce point ? Les hospitalisations suivantes des volontaires (et leurs possibles séquelles neurologiques) auraient-elles été prévenues si l’essai avait été interrompu avec cette administration) ?

3 La troisième interrogation concerne la vitesse et les chemins de circulation des informations. Il semble qu’aucune information médicale n’a (en dehors des voies réglementaires) été transmise de Rennes à Paris avant le jeudi 14 janvier. Nous avons interrogé  l’ANSM à ce sujet ; elle précise « ne pas avoir été informée par d’autres voies des hospitalisations de Rennes avant le jeudi 14 janvier ».

Le fait est d’ailleurs confirmé  par François Peaucelle, directeur de Biotrial. Dans une déclaration à Ouest France ce dernier, après la publication de la chronologie de l’ANSM, a observé qu’elle n’apportait « pas d’éléments nouveaux. Il a aussi indiqué que le lien n’a été fait entre l’étude et l’état de santé des patients le mercredi 13. Et que le laboratoire portugais Bial, responsable de l’essai, a formalisé l’information le jeudi 14 auprès des services de l’Etat français.»

On ajoutera que c’est à la suite de confidences faites à certains médias 1 que l’existence de l’accident a été officiellement confirmée par la puissance publique. Nous étions alors le 15 janvier.

A demain

1 Présentant, aujourd’hui 28 janvier, ses voeux à la presse,  Marisol Touraine, ministre de la Santé a notamment déclaré « (…)  l’année 2015 nous a permis de mesurer une nouvelle fois la réactivité et l’engagement de notre système de sécurité sanitaire, [elle] a aussi montré le rôle essentiel des médias dans ces crises. Essentiel pour rassurer nos concitoyens. Je pense évidemment à l’accident grave survenu dans le cadre d’un essai thérapeutique à Rennes (…) »

 

2 réflexions sur “Essai clinique mortel de Rennes : les quatre jours qui soulèvent une série de graves questions

  1. Merci pour ce relai médiatique de l’évènement « Phase I – Bial – Biotrial ». La lecture du protocole soulève la question de la responsabilité de Bial d’avoir délégué intégralement la sélection des doses de la partie MAD et notamment de la décision de poursuivre l’essai au delà des 4 cohortes décrites dans le protocole. Le chapitre 9.2 Dose escalation and stopping rules ne traite pas ce point…

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