Bonjour
Le cannabis est un marronnier médiatique de qualité. C’est tout particulièrement vrai de sa branche « dépénalisation de sa consommation ». Le sujet refleurit aujourd’hui dans les colonnes du Parisien/Aujourd’hui en France :
« Dépénalisation du cannabis : un grand médecin relance le débat – Un éminent professeur jette un pavé dans la mare en proposant, ce vendredi lors d’un congrès de pneumologie, de revenir sur l’interdiction de ce stupéfiant. ».
Deux pavés pour une mare
L’affaire est reprise par Le Monde : « Fer de lance de la lutte contre le tabagisme et défenseur de la cigarette électronique, le professeur Bertrand Dautzenberg a choisi, vendredi 29 janvier, de jeter un nouveau pavé dans la mare en plaidant pour une dépénalisation encadrée du cannabis. Ses propositions doivent être débattues dans la journée à l’occasion du 20e Congrès de pneumologie de langue française, qui se déroule à Lille, dans le Nord. »
A dire le vrai le pavé avait déjà été lancé le 14 janvier dernier : « Cannabis et cigarette électronique : le coup de théâtre tabacologique du Pr Dautzenberg ». Le lanceur s’exprimait lors d’une conférence de presse annonçant le 20e Congrès de pneumologie de langue française qui se tiendra dans quelques jours à Lille. Aujourd’hui il s’exprime dans tous les médias quelques heures avant de débattre de ses propositions. Comment ne pas admirer une telle maîtrise de la communication ? Une maîtrise dont on connaît les revers : la personnalisation quelque peu outrancière d’un combat n’est pas sans effet pervers. Sur ces terres de combat le héraut se fragilise bien vite.
Le flamboyant précédent
Cannabis « en vente libre » ? Comment ne pas songer, ici, aux mésaventures du Pr Léon Schwartzenberg (1923-2003) ? On se souvient peut-être que, nommé le 29 juin 1988 ministre délégué à la Santé dans le premier gouvernement de Michel Rocard, il doit démissionner le 7 juillet : ceux qui viennent de le nommer ne peuvent lui pardonner d’avoir proposé des solutions politiques aux questions médicales des toxicomanies illégales
Ses neuf jours de présence au gouvernement constituent un record de brièveté pour un ministre de la Ve République français – un record toutefois égalé en 2014 par Thomas Thévenoud, ministre dont on venait de découvrir qu’il souffrait de « phobie administrative ». Avant le Pr Schwarzenberg le record de la brièveté au sein d’un gouvernement sous la Ve République était détenu par Jean-Jacques Servan-Schreiber (treize jours, du 28 mai au 9 juin). Nommé ministre des Réformes du gouvernement dirigé par M. Jacques Chirac il avait critiqué les essais nucléaires de Mururoa. Où l’on voit que les motifs de démission reflètent assez fidèlement la noblesse des engagements politiques.
Malades et/ou délinquants ?
Le Monde du 6 juillet 1988 :
« (…) La lutte contre la toxicomanie constituera également une priorité pour le professeur Schwarzenberg. Critiquant implicitement les déclarations de l’ancien garde des sceaux, M. Albin Chalandon, M. Schwarzenberg a déclaré que » les malades ne seront jamais des délinquants « .
Parmi les différentes mesures qu’il envisage de prendre contre la toxicomanie, M. Schwarzenberg se propose, en collaboration avec le premier ministre et le ministre de l’intérieur, de tenter » de bloquer le trafic de la drogue « . A cette fin, il va jusqu’à envisager » la distribution de drogues « . »
Le Monde du 8 juillet 1988 :
« M. Léon Schwarzenberg, ministre délégué chargé de la santé, doit se sentir bien seul aujourd’hui. Aucune des réactions qui ont suivi l’annonce des mesures qu’il souhaitait prendre (création d’un carnet de santé pour les patients hospitalisés, dépistage systématique du SIDA pour les femmes enceintes et les opérés, distribution de drogue pour les toxicomanes) ne lui est favorable. A commencer par celle de son ministre de tutelle, M. Claude Evin, qui a officiellement demandé le mercredi 6 juillet au président du Comité national d’éthique, le professeur Jean Bernard, ainsi qu’au président de l’Académie nationale de médecine et au président du Conseil national de l’ordre des médecins, d’examiner avant que toute décision soit prise les modalités d’un dépistage systématique ou optionnel du SIDA chez la femme enceinte et chez les opérés. ( …)
« Pour sa part, le délégué national à la santé du Parti socialiste, le docteur Claude Pigement, a également publié un communiqué dans lequel il regrette le manque de concertation ayant précédé les déclarations de M. Schwarzenberg. Il estime que » la distribution de drogue aux toxicomanes, non seulement ne résout pas le problème comme le montrent les exemples étrangers, mais risque de brouiller l’organisation d’une politique de prévention, seule réelle réponse à la toxicomanie « . (…) »
Le Monde du 9 juillet 1988 :
« Neuf jours après avoir été nommé ministre délégué chargé de la santé, M. Léon Schwarzenberg a dû démissionner le jeudi 7 juillet (…) Quelques instants plus tard, la lettre de démission de M. Schwarzenberg était rendue publique.
Extraits de la lettre de démission publiés par Le Monde:
» J’ai compris, écrit notamment l’hématologue de l’hôpital Paul-Brousse (Villejuif) à M. Michel Rocard, que vous puissiez partager l’inquiétude suscitée, parfois artificiellement, par mes déclarations récentes, notamment au sujet des préventions de la toxicomanie. Je crois vous avoir persuadé que les moyens d’action que je proposais (…) ne peuvent en aucun cas être perçus comme une reconnaissance ou une tolérance de l’usage banalisé de certains produits toxiques. (…)
J’ai néanmoins estimé, poursuit M. Schwarzenberg, que mon métier et mes fonctions non seulement m’autorisaient, mais m’obligeaient à formuler sans retard quelques propositions que je jugeais essentielles, tant à l’adaptation de notre système de soins qu’au sujet des droits des malades. J’ai pensé, semble-t-il à tort, qu’en ce domaine aussi, il était conforme à l’intérêt général de parler vrai. » » Je regrette, conclut M. Schwarzenberg, que les circonstances, et peut-être une certaine surestimation du caractère inquiétant de mes propos, ne me permettent pas d’apporter la preuve, sur une durée suffisante, du bien-fondé de mes propositions. Je souhaite néanmoins que mes successeurs puissent s’en inspirer après s’être entourés des précautions nécessaires (…). ».»
Nous sommes vingt-huit ans après. On trouvera ici la liste des douze ministres de la Santé qui lui ont succédé. Qu’est-il advenu de ce souhait ?
A demain
Vive Bertrand !