Génétique médiatique: polémique autour des billets du Dr Laurent Alexandre dans «Le Monde»

Bonjour

Une affaire « Laurent Alexandre ». Enfin. Certains y voyaient une provocation. D’autres un conflit d’intérêts. Pour notre part le malaise venait de l’ambiguïté. Osons, ici, nous citer :

« Dégagé des rédactions le chroniqueur a, sur le journaliste, un immense avantage : celui des coudées franches. Le Dr Laurent Alexandre, chroniqueur régulier du supplément Médecine/Sciences du Monde sait en profiter plus que d’autres. Président exilé de DNAVision (l.alexandre@dnavision.be) il est comme un poisson visionnaire dans les eaux marchandes  de la génétique contemporaine » écrivions-nous  en mai 2015.

Elimination des trisomiques

Le Dr Alexandre venait alors, dans sa chronique vespérale, de traiter  du sujet majeur qui agite les esprits soucieux d’éthique généticienne – un sujet que nous venions de traiter sur Slate.fr : l’émergence de la technique CRISPR qui permet de modifier à volonté (et de manière transmissible) le génome de l’espèce humaine. Extrait de sa chronique :

« Le débat sur les modifications génétiques sur l’embryon est d’autant plus décalé que la société est ultra-eugéniste : l’élimination des trisomiques est socialement admise ! En  2015, 97 % des enfants trisomiques dépistés sont avortés, ce qui est jugé – à tort ou à raison – parfaitement moral. En revanche, l’idée de corriger sur l’embryon une mutation génétique qui entraîne 100 % de chances de mourir pendant l’enfance de myopathie ou d’une affection neurologique est perçue comme un crime contre l’humanité.

« La France a ratifié la convention d’Oviedo qui bannit les modifications du patrimoine héréditaire de l’espèce humaine. Les générations futures se moqueront pourtant de cette incroyable distorsion morale, et feront le contraire de ce qui nous semble éthique : elles corrigeront l’ADN des embryons, au lieu d’avorter les bébés mal formés. »

Publier ou pas, en l’état

Y eut-il, alors, des réactions de lecteurs ? Le Monde ne nous le dit pas. Il revient en revanche aujourd’hui sur la dernière chronique du Dr Alexandre. Une chronique intitulée « L’ADN, agent d’un bonheur national » 1. Et il y revient sous une forme  assez originale. Franck Nouchi, médiateur, pose la question de savoir s’il fallait publier  en l’état ce texte. « Plusieurs lecteurs nous ont alertés sur le contenu de cette chronique. Certains vont même plus loin, nous demandant pour quelles raisons, depuis plus de quatre ans, Laurent Alexandre y écrit, toutes les six semaines. »

Le médiateur révèle que ce n’est pas la première fois qu’une chronique de Laurent Alexandre fait l’objet de critiques. Une donnée qui pourrait être flatteuse si l’on estime que la vivacité des réactions de lecteurs peut être perçue comme  un symptôme de vitalité d’un journal. Le médiateur révèle notamment qu’en mars  2013 la chronique du Dr Alexandre intitulée « La guerre des cerveaux » avait provoqué une vive réaction de la part d’une vingtaine de scientifiques de renom (parmi lesquels Bertrand Jordan, Axel Kahn, Jean-Marc Lévy-Leblond, etc.). Des scientifiques qui réclamaient, à tout le moins, l’organisation d’un « débat contradictoire ». « Ce texte ne fut malheureusement pas publié dans le journal »écrit le médiateur.

Cognition et/ou intelligence

Trois ans après le nouveau médiateur analyse de manière critique la dernière chronique du Dr Laurent Alexandre –  un retour actualisé et commentés des veilles querelles sur l’inné, acquis et ces concepts à géométries variables que l’intelligence, le stress ou le bonheur. Interrogé sur sa prose le Dr Alexandre reconnaît quelques imprécisions dues au peu de place (3300 signes)  dont il disposait (un grand classique). L’auteur bat aussi sa coulpe : « il aurait dû parler de capacités cognitives plutôt que de QI. »

Le Monde cite aussi une lectrice : « Je lis toujours ses chroniques avec un profond malaise (…). Ce qui me gêne, c’est qu’il ne s’agit pas d’une opinion ; il soulève des problèmes à partir de données qui ne les justifient absolument pas. Je n’arrive pas à décider si elles sont mal digérées ou volontairement détournées pour alimenter son fonds de commerce. » Et le quotidien de convenir qu’il serait bon d’organiser un « droit de suite ». « Le débat public y gagnerait en qualité. Et en rigueur » conclut le médiateur. Son texte est titré « Carte blanche et carton jaune ». C’est un bon titre.

A demain

1 On trouvera ci-dessous le texte de cette chronique du Dr Laurent Alexandre :

« Les neurosciences révèlent la complexité du fonctionnement cérébral. Le plan précis ­du câblage cérébral – nous avons 85 milliards de neurones, dont chacun est porteur de milliers de connexions – n’existe pas dans nos chromosomes. Notre ADN a une action plus subtile : il donne à nos neurones une boîte à outils, plus ou moins ­performante, leur permettant de bâtir un réseau de connexions plastiques et dynamiques. Le cerveau se bâtit grâce à un mélange de déterminisme génétique, de réponse à l’environnement et de hasard. Notre quotient intellectuel, in fine, n’est déterminé par ­notre ADN qu’à hauteur d’un peu moins des deux tiers ; le tiers restant étant lié à l’école, la stimulation familiale, l’environnement et l’alimentation.

« Les scientifiques commencent à étudier les bases ­biologiques de nos émotions : des facteurs génétiques ont été identifiés qui favorisent les addictions à l’alcool, à la drogue, au jeu ou au sexe, et les liens entre génétique, foi et cerveau commencent à être étudiés. Notre rapport aux autres et notre propension au bonheur eux-mêmes ont des origines génétiques. Publiée par Alexander Kogan en 2011 dans PNAS, une étude montre qu’une base chimique, sur les 3 milliards que comportent nos chromosomes, module notre niveau de sociabilité : un changement minime du gène du récepteur de l’hormone ocytocine modifie notre empathie.

Le variant « A » accroît le plaisir

« Ce désespérant déterminisme génétique se transpose également à l’échelle d’un pays. Une étude publiée en janvier dans Journal of Happiness Studies montre que les nations où une forte proportion de la population possède un variant génétique dit « A » du gène fatty acid amide hydrolase (FAAH), qui correspond à la mutation rs324420, sont plus heureuses. Ce variant génétique réduit la sensation de la douleur et accroît le plaisir. Il existe une corrélation troublante entre la proportion d’individus qui se décrivent comme heureux dans un pays et la fréquence de la mutation génétique « A ».

« La neurogénétique ouvre des perspectives inédites qui font bouger les lignes philosophiques même si, bien sûr, la génétique n’est pas le seul déterminant du bonheur. Les sciences du cerveau bouleversent notre vision de la politique : dans quelle mesure les peuples sont-ils prisonniers de leurs caractéristiques neuro­génétiques ? Les études internationales montrent d’ailleurs que le bonheur national n’est pas corrélé aux conditions objectives : les Français sont plus ­pessimistes que les Afghans et les Irakiens ! On ­retrouve une forte proportion de la mutation « A » ­favorable au bonheur dans les pays où les conditions sont dures. Comme si l’évolution darwinienne avait compensé le stress environnemental par des mutations favorables au bonheur.

« Le marketing politique va donc dépasser Twitter et Facebook : une adaptation du discours politique aux caractéristiques neurogénétiques de la population aurait du sens. L’impuissance des politiques à augmenter le bonheur national aurait donc aussi des causes ­génétiques. Aux Etats-Unis, certains prévenus se défendent en invoquant des arguments neurobiologiques : « Ce n’est pas moi qui ai tué, c’est mon cerveau ; ce n’est pas ma faute, c’est la faute de mes gènes .» François ­Hollande dira-t-il un jour : « Les Français sont mécontents, ce n’est pas de ma faute mais celle de leur ADN » ? »

2 réflexions sur “Génétique médiatique: polémique autour des billets du Dr Laurent Alexandre dans «Le Monde»

  1. Bonjour Monsieur,
    Etudiante en journalisme à Sciences po Lyon et collaborant avec Acteurs de l’économie, je réalise un portrait critique sur Laurent Alexandre. C’est donc avec intérêt que j’ai lu votre article. Serait-il possible d’échanger davantage sur certaines de ses conclusions, et sur votre propre position par rapport à ces sujets ?
    Merci d’avance !
    Elise Baumann
    Master 2 Journalisme, médias et territoires à Sciences po Lyon

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