Bonjour
C’est une affaire assez atypique : la dénonciation ciblé par trois médias, le même jour, des agissements d’une même personnalité accusée d’entretenir de longue date des liens caractéristiques d’une situation de « conflit d’intérêts ». Soit le Dr Michel Aubier, chef du service de pneumologie-allergologie à l’Hôpital Bichat de Paris, professeur à l’Université Paris 7, membre de l’Unité Inserm U700 « Physiopathologie et épidémiologie de l’insuffisance respiratoire ». Une personnalité hospitalo-universitaire reconnue, fréquemment invité dans les médias généralistes et dont la notoriété dans sa discipline n’est plus à faire 1.
Prédispositions
Soit, le mercredi 16 mars Libération: «Michel Aubier, un pneumologue qui ne crache pas sur le diesel» (Coralie Schaub) ; Le Canard Enchaîné : « Le Docteur Diesel travaillait pour Total » (Jérôme Canard) ; Le Monde : « Diesel et cancer : un pneumologue accusé de conflits d’intérêts » (Stéphane Foucard).
C’est Libération qui, ici, est le plus complet :
« Le 1er mars, dans l’émission Allô Docteurs, sur France 5, à la question «la pollution atmosphérique peut-elle être cancérogène ?», le mandarin répondait en ces termes : «Elle peut être cancérogène, mais pour le moment, ce qui a juste été démontré, c’est essentiellement des cancers lors d’expositions assez fortes, c’est-à-dire professionnelles. En ce qui concerne les expositions “naturelles”, c’est beaucoup plus discuté, il semble que ce soit en tout cas un facteur favorisant chez les sujets qui ont déjà des prédispositions à développer les cancers, c’est-à-dire les fumeurs.»
« Et d’insister un peu plus tard dans l’émission : «Je ne pense pas, et la plupart des experts sont d’accord [sur ce point], que le fait d’être exposé à une pollution ambiante, dans des villes comme Paris, prédispose au cancer du poumon, sauf si on a un autre facteur favorisant, comme le tabagisme.»
Michel Cymes
Ces propos n’ont fait réagir ni l’autre médecin invité sur le plateau, ni les présentateurs Michel Cymes et Marina Carrère d’Encausse. Mais ils ont fait bondir plusieurs autres médecins. Leur indignation est telle qu’ils ont jugé nécessaire d’en faire part dans un communiqué de presse, publié ce mardi. Parmi les signataires figurent les docteurs Florence Trébuchon (allergologue, asthmologue), Thomas Bourdrel (radiologue membre du collectif «Strasbourg respire») ou Pierre Souvet (cardiologue et président de l’Association santé environnement France, qui rassemble près de 2 500 médecins). »
Suit un rectificatif doublé d’un débat d’experts nourri de références bibliographiques. Puis Libération revient sur les précédentes déclarations médiatiques, rassurantes, du Pr Aubier qui « minimise les risques du diesel pour la santé ». Et de citer « un exemple parmi d’autres » : sur RTL, en mars 2014, lors d’un pic de pollution aux particules fines en Ile-de-France, il avait affirmé qu’«aucun risque n’est à craindre pour les personnes bien portantes» et les avait encouragées à sortir faire du sport.
Même discours depuis vingt ans
Libération contacte le Pr Aubier, qui confirme tenir le même discours depuis qu’il a commencé à travailler sur la pollution de l’air en 1995 :
« J’ai toujours dit qu’elle avait des effets sur la santé, mais qu’en ce qui concerne le cancer des poumons, le sujet reste débattu. Oui, le diesel est cancérigène, mais si risque il y a, il n’est pas encore totalement démontré. Les éléments scientifiques sont beaucoup moins solides que pour l’asthme et les maladies cardio-vasculaires.»
Là où les choses se compliquent c’est quand lors de son audition le 16 avril 2015 par la Commission d’enquête du Sénat sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, où, représentant l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), le Pr Aubier déclarait n’avoir «aucun lien d’intérêt avec les acteurs économiques».
Fondation Total
Libération : « Pourquoi n’a-t-il pas mentionné qu’il est membre du conseil d’administration de la Fondation Total, (…) ? Bien pire, pourquoi n’a-t-il pas déclaré qu’il est médecin conseil de Total? Cet élément est beaucoup plus discret, bien qu’on puisse en trouver sur la toile une trace dans ce document datant de 2006, où il est présenté comme « Médecin du groupe Total » (page 28). »
La chose est si peu cachée que Total confirme l’information à Libération :
« [Michel Aubier] ne perçoit pas de rémunération directe ou indirecte au titre de ses activités» pour la Fondation, il est en revanche «médecin conseil de Total et perçoit une rémunération au titre de cette activité. Sa mission est double : suivi de la santé des dirigeants du groupe et conseil au groupe sur les enjeux sanitaires et la santé au travail, auprès de la direction des Ressources humaines ».
« Un peu léger »
Réponse à Libération de l’intéressé : «j’aurais dû le déclarer, c’est vrai, mais ça ne m’était même pas venu à l’esprit». Il siège au CA de la Fondation Total depuis «une dizaine d’années», où il traite «de projets santé-solidarité, essentiellement dans les pays en voie de développement». Et être médecin-conseil de Total «depuis 1997 ou 1998, pour m’occuper uniquement des problèmes sanitaires. Je suis sur le plan santé les 200 dirigeants du groupe. Quand ils ont par exemple de l’asthme sévère ou un infarctus, je les oriente dans un service hospitalier. Je m’occupe aussi d’un comité d’experts chargé d’améliorer la prise en charge sanitaire des salariés du groupe». Il reconnaît avoir été «un peu léger en ne le disant pas au Sénat, mais ces activités n’influencent absolument pas mon jugement sur la pollution de l’air et le diesel. Jamais, au grand jamais, Total ne m’a demandé de le faire, ce n’est pas du tout mon rôle et je ne l’aurais pas accepté. Je vous garantis en toute transparence qu’il n’y a absolument aucun conflit d’intérêts».
Le Pr Aubier a refusé de dire combien lui rapportent ses activités annexes pour Total (qui lui prennent «deux demi-journées par semaine). Mais Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP sait que la somme est « conséquente ». Il dit ignorer que le Pr Aubier avait un lien avec Total quand il l’a envoyé le représenter à sa place à l’audition sénatoriale d’avril 2015. M. Hirsch dit aussi ne pas retrouver dans le dossier administratif du Pr Aubier l’autorisation qui lui aurait été donnée en 1997 de travailler pour Total. Libération dit encore que le directeur général de l’AP-HP est « furieux d’avoir potentiellement à gérer un parjure devant le Sénat, lui qui dit ‘’attacher la plus haute importance’’ à la prévention des conflits d’intérêts. » Martin Hirsch a d’ailleurs écrit un petit ouvrage sur le sujet : « Pour en finir avec les conflits d’intérêts ». C’était en 2010.
A demain
1 Eléments de sa biographie officielle :
« Michel Aubier est Professeur de Pneumologie à l’Université Denis Diderot – Paris VII depuis mai 1988 et Chef de Service de Pneumologie A de l’hôpital Bichat à Paris Après avoir effectué un stage post doctoral à l’Université Mac Gill à Montréal, il a effectué un clinicat de 3 ans en Pneumologie et ensuite a été chargé de recherche première classe à l’INSERM de 1983 à 1988. Durant son stage post doctoral, il a commencé à s’intéresser aux mécanismes conduisant à l’insuffisance respiratoire.
« Ces dernières années, il s’est intéressé aux mécanismes cellulaires et moléculaires responsables du remodelage bronchique de l’asthme sévère et des bronchopneumopathies chroniques obstructives. Il développe ces thématiques au sein de l’équipe 2 l’unité INSERM 700 dont il est co-responsable ainsi qu’au sein du CIC 07 de l’hôpital BICHAT qu’il coordonne. Au sein de ce CIC, il a développé une recherche clinique translationnelle sur l’asthme sévère en relation avec la recherche d’amont effectuée au sein de l’unité INSERM 700.
« Il est co-auteur de plus de 250 publications dont plusieurs en premier et en dernier auteur dans le New England Journal of Medicine, Journal of Clinical Investigation, Journal of Immunology., Journal of Allergy and Clinical Immunology, American Journal of Respiratory, Critical Care medicine. Ces travaux ont été récompensés par plusieurs prix scientifiques dont le prix de la Fondation de la Recherche Médicale, le Manuel Albertal Award de l’American College of Chest physician et le prix Environnement – Santé de l’Académie Nationale de Medecine.
« Michel Aubier a été membre de nombreuses instances d’évaluation en France et à l’étranger. Il a participé à plusieurs commissions INSERM, a été membre du Comité d’Orientation de Recherche Stratégique de l’INSERM de 2001 à 2008, Président du Conseil Scientifique et Vice Doyen de la Faculté de Médecine de Xavier Bichat et membre du Conseil de Gestion de la Faculté de Médecine Denis Diderot Paris VII. »
A propos de conflits d’intérêts.
1- Il est tout à fait possible que les émoluments des experts qui font l’opinion (Key Opinion Leaders en face) n’aient pas d’influence sur l’opinion qu’ils expriment.
Supposons que demain une étude rigoureuse démontre le lien entre le diesel et tel ou tel problème de santé , avec un effet de taille importante. CEt expert va-t-il pouvoir professer que le diesel est dangereux en toute liberté ?
QUelques études ont montré que les conflits d’intér^éts sont toujours niés pasr ceux qui y sont englués. Mais une étude sans grande prétention montrait que les sondés disaient ne pas pouvoir être influencés par les petits cadeaux de l’industrie pharmaceutique, mais que leurs collègues gratifiés de même , eux, étaient sous influence. Etrange.
2- A propos de la perversion de la « science » médicale actuelle, on vous recommande la lecture de cette interview d’un auteur prolifique et génial. Il tient rubrique fréquente chez JAMA aussi. .
John Ioannidis.
“EVIDENCE – BASED MEDICINE HAS BEEN HIJACKED »
ON A DÉTOURNÉ LA MEDECINE FONDÉE SUR LES PREUVES
A confession from John Ioannidis
http://retractionwatch.com/2016/03/16/evidence-based-medicine-has-been-hijacked-a-confession-from-john-ioannidis/
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/26934549
LA CORRUPION (au sens chimique) de la RECHERCHE MEDICALE apparait aussi clairement grace au projet Compare qui montre que les auteurs (sponsors? ) enfreignent en routine un des principes gravés dans le marbre de l’étude randomisée comparative en aveugle: les critères de comparaison entre 2 traitements ou interventions doivent être défini AVANT l’étude et publiés quels que soit leurs résultats.
http://compare-trials.org/
La conduite majoritaire dans les 5 plus grands journaux (Dont JAMA qui ne lit pas assez ses propres auteurs, intérêts obligent) est de laisser publier des articles qui mettent sous l’éteignoir la pratique de changer le critère de jugement ou ne pas le publier ou à en publier qui n’ont pas été prévus.
Ce qui veut dire que l’on met en avant des résulats souvent faux obtenus par hasard (si on fait beaucoup de comparaisons sur beaucpoup de critères on en trouve qui par hasard apparaissent significatif, un peu long à expliquer ) , et que l’on retire les résulats a priori plus brobablement vrais qui déplaiesnet au sponsor ou à l’idée préconçue des auteurs, qui sinon s’effondrerait au prix de blessures intraitables (narcissiques).
La raison de changer ou cacher ne peut pas être honnête. Nous sommes face à une tricherie organisée et permanente.
Les auteurs ont besoin de publier pour leur carrières ou egos, les sponsors pour vendre.
Et nous devrions gober tout ça ? En tout cas on le paye:
– conséquences néfastes pour notre santé à l’occasion.
– VOS IMPOTS dans le gouffre de la sécurité sociale.
Mais tout de même au milieu de tout cela, encore des auteurs valables travaillant sur de vrais sujets qui font avancer. Heureusement. Rari nantes in gurgite vasto ( https://it.wikipedia.org/wiki/Rari_nantes_in_gurgite_vasto ).