Bonjour
Bouleverser la loi de bioéthique ? En finir avec la PMA thérapeutique et l’ouvrir au sociétal ? 1 Frileux comme jamais, les politiques se terrent. A l’air libre les experts s’expliquent – à commencer par le couple exemplaire, symbolique et maudit. René Frydman dans Le Quotidien du Médecin. Jacques Testart dans Le Monde. Ecoutons-les, une fois encore : chacun dans sa tour, dorée ou d’ivoire, ils nous disent beaucoup de notre monde.
René Frydman
Pourquoi ce manifeste « Nous médecins, biologistes, reconnaissons avoir aidé, accompagné certains couples ou femmes célibataires dans leur projet d’enfant dont la réalisation n’est pas possible en France » ?
« C’est tout simplement un effet de ras-le-bol et d’accumulation face à la souffrance des patientes que nous recevons en consultation et à notre difficulté à trouver des solutions à leurs problèmes en France. Je pense, par exemple, à cette femme que j’ai dû récemment envoyer en Angleterre pour pouvoir réaliser un diagnostic génétique préimplantatoire, actuellement interdit en France, s’il n’y a pas d’identification de facteur de risque. Résultat : sur 11 embryons obtenus, 10 comportaient une anomalie génétique. Ce qu’elle n’aurait pu savoir ici qu’une fois enceinte.
« Aujourd’hui, la trisomie 21 n’est pas dépistée en cas de fécondation in vitro ! Je pense aussi à ces patientes d’une trentaine d’années qui n’ont pas encore construit de vie familiale mais qui conservent le souhait de pouvoir le faire un jour. Le gouvernement a certes fait une avancée en octobre 2015 en autorisant les femmes nullipares à conserver une partie de leurs ovocytes, mais dans le cas où elles effectuent un don. La loi reste injuste. Quels arguments a-t-on pour s’opposer au fait qu’une femme veuille conserver ses ovocytes, alors que la conservation du sperme est autorisée sans restriction ? »
On observera que dans cet entretien le Pr Frydman se garde bien d’aborder le sujet le plus politique de ce « manifeste » (l’accès des femmes homosexuelles à la PMA) tout en maintenant sa condamnation de la GPA (« Car nous sommes opposés par principe à toute forme « d’utilisation » du corps d’une femme, même sans contrepartie financière »). De la même manière il n’aborde pas la question financière de la prise en charge des femmes homosexuelles qui auraient accès à la PMA) tout en vantant les mérites du système aujourd’hui en vigueur (« La France est le seul pays européen dans lequel jusqu’à quatre tentatives de FIV sont remboursées par l’assurance sociale. C’est aussi un pays remarquable par la vigilance de ses comités d’éthique. »)
Pour le reste il égratigne les médias (« qui imprègnent l’idée (sic) que l’on peut devenir mère sans problème jusqu’à 45 ans ».) et exprime sa volonté (affichée de longue date sans succès) de créer un Plan contre l’infertilité comme il existe d’autres plans nationaux, tels que le
Plan cancer, le Plan Alzheimer ou le Plan autisme. Il évoque enfin non pas une rémunération du don d’ovocytes mais bien un « système d’indemnisation » fixé par l’État comme c’est le cas au Royaume-Uni – « car c’est une démarche contraignante pour les donneuses tant sur le plan physique que de l’organisation ». A partir de quand une indemnisation devient-elle un équivalent de rémunération ? Prendrait-on en compte des variables socio-économiques ? La question n’est pas posée. Elle se posera
Jacques Testart
Il dénonce, logiquement, les non-dits des signataires du manifeste : « Ils ne disent pas si des documents ont été falsifiés pour obtenir le remboursement des actes prohibés, ni les complicités qu’ils ont pu établir depuis longtemps avec des praticiens à l’étranger, et ils évitent d’évoquer la contribution de certains d’entre eux à des pratiques que d’autres désapprouvent (comme la location d’utérus) ».
Quoique n’étant pas médecin il interprète ce qu’il perçoit comme un symptôme : « Leur démarche reflète un authentique malaise dans la profession et leur frustration au regard de ce qui est possible ailleurs, mais les signataires simplifient à l’extrême les enjeux bioéthiques pour les réduire à une supposée obligation de répondre à toutes les demandes présentées par des patients. L’escalade des exigences est argumentée comme une course sans limite. »
Il accuse la portée limitée du discours et reprend ses critiques récurrentes sur le pouvoir grandissant de la « biomédecine » et de sa propension eugéniste. Jacques Testart se présente comme « biologiste, pionnier de l’assistance médicale à la procréation ». Né en 1939, c’est un prophète qui sait que ces prophéties ne tarderont plus guère. Nous n’avons jamais été aussi proches de leurs réalisations. Jacques Testart écrit dans Le Monde depuis bientôt un quart de siècle.
Si l’homme est complexe sa lecture est limpide. Il n’est pas trop tard pour commencer à le découvrir. Il nous redit en ce mois de mars 2016 ce qu’il disait avant-hier : les temps que nous vivons seront bientôt « propice à la réalisation d’un véritable eugénisme mou et démocratique ». Et il ajoute que le « manifeste » de René Frydman a une vertu : il nous rappelle « que la bioéthique est l’art de poser des limites ». Qui les posera ?
A demain
1 Sur ce thème, lire sur Slate.fr : « Derrière l’interdiction de la PMA aux lesbiennes, une logique éthique »
2 On lira ici une liste actualisée des signataires telle qu’elle vient d’être publiée par Le Quotidien du Médecin. Il reste à faire la part des médecins et des biologistes ainsi que de leur secteur (public ou privé) d’activité.
2 réflexions sur “PMA : l’aveu du « ras-le-bol » de Frydman. Eugénisme: les prophéties nostalgiques de Testart”