Bonjour
La fatalité, une nouvelle fois, s’attaque au hasard. On vient de découvrir l’affaire, hors d’âge, du pneumologue célèbre et réputé de l’AP-HP qui émargeait depuis des années chez le géant Total. Le Canard Enchaîné de ce 23 mars vient remuer le couteau dans la plaie médiatique du Pr Michel Aubier (AP-HP). Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP, n’est pas cité.
Avantages consentis par les industriels
Et c’est ce même 23 mars que la Cour des comptes rend public, le 23 un rapport sur la prévention des conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire 1. Ce document avait été demandé par la commission des affaires sociales du Sénat. Il dresse notamment un premier bilan de la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé . Synthèse:
« Malgré son ambition, le dispositif de transparence institué par ce texte présente des failles majeures (absence de contrôle des informations déclarées, sanctions pénales sans réelle portée, interprétation très restrictive des avantages consentis par les industriels aux professionnels de santé).
« La vérification de sa mise en œuvre dans cinq organismes (HAS, ANSM, INCa, CEPS, Oniam) met en lumière de fréquentes anomalies, qu’il s’agisse du respect des obligations déclaratives, de l’analyse des liens d’intérêts et des modes de gestion des conflits d’intérêts, de la publicité des séances ou du contenu financier des conventions passées avec les professionnels de santé, sur lequel un premier éclairage est apporté.
« Ce bilan appelle, en complément de la loi du 26 janvier 2016, des mesures pour mieux organiser l’administration centrale et les agences sanitaires, soutenir l’indépendance et la qualité de l’expertise sanitaire, renforcer l’efficacité du dispositif de déclarations d’intérêts et instaurer un contrôle effectif de leur véracité par une instance indépendante. »
HAS, ANSM, INCa, CEPS, Oniam
Ainsi donc l’examen de la Cour a porté sur cinq organismes particulièrement concernés par la « question sensible de l’impartialité de la décision publique ». Trois d’entre eux ont été retenus au regard de leur rôle dans la chaîne du médicament, de manière à pouvoir auditer l’ensemble du processus de décision au regard de la problématique de la prévention des conflits d’intérêts : il s’agit de la Haute autorité de santé (HAS), de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), du Comité économique des produits de santé (CEPS), qui ont pris en 2015 respectivement 1 900, 9 000 (dont 7 000 portant sur des modifications d’autorisations de mise sur le marché), et 5 700 décisions.
Ont également été intégrés dans le champ de l’enquête l’Institut national du cancer (INCa), qui présente l’intérêt d’être à la fois une agence sanitaire et un organisme de recherche, et l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) qui prend un millier de décisions individuelles relevant de l’expertise médicale, mais dont les membres des instances décisionnelles en la matière sont soumis à la loi de décembre 2011.
La Cour rappelle que la question des conflits d’intérêts dans le champ sanitaire est au cœur des préoccupations de l’opinion publique qui exige que lui soit garantie l’impartialité des décisions prises par les responsables politiques et les agences sanitaires. Elle souligne que cette question « a pris une acuité particulière à la suite de l’affaire du Mediator ». C’est dans ce contexte qu’a été adoptée la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, dont une partie est consacrée à la prévention des conflits d’intérêts dans le champ sanitaire.
« Avantages au titre de l’hospitalité »
Extrait :
« Avec le Sunshine Act à la française, la publication de tous les liens financiers entre industriels et praticiens doit devenir effective. Cet instrument prévu par la loi n’a été mis en œuvre que récemment, en juin 2014, après une période transitoire de gestion par les ordres professionnels, et le recul manque pour apprécier l’efficacité de cet instrument. Les données consolidées restent lacunaires, seuls les avantages au titre de l’hospitalité et leur montant étant à ce jour publiés (soit 183,7 M€ en 2014).
« Le problème principal posé par l’interprétation de la loi a été le refus d’inscrire le montant des rémunérations accordées par les industriels, notamment au profit des investigateurs de recherche, en se fondant sur une soi-disant ambiguïté du terme « avantage ». (…) »
Saisir et clarifier
« Au total malgré les progrès réalisés, les trois dispositifs de transparence et de gestion des conflits d’intérêts restent incomplets. Ils ne permettent pas de rendre compte de façon simple et directe des liens entre les professionnels de santé et l’industrie et, dès lors, de garantir l’absence de tout conflit d’intérêts susceptible d’affaiblir la décision sanitaire.
« Les constats établis par la Cour montrent que cette politique est prise en charge par les agences sanitaires mais que certaines difficultés ne pourront être levées qu’avec une intervention plus affirmée des administrations centrales du Ministre chargé de la santé. Il en est ainsi de la mise à disposition du site unique de saisie et de publication des déclarations d’intérêts prévue par la loi de 2011, qui devient une urgence plus de quatre ans après sa promulgation. Il en va de même pour la nécessaire clarification des obligations déclaratives d’intérêts. »
La Cour formule dix recommandations, pour, notamment, « approfondir le dispositif de transparence ». Jusqu’où creuser pour trouver la clarté ?
A demain
1 Ce rapport est disponible à l’adresse suivante : « La prévention des conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire ».
Quand les conflits d’intérêt supplantent la rigueur scientifique et l’éthique, seules des pénalités financières amorceront un changement de la tendance pointée par la Cour des comptes…