Bonjour
« Les drogues, il vaut mieux ne pas en parler, car si on en parle, il faut hurler avec les loups ». La formule est prêtée à François Mitterrand, un homme qui savait ce qu’il en était des loups, des hurlements et des chiens. Jean-Marie Le Guen aime parler en général. Et, s’il le faut, des drogues. Dans les milieux autorisés on s’autorise à penser que le secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement était ici en service commandé. Ce responsable socialiste de longue date, ancien médecin, aurait été piqué par une mouche venue du Palais de l’Elysée. Et depuis sa sortie sur BFMTV le couvercle de la marmite cannabique est soulevée. « Enfumage politique, répondaient ce matin les jeunes de #NuitDebout interrogés par BFMTV. On ne nous aura pas comme ça. Il y a, aujourd’hui en France, d’autres priorités politiques que le cannabis. »
Qu’a dit Jean-Marie Le Guen qui répondait, lundi 11 avril, à la sage Ruth Elkrief ? Ceci :
« La prohibition du cannabis en France mérite d’être discutée (…) La prohibition n’amène pas la diminution de la consommation. Notre pays est l’un de ceux qui consomment le plus dans la jeunesse (…) Il faut réfléchir aux meilleures politiques publiques. Il faut discuter des modalités. Moi, je ne veux pas arriver avec une solution toute faite. Je dis que la situation actuelle ne marche pas, que ce soit au niveau des trafics et de la culture de ‘gangsterrorisation’ en quelque sorte que cela crée. Je pense qu’il faut peut-être aller vers des mécanismes de légalisation contrôlée mais surtout avec des politiques d’éducation et de santé publique (…)
Consommations sélectives
« Je suis un homme de santé publique. Je me suis toujours battu contre la consommation d’alcool, de tabac, et je me battrai toujours contre la consommation de cannabis chez les jeunes (…) Mais la prohibition n’est pas efficace (…) Il faut armer les jeunes pour véritablement les convaincre, il faut pouvoir leur tendre la main pour qu’ils ne restent pas dans cette consommation qui est dangereuse. C’est donc une approche sanitaire que je propose, et non pas une approche morale ou juridique.
« Je pense que l’on doit avoir des levées de l’interdiction qui seront très sélectives. D’abord pour les adultes et certainement pas pour les jeunes de moins de 21 ans. Et on verra dans quelles circonstances particulières, l’usage privé et certainement pas l’usage public (…) Je suis même pour le renforcement des sanctions, de la même façon que pour l’abus d’alcool on a renforcé les contrôles. »
Hostilité relative
Grand classique Jean-Marie Le Guen a tenu à préciser qu’il s’exprimait « à titre personnel » et non « en tant que membre du gouvernement ». C’est heureux. Aussitôt Stéphane Le Foll, porte-parole du gouvernement, a assuré qu’il n’y avait au gouvernement « aucune piste ni de travail, ni de réflexion » sur une éventuelle légalisation du cannabis.
« Il n’y a pas de dépénalisation du cannabis en vue », a renchéri la ministre de l’Education Najat Vallaud-Belkacem. Cette dernière est « assez hostile à ce qu’on envoie un signal » montrant « qu’on baisse la garde dans le combat contre les drogues ». Peut-être devrait-elle le dire plus souvent – et avant que ne parle son collègue Le Guen. Au sein du gouvernement composite, M. Le Guen a reçu un soutien prudent de l’écologiste Jean-Vincent Placé, opposé à « une illégalité totale », mais pour qui ce n’est pas « le moment de revenir sur ce débat ».
Débats intelligents
Cette affaire n’est pas vraiment nouvelle. Elle en deviendrait même presque lassante. Elle avait déjà été soulevée à l’automne 2012, quand Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, avait rappelé à l’ordre le ministre de l’Education de l’époque Vincent Peillon, qui souhaitait un débat sur la dépénalisation. Quelques mois plus tôt, l’exécutif avait rappelé son opposition sur le sujet, après une prise de position de l’écologiste Cécile Duflot.
En octobre, le chef de file des députés PS, Bruno Le Roux (très proche de François Hollande) avait jugé nécessaire de soulever le couvercle. Regrettant « un empêchement à avoir des débats intelligents dans ce pays », ce spécialiste de Seine-Saint-Denis a taclé mardi auprès de l’AFP ceux pour lesquels « il n’y a aucun problème de dealer, d’argent sale, de connexion entre argent sale et terrorisme, de consommation avec des qualités qui se dégradent ». Eléments de langage.
« Il y a aujourd’hui des sensibilités différentes au sein du PS », a reconnu auprès de l’AFP Corinne Narassiguin, porte-parole du PS. « Manuel Valls est absolument contre, beaucoup de gens considèrent qu’il faut garder cette approche très sécuritaire, d’autres sont sur des positions beaucoup plus ouvertes ».
Vieilles lunes de la gauche
A droite, petit hallali. On a aussitôt accusé le gouvernement de démagogie, au lendemain de mesures en faveur des jeunes et sur fond de mobilisation étudiante contre le projet de loi travail. « Comme par hasard, le même jour, en direction des jeunes, d’un côté 500 millions, de l’autre, regardez, on est ouvert, on est sympa, on propose un débat sur la dépénalisation du cannabis. C’est juste pas sérieux » a dénoncé Benoist Apparu (Les Républicains).
« Ces temps-ci, j’ai un peu l’impression qu’on assiste à tout le retour des vieilles lunes de gauche. Est-ce que c’est la façon de répondre aux attentes des jeunes ? » s’est interrogé Laurent Wauquiez (LR). « Je pense surtout que la légalisation du cannabis serait un signal extrêmement laxiste envoyé à la jeunesse » a estimé François Fillon (LR) candidat à la présidence de la République. « Le gouvernement tente toutes les promesses et les sorties possibles pour calmer » la colère des jeunes, a fait valoir le Front national.
Silence de Marisol Touraine
Autant d’accusations rejetées par la ministre du Travail Myriam El Khomri, pour qui les propos de M. Le Guen n’ont « strictement rien à voir avec [sa] (sic) loi ni par rapport au contexte ». « Qu’on s’interroge sur l’efficacité de notre politique pénale, c’est tout à fait normal et tout le monde le fait, l’ensemble des ministères concernés (…) Mais personne n’est en mesure de dire aujourd’hui quelle est la bonne réponse » confiait-on à la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives. On en attendrait plus d’un organisme dont la mission est, précisément, de souffler les bonnes réponses aux responsables politiques.
Dans ce concert, un silence remarqué : celui de la ministre de la Santé. Qui a dit que parler des drogues conduit immanquablement à hurler avec les loups ?
A demain