Camisoles et éthique : peut-on attacher les malades dans les établissements psychiatriques ?

 

Bonjour

Dans un monde parfait les insensés 1 ne seraient jamais attachés dans les établissements psychiatriques. Dans ce monde ces établissements n’auraient jamais été construits – et la raison pure aurait triomphé. Pour l’heure on tente de progresser – c’est notamment pourquoi on a, en France, créé le poste de « contrôleur général des lieux de privation de liberté » (CGLPL). Il est aujourd’hui occupé par Adeline Hazan, 60 ans, ancienne présidente du Syndicat de la magistrature devenue adhérente au Parti socialiste puis maire de Reims.

Pertinences thérapeutiques

Mme Hazan s’est intéressée aux cas des « malades mentaux » et plus particulièrement ceux qui sont « à l’isolement ou attachés ». Elle en a fait un rapport où elle déplore « l’abus de ces pratiques » et l’atteinte aux droits des patients qu’elles entraînent dans « certains établissements psychiatriques ». On peut lire son rapport ici : « Isolement et contention dans les établissements de santé mentale ». Avertissement préalable :

« Il n’appartient pas au CGLPL d’apprécier la pertinence thérapeutique du recours à ces mesures coercitives. Mais il lui revient de s’assurer du respect des droits fondamentaux des personnes hospitalisées sans leur consentement et dans ce cadre il constate que ces pratiques leur portent une atteinte certaine, plus au moins grave, plus ou moins étendue selon les circonstances. »

Vaste entreprise : Pour la première fois depuis sa création en 2008, le CGLPL a établi un bilan thématique de ses 121 visites dans 112 établissements de santé mentale représentant 40% des sites spécialisés en psychiatrie. Il porte sur deux pratiques anciennes qui « connaissent une recrudescence depuis une vingtaine d’années », « l’isolement », ou le placement d’un patient dans un espace fermé qu’il ne peut ouvrir, et la « contention mécanique », qui consiste à l’immobiliser par des liens, attaches ou camisoles.

Isolements et contentions

« La grande majorité des unités de soins visitée disposent d’une, voire de deux chambres d’isolement et de matériel de contention », explique le rapport qui sera publié aux Editions Dalloz. Pour les médias ce sera « le rapport qui accuse ». « Aucune étude ne prouve l’efficacité thérapeutique de ces mesures », a souligné devant la presse Adeline Hazan, qui voit dans leur développement un « indicateur de la dégradation de la prise en charge médicale des malades ». C’est bien possible. Pour autant serait-ce si simple ?

Pour la CGLPL, ce développement s’explique par « une réduction des effectifs », « la présence insuffisante des médecins », « une évolution de l’approche psycho pathologique » et « un manque de réflexion d’ensemble sur la liberté de circulation des patients ». N’est-ce pas là, pour partie, une lecture réductrice de la réalité psychiatrique ?

« L’impératif de sécurité » est également mis en avant, souligne Adeline Hazan. Selon elle le malade mental « ne bénéficie pas de la représentation qui s’attache à toute maladie: souffrance, fragilité, besoins de soins, compassion » en raison d’un présupposé sur sa dangerosité, « plus alimenté par le traitement médiatique d’évènements exceptionnels que par une réalité statistique d’un quelconque danger ».

Régressions et neuroleptiques

On peut le dire autrement : Mme Hazan nous parle d’une régression collective dans notre rapport à la folie ; un rapport que le développement des neuroleptiques suivi de nouvelles grilles de lecture, avaient, dans les années 1970, permis de faire évoluer. Parmi ses observations Mme Hazan dit constater un détournement de l’utilisation d’outils prévus pour faire face à des situations de crise limitée dans le temps – détournement à des fins disciplinaires ou de sanction. « Certains services allant jusqu’à établir un barème en jours d’isolement en fonction de la transgression à des règles fixées » affirme –t-elle.

Certains règlements intérieurs prévoient un séjour systématique des patients à l’isolement lors de leur admission pour des durées pouvant atteindre 15 jours. Quant aux détenus, ils sont systématiquement placés en chambre d’isolement. Les modalités de contention ne sont pas uniformes allant de deux membres à quatre membres, au buste et au bassin attachés. « Certains, attachés, n’ont d’autre choix que d’attendre le passage d’un infirmier, parfois seulement toutes les deux heures et moins la nuit, pour obtenir à boire, demander le bassin ou signaler un malaise. »

Pyjamas sans intimités

Le rapport ajoute que le droit à l’intimité est bafoué par le développement de la vidéosurveillance, voire l’installation de micros et de caméras thermiques « attentatoires à la dignité des patients ». Mme Hazan déplore également « les interdictions de visite », des patients obligés de manger par terre en utilisant leur lit comme table, l’obligation du port du pyjama sans justification médicale et l’absence d’activité. Serions-nous en noir et blanc, avant Saint-Alban ?

Dans ces recommandations Mme Hazan estime que « tout doit être mis en œuvre pour apaiser la personne en situation de crise avec des approches alternatives à une mesure de contrainte physique ». Elle plaide pour une traçabilité de ces pratiques avec la tenue d’un registre, une information de la personne concernée et de ses proches sur les droits de l’enfermé. Elle réclame, enfin, qu’un examen psychiatrique préalable soit systématiquement réalisé et que la décision de contention ou d’isolement soit motivée pour justifier son caractère « adapté, nécessaire et proportionné ». « La mesure de contrainte physique doit être la plus courte possible et ne saurait dépasser la situation de crise » : pas plus de  24 heures pour l’isolement et pas plus de 12 heures pour la contention.

Poulaillers

Qui reprendra tous ces extraits tirés d’une dépêche de l’AFP ? Nous sommes le 25 mai 2016 est la France est en émoi : une association qui défend les droits des animaux vient de diffuser une vidéo donnant à voir les souffrances animales endurées au sein d’un élevage industriel de poules pondeuses. Grosses reprises. De la difficulté, en somme, de hiérarchiser les souffrances.

A demain

1 Nous venons d’assister à la projection (au ciné-club de l’Ecole Normale Supérieure, rue d’Ulm) à la projection d’un remarquable documentaire. Intitulé « Le sous-bois des insensés : une traversée avec Jean Oury » il redonne vie au visage, à la parole et à la pensée du Dr Jean Oury, fondateur de la clinique de La Borde (Cour-Cheverny) et personnalité hors du commun dans le champ de la pratique psychiatrique française.

Jean Oury, mort en 2014

Deux ans avant sa mort, survenue en 2014, l’homme nous parle depuis son bureau à la lisière ombrageuse de la Sologne. Il nous dit quelques fragments d’une vie consacrée à accueillir ceux qui souffrent de la folie, à chercher à la comprendre et, partant, à comprendre en quoi le pathologique psychiatrique est inscrit sous les peaux normales, amincies ou tannées. Oury conteur, Oury charmeur, Oury-Guattari, Oury orgueil, Oury réactionnaire, Oury dont on a bien du mal à se défaire.

« Témoignage précieux d’un des acteurs majeurs de la psychiatrie du XXe siècle, ce film nous invite à partager la qualité d’une rencontre dont les enjeux excèdent de toute part le champ clinique, nous dit Martine Deyres, la réalisatrice. En nous entraînant au plus proche d’une connaissance subtile de la psychose, Il renvoie chacun à une essentielle reconquête d’humanité. » On ne dira pas mieux. Sinon que sa projection ne serait pas superflue dans les amphithéâtres des facultés de médecine (et/ou sur iphones et tablettes).

Ce documentaire de 89 minutes a été produit par « Les Films du Tambour de Soie » (Co-production : TV Tours Val de Loire). Il sera prochainement disponible en DVD. Nous en reparlerons à cette occasion.

3 réflexions sur “Camisoles et éthique : peut-on attacher les malades dans les établissements psychiatriques ?

  1. Tous les problèmes n’ont pas ipso facto, sui generis et naturellement une solution, notamment une solution facile.

    Par contre des bavards, parfois en position de chef , ou des politiques eux ont toujours quelque chose à dire. Sui generis.
    Et souvent du style « yaka » ou salticabriolesque comme disait le grand Charles.

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