Stupéfiant : depuis vingt ans l’effet placebo rattrape celui de certains médicaments

 

Bonjour

C’est un éditorial bien passionnant, bien dérangeant, que signent, dans la dernière livraison de la Revue Médicale Suisse 1 les Drs Marc Suter et Anne-Françoise Allaz (Centre d’antalgie, Service d’anesthésiologie CHUV, Lausanne).

« L’effet placebo continue de fasciner et d’intriguer, et ce particulièrement dans le traitement des maladies ou des plaintes dont la principale mesure est subjective, comme c’est le cas de la douleur, écrivent-ils. Des travaux récents ont mis le doigt sur des dimensions rarement évoquées jusqu’ici : la variabilité de l’effet placebo avec le temps et sa dimension géographique. »

De quoi s’agit-il ? On sait que les études randomisées contrôlées contre placebo recherchent une différence entre le placebo et la substance active. A la suite des résultats décevants de plusieurs essais médicamenteux antalgiques, des chercheurs de Montréal ont eu l’idée, assez originale, d’analyser l’évolution de l’effet placebo au cours du temps : « Increasing placebo responses over time in U.S. clinical trials of neuropathic pain ». Ils ont analysé  Des études randomisées contrôlées, publiées entre 1990 et 2013, concernant les traitements des douleurs neuropathiques ont été analysées.

Antidépresseurs et hypolipémiants

Depuis Lausanne et Genève les deux spécialistes suisses du en résument les conclusions.

« Les scores basaux de douleur n’ont que peu évolué pendant la période examinée. L’effet placebo est responsable d’une diminution moyenne de 18 % des douleurs par rapport à la valeur de base, alors que les médicaments actifs les diminuent en moyenne de 34 %. Etonnamment, l’effet placebo a augmenté significativement au cours des 23 années analysées alors que l’effet des médicaments est, lui, resté stable.

« Ceci implique que la différence entre le placebo et le médicament actif a considérablement diminué au cours de cette période (de 27 % à 9 %), expliquant les résultats négatifs de certains essais médicamenteux. Une même tendance a été démontrée dans des études concernant d’autres domaines comme celui des antidépresseurs et antipsychotiques mais également des hypolipémiants. »

Comment comprendre ? Cette augmentation de l’effet placebo au cours de ces vingt dernières années est principalement attribuée à des modifications méthodologiques. Plus précisément l’effet placebo dépend du type de design expérimental et des échelles utilisées. Mais dans tout cela le facteur qui contribue le plus à l’augmentation de l’effet placebo au cours du temps est la modification importante de la durée des études pendant la période observée.

Dépression et mauvaises graisses

Plus important encore : cette prolongation agirait via des mécanismes non spécifiques – par exemple « une augmentation de l’attention portée aux sujets de l’étude, en raison du plus grand nombre de contacts avec les équipes de recherche, accompagnés d’effets de soutien et d’éducation ». Si l’on comprend bien, bien au-delà de la molécule chimique prescrite, l’attention (pourrait-on dire la bienveillance) accordée au patient algique jouerait pour son propre compte. Et il en irait de même pour la dépression et les mauvaises graisses dans le sang…?

C’est là une figure inversée du terrible Knock de Jules Romains. C’est aussi une donnée qui, si elle était largement diffusée, aiderait à calmer les prétentions financières et tyranniques de Big Pharma. C’est enfin une leçon qui mériterait d’être enseignée à toutes celles et ceux qui se font une joie de comprendre et de calmer les douleurs de leurs semblables.

A demain

1 « De la variabilité de l’effet placebo », Rev Med Suisse 2016;1211-1212. Sur abonnement.

 

Une réflexion sur “Stupéfiant : depuis vingt ans l’effet placebo rattrape celui de certains médicaments

  1. Intéressant.
    On a tendance à considérer l’effet placebo comme on considère les médicaments, comme si on pouvait le circonscrire et l’isoler. Or, à la différence du médicament le placebo a une action non spécifique et est favorisé par des interventions non spécifiques.
    Une autre explication à ce rapprochement, additionnelle à celles avancées, est que la définition des maladies a changé et que le champ de la pathologie s’est étendu : on fait entrer dans le champ de la pathologie une population beaucoup plus large qu’auparavant, y compris par les modifications de seuils de traitement pour les facteurs de risque qui se traduisent sous forme de variables quantitatives (HTA, glycémie, hypercholestérolémie). Dans ce cas l’augmentation apparente de l’efficacité du placebo cacherait une diminution bien réelle de l’efficacité et de l’utilité des traitements prescrits à des populations qui n’auraient pas été considérées comme malades 20 ans en arrière.

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