Dépakine®-Distilbène® : trente-trois ans de défaillances dans la surveillance des médicaments

 

Bonjour

« Dépakine® la veille sanitaire en accusation » titre La Croix dans son édition du 11 août. C’est un bon titre qui ne vieillit pas : on aurait pu l’utiliser pour toutes les « affaires sanitaires » médicamenteuses depuis celle du Distilbène®, dénoncée dans Le Monde  il y a trente-trois ans 1. Un bon titre, vraiment. Encore faudra-t-il s’entendre sur ce qu’est la « veille sanitaire » appliquée non pas aux épidémies mais bien aux médicaments.

« Les révélations du Canard Enchaîné posent une question cruciale, observe La Croix. Pourquoi autant de médecins n’ont-ils pas informé leurs patientes des risques du médicament anti-épileptique, connus depuis les années 1980 ? » C’est une bonne question. Elle vaut aussi pour (presque) toutes les « affaires sanitaires » médicamenteuses. A commencer par celle du Distilbène®.

Errements passés

Le rapprochement des deux affaires pourrait donner le vertige : au moment où la France découvrait la réalité du risque Distilbène® : les premières observations laissaient redouter que la Dépakine® pouvait exposer à un risque de foetopathies. Trente-trois ans plus tard l’affaire Dépakine® refait la Une – et nombre de médias trop pressés  font l’économie des dernières étapes de ce dossier. Or c’est un dossier qui voit (enfin) l’exécutif ministériel traiter publiquement des errements des exécutifs passés. Ces errements sont abordés dans un rapport de l’IGAS rendu public en février dernier 2 et qui taisait malheureusement ( une nouvelle fois) l’action volontariste de certains médias œuvrant en amont de la justice.

Nous avons vu ce qu’il en était des accusations du Canard Enchaîné, accusations réfutées pour l’essentiel par le ministère de la Santé.  Ce ministère l’affirme : il n’y a pas « d’étude cachée » et un travail est en cours (en liaison avec l’association des familles concernées) pour tenter, autant que faire se peut, de trouver des réponses et des indemnisations. Une enquête est d’autre part en cours et la justice sera sans doute amenée à situer ici ce qu’il en est des responsabilités et des fautes commises à différents niveaux dans le passé.

Aréactivité des autorités

Tout ceci, éditorialise La Croix  « épaissit le dossier qui met en cause la réactivité des autorités sanitaires pour informer les patients des effets indésirables de certains médicaments ». Un dossier épais de trente-trois ans.  La Croix (Dominique Greiner):

« Les procédures de signalement et d’enregistrement des effets secondaires de la molécule ne semblent pas en cause dans cette inertie sanitaire. Seulement, les autorités sanitaires n’ont pas su tirer les conséquences des données accumulées au fil des ans. Ce dossier douloureux de la Dépakine®, qui vient après celui du Mediator®, oblige à repenser la pharmacovigilance dans son ensemble pour une meilleure coordination et information de tous les acteurs de la filière du médicament, depuis l’industrie pharmaceutique et jusqu’aux prescripteurs, en passant par toutes les autorités de contrôle. Un véritable défi à l’heure où les uns et les autres pourraient être tentés de se dédouaner de leurs responsabilités face aux demandes d’indemnisation des familles qui reprochent au monde médical de ne pas les avoir prévenues des risques courus. »

 Progresser collectivement

Réactivité incroyablement défaillante des « autorités sanitaires » ? Sans aucun doute. Et force est bien de constater que la transformation de la fantomatique « Direction de la pharmacie et du médicament » des années 1980 en pléthorique  « Agence nationale de sécurité du médicament » (supposée indépendante) n’aura pas permis d’éclairer les rôles et les responsabilités des deux acteurs majeurs : d’une part les fabricants et d’autre part les prescripteurs des médicaments incriminés. Les premiers, puissants et fortunés, fuient de manière quasi systématique leurs responsabilités éthiques tandis que les seconds se réfugient le plus souvent dans la position de ceux qui n’étaient pas assez informés. C’est en partie vrai. Cela ne saurait tout justifier

Affairisme de certains avocats … quête du scandale….émotions contagieuses…, tout cela peut conduire à des caricatures  médiatiques récurrentes. Ces caricatures ne sont d’ailleurs  pas toujours sans vertus. Pour autant, le plus souvent, au-delà de l’émotion, elles n’aident ni à vraiment comprendre ni à progresser collectivement. On en vient ainsi à tout niveler – assimiler des comportements injustifiables à des failles certes inacceptables mais qui, tout bien pesé, concernent des médicaments dont les graves effets secondaires ne sauraient faire oublier l’efficacité qui était recherchée.  De ce point de vue les failles inacceptables de la  Dépakine® ne sont en rien en rien comparables aux invraisemblables affaires du Distilbène® et du Médiator®.

« La veille sanitaire en accusation » ? Sans doute, une fois de plus l’est-elle. Et après ? A quand le vrai procès, en présence de tous les accusés ? A quand le vrai jugement ? A quand les vrais jumelles ?

A demain

1 « Trente ans après… Les enfants du distilbène », Dr Claudine Escoffier-Lambiotte (Le Monde du 16 février 1983). Dès le lendemain de la publication de cet article consacré aux dangers liés à l’administration de diéthylstilboestrol (ou Distilbène®) à des femmes enceintes, le ministère de la Santé publiait un communiqué dans lequel il soulignait  « ce problème est bien connu des autorités et des médecins depuis de nombreuses années » :

« Depuis avril 1977, indique le ministère, le produit est officiellement contre-indiqué chez les femmes enceintes ou susceptibles de l’être, et la motivation (survenue de lésion génitale chez les enfants nés de mère ayant reçu cet œstrogène de synthèse durant leur grossesse) figure obligatoirement dans la publicité faite auprès du corps médical et du public.

« L’enquête effectuée par la Mutuelle générale de l’éducation nationale  » tend à concerner les dangers de ce produit chez la femme enceinte mais semblerait indiquer que le phénomène n’a pas la même ampleur ni la même gravité que dans d’autres pays « , ajoute le ministère, qui indique que  » les résultats détaillés de cette enquête très récente  » doivent être soumis à la commission nationale de pharmaco-vigilance. »

On lira ici la réplique du Dr Escoffier-Lambiotte : « Carence de l’information et panique injustifiée » (Le Monde du 21 février 1983)

2 On trouvera ce rapport ici : « Enquête relative aux spécialités pharmaceutiques contenant du valproate de sodium ». Ce document taisait malheureusement  l’action volontariste de certains médias qui, dans ce dossier ont œuvré en amont de la justice pour tenter de faire la lumière. Ce n’est pas la première fois, il est vrai, que l’IGAS peine à reconnaître le rôle joué par certains titres de la presse en matière de décryptage des errements sanitaires.

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