Bonjour
« Chipoter ». C’est le verbe assez familier (premier degré) utilisé par Marisol Touraine. Elle aurait pu dire « mégoter » 1. La ministre de la Santé s’exprimait aujourd’hui au micro du « Grand Jury » RTL-LCI-Le Figaro. Il s’agissait ici de l’indemnisation (par l’Etat) des quelques milliers de victimes de la Dépakine®.
« Chipoter » ? Est-ce pour mieux se faire comprendre de la population ? Elle aurait aussi pu user d’ « ergoter », de « marchander », de « discuter avec mesquinerie », de « chicaner ». Non, c’est acté : l’Etat « ne chipotera pas ». On entend déjà la joie des avocats. Pour autant d’autres tremblent. Car ce même Etat se retournera vers d’autres responsables, si autres responsables il y a. Tous les yeux sont tournés vers le groupe français Sanofi – qui a déjà assuré de jamais avoir failli.
Gérard Bapt retoqué
Mais encore ? L’Etat français s’auto flagellera-t-il pour ne pas avoir su bâtir une « Agence du médicament » suffisamment vigilante ? Ira-t-il jusqu’à poursuivre des prescripteurs peu regardants ou n’ayant pas su suffisamment échanger avec leurs patientes épileptiques ou bipolaires ? Nul ne sait. Pour l’heure cela donne :
« Il faut que les victimes soient indemnisées rapidement et simplement. On ne va pas chipoter. Et s’il pense que d’autres responsables que l’Etat sont en jeu, alors il va se retourner contre eux. »
On savait qu’un fonds d’indemnisation sera voté au Parlement d’ici à la fin de l’année pour ces victimes. Mais on sait aussi, désormais, que l’idée d’un financement de ce fonds via une taxe sur tous les produits de santé est retoquée. Cette idée avait été préconisée il y a quelques jours par le député (socialiste) Gérard Bapt. Marisol Touraine, contre toute attente, estime que cette solution ne serait « ni très juste, ni très morale ».
Argumentaire risqué
Comment cela ? « Je suis pour que ceux qui sont responsables paient et pas pour que tout le monde mette au pot » a expliqué la ministre de la Santé en citant l’exemple de la responsabilité du laboratoire Servier dans le scandale du Mediator®. Cet argumentaire est d’autant plus curieux que tout le monde s’accorde pour dire que, précisément, l’affaire de la Dépakine® est structurellement aux antipodes de celle du Mediator®. Qui, précisément est responsable dans l’affaire de la Dépakine® ? Et qui le dira ?
On ajoutera que cet argumentaire est politiquement à haut risque dans la mesure où de très nombreuses associations viennent de se prononcer pour que l’on prenne enfin « Big Pharma par les cornes ». Marisol Touraine a par ailleurs précisé les modalités de la mission confiée au début de l’année à deux magistrats concernant les modalités des indemnisations. Ces magistrats vont notamment « se prononcer sur le mécanisme de l’indemnisation, sur la date à partir de laquelle on va considérer que l’information devait être donnée, c’est-à-dire la date à partir de laquelle les données scientifiques étaient bien connues, et sur les éventuelles responsabilités des uns et des autres ».
Rude et vaste travail confié à ces deux magistrats. Qui les conseille ? On espère pour eux qu’il n’auront pas à trop ergoter.
A demain
1 « Chipoter », c’est aussi : Manger du bout des dents, lentement et sans appétit. Nana chipota la viande, se contenta de sucer l’os (Zola, Nana,1880) ; Tâter, tripoter, examiner avec insistance et sans délicatesse. Où qu’elles s’amènent les crécelles pour chipoter la camelote, c’est plus qu’un massacre (Céline, Mort à crédit, 1936).
Quant à la chipoterie c’est une dispute sur des vétilles, souvent avec un esprit de chicane. Le système constitutionnel (…) c’est le gouvernement du juste-milieu, de la médiocrité, des chipoteries (Balzac, Petites misères de la vie conjugale,1846).