Bonjour
Est-ce encore du journalisme ou, déjà, de la publicité ? Dans le dernier numéro du Point on découvre, page 28, un papier consacré à la « renaissance » de l’hôpital Laennec. On y célèbre les vertus du groupe Kering dont Artémis, par ailleurs propriétaire du Point, est le principal actionnaire. Kering, donc, qui lors des Journées du Patrimoine « a ouvert au public les murs de son tout nouveau siège parisien de la maison Balenciaga ». Nous sommes là en lieu et place de l’ancien hôpital Laennec » sur un site d’exception. Sous la houlette de l’architecte Benjamin Mouton on a retrouvé « la physionomie historique de l’ancien « hospice des Incurables ». Il est des rapprochements proprement impayables.
« Par delà la cour d’honneur, la chapelle édifiée sous Louis XIII et les deux zones de bâtiments formant une croix de Jérusalem, un petit pavillon de réception signé Pierre Yovanovitch mélange les genres (…) Côté jardis, les espaces verts du paysagiste Philippe Raguin semblent des potagers propices à la sérénité. Calme, luxe et volupté… La beauté simple des lieux transfigure l’héritage de ce joyau architectural du Paris historique. »
Les espaces verts sont « dans l’esprit des jardins médiévaux et le showroom de la maison Balenciaga épatera plus d’un gogo.
Allianz, géant de l’assurance
C’est un autre son de cloche que nous donne Radio Notre Dame : « La chapelle de l’ancien hôpital Laennec a perdu son âme ». Loin de Balenciaga elle s’est intéressée, lors des mêmes Journées du Patrimoine, à l’antique chapelle de l’ancien hôpital. Chapelle dont on avait « ouvert les portes pour la première fois depuis 2011. »
« Visiter la chapelle de l’ancien hôpital Laennec, c’est impossible depuis plus d’une dizaine d’années. Le bâtiment a beau être un monument historique, il est désormais dans le domaine privé, et son propriétaire en interdit l’accès au public. »
On rappelle qu’en 2002, l’hôpital Laennec a été vendu, ainsi que les hôpitaux Broussais et Boucicaut, par l’AP-HP. Les ventes visaient à financer l’hôpital européen Georges Pompidou. L’ancien hôpital est alors acquis par Allianz, géant mondial de l’assurance.. A partir de cet instant Allianz ferme les portes de la chapelle et en refuse l’accès aux visiteurs. « Monument privé. Défense d’entrer ! ».
En 2006, le « comité « Laennec-Turgot » de salut public est créé. L’association revendique la préservation du site et l’accès au public. Arlette Vidal-Naquet est un des membres les plus fervents du comité : la chapelle n’a pas été désacralisée depuis son passage dans le domaine privé.
Histoire de France
« Elle est à la fois toujours sacralisée, toujours cultuelle et c’est maintenant une salle polyvalente dans laquelle repose des hommes qui ont participé à l’histoire de France ». Parmi eux : Turgot, le célèbre ministre des Finances de Louis XIV. Mais il n’est pas le seul à reposer dans la chapelle Laennec. Jean-Pierre Camus, l’évêque de Belley, Madame de la Sablière, le cardinal de la Rochefoucauld… Autant de personnages illustres de France dont la sépulture se trouve dans la chapelle. Une chapelle qui a bien changé. Aujourd’hui, c’est une salle polyvalente où ont lieu des expositions photos et des défilés. »
« Le cardinal de la Rochefoucauld avait donné au peuple de Paris au 17e siècle ce périmètre de deux hectares, pour permettre aux nécessiteux d’avoir un fin décente. La chapelle est au milieu du site, et c’est le point stratégique. Grâce à sa situation, les malades pouvaient entendre la messe, peu importe où ils étaient sur le site .La chapelle, offerte au peuple, lui est aujourd’hui fermée. »
Arlette Vidal-Naquet est allée dans la chapelle lors des journées du patrimoine. Son témoignage est plus que précieux.
« Comme prévu par le groupe Kering, locataire des lieux, lors des travaux, la chapelle est devenue un lieu dédié aux expositions. Ainsi, dans la nef, l’exposition « Echos » s’affiche, avec une sélection de pièce de la collection Pinault.
« Quand vous arrivez dans la cour d’honneur, le buste de Turgot a disparu. A la place, il y a une maquette montrant les travaux réalisés. En entrant dans la chapelle, il y a quatre Christ crucifiés sur le mur de gauche. Ce sont des Christs en lames de métal tranchant réalisés par Adel Abdessemed. »
Tintement métallique
« En face, une autre oeuvre d’un artiste contemporain est exposée : neuf linceuls alignés et sculptés en marbre. C’est une réalisation d’un italien, Maurizio Cattelan. Sur la droite, la salle où reposaient avant les nécessiteux, est désormais dédiée à la maison Balenciaga. Dix années de créations y sont exposées. Et puis, il y a une extrapolation de la dernière Cène de Léonard de Vinci, réalisé par Andres Serrano. »
« Ainsi, l’autel de la chapelle n’est plus visible, toute référence aux malades et au culte est effacée. Cette chapelle toujours cultuelle et sacralisée n’est plus qu’une salle polyvalente. L’exposition dans ce lieu est effroyable, insupportable. La chapelle Laennec a perdu son âme ».
Qui, chez les nouveau riches, se souvient des Incurables et des Nécessiteux ? Qui a encore sur le tympan le tintement métallique de Laennec ? Combien sont-ils à se souvenir de la conférence de presse stratosphérique donnée ici en toute urgence par un Pr Philippe Even déchaîné ? Il venait, avec la ciclosporine (et la bénédiction voisine de Georgina Dufoix) de trouver la panacée contre le sida. C’était en octobre 1985, trente-et-un ans déjà. Les dés étaient-ils jetés ? Quelle est la part du hasard et celle de la nécessité ? Qui le sait ?
A demain
A Toulouse au moins l’hôpital La Grave des gueux et des filles de joie n’a finalement pas été transformé en hôtel 5 étoiles …