Bonjour
Cela couvait, c’est acté : des juges d’instruction vont enquêter dans l’affaire de la Dépakine®. C’est ce qu’a indiqué à l’AFP une « source judiciaire ». Le parquet de Paris a ouvert jeudi 22 septembre une information judiciaire. Celle-ci fait suite à l’enquête préliminaire menée sous son autorité depuis septembre 2015. La « source » a précisé que l’instruction était ouverte pour « tromperie sur les risques inhérents à l’utilisation du produit et les précautions à prendre ayant eu pour conséquence de rendre son utilisation dangereuse pour la santé de l’être humain ». Les investigations porteront sur la période de 1990 à avril 2015.Et l’on saura, in fine, ce qu’il peut parfois en coûter de manquer de réactivité.
C’set un rebondissement de taille dans une affaire désormais sous l’œil des médias. C’est aussi une nouvelle équation qui verra la justice travailler sur un dossier radicalement différent des « affaires » et autre « scandales » observés ces dernières décennies dans le champ du médicament. Les juges d’instruction auront la tâche facilitée par le récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) rendu public le 23 février par le Pr Benoît Vallet, Directeur Général de la Santé. On trouvera ce rapport ici : « Enquête relative aux spécialités pharmaceutiques contenant du valproate de sodium ». Ce rapport avait été demandé en juin 2015 par Marisol Touraine, ministre de la Santé (qui demandait alors une remise des conclusions pour le 15 septembre de la même année).
« Manque de réactivité »
On peut lire ceci, dans la synthèse du rapport de l’IGAS :
« Le constat de la mission est celui d’un manque de réactivité des autorités sanitaires et de celui du principal titulaire de l’autorisation de mise sur le marché [le groupe Sanofi-Aventis]. Les alertes ont, au plan français et européen, motivées d’avantage par des signaux exogènes, notamment médiatiques, que par une prise en compte des données de pharmacovigilance et des publications scientifiques ».
« Terrible langue de bois, écrivions-nous alors. Pourquoi ne pas dire, plus précisément, quels sont les responsables de cette faute ? Et pourquoi ne pas détailler le travail de certains médias qui, en alertant comme ils l’ont fait, ont réussi in fine à pallier une forme d’incurie des autorités publiques. »
On a vu, depuis les développements politiques de ce dossier. Le ministère de la Santé accepte l’idée que plus de 14 000 femmes enceintes ont été « exposées » entre 2007 et 2014 à ce médicament et a annoncé la mise en place d’un dispositif d’indemnisation des victimes. Pour l’heure le groupe Sanofi-Aventis refuse de reconnaître de possibles insuffisances et, donc, de participer aux futures indemnisations qui pourraient être d’un montant global considérable (Le Figaro avançait récemment le chiffre de six milliards d’euros)
« Dès 1968 on lisait… »
Les juges d’instruction pourront aussi se pencher sur les écrits de François Chast, professeur de pharmacie à l’université Paris Descartes auteur de l’ouvrage : Les Médicaments en 100 questions, éditions Tallandier. Et plus particulièrement sur un extrait repris il y a peu sur le site The Conversation : « Après le Mediator, la Dépakine ? » :
« Dès 1968, on lisait dans le prestigieux journal Lancet : « Avant de créer l’anxiété à propos de médicaments utiles, il serait pertinent de savoir si d’autres personnes ont rencontré cette association [entre la Dépakine et une malformation] avant d’inclure les antiépileptiques dans la liste des causes de becs-de-lièvre et de fente palatine ». Il y avait déjà un doute. Les anomalies de fermeture du tube neural (spina bifida) ont été décrites en 1982, toujours dans la revue Lancet. Cette malformation, très sévère, nécessite de nombreuses interventions chirurgicales pendant l’enfance. Et pendant plus de quarante ans les alertes se sont succédé… de plus en plus démonstratives, de plus en plus évidentes !
« En 1974 la mention de « tics » apparaît dans la rubrique des effets indésirables. En 1984, on définit un syndrome de retard mental ou d’autisme chez des enfants exposes in utero. En 1985, il est signalé : « En cas de grossesse, réévaluer la balance bénéfice/risque. » Dix ans plus tard, on note un renforcement des mises en garde dans la « notice patient » avec la mention de cas de polymalformations et de dysmorphies faciales. Enfin, en 2004, l’accumulation des signaux justifie des mesures d’information à l’attention des prescripteurs et des patients.
Rétropédalages
« Alors qu’en 2005 les risques malformatifs sont spécifiquement attribués au médicament, en revanche, les retards de développement et l’autisme font dire à l’industriel que les résultats des études sont « contradictoires ». C’est en 2006, seulement, que le Résumé des caractéristiques du produit (RCP, véritable carte d’identité du médicament, précisant ses caractéristiques en termes d’indications, de contre-indications, d’interactions médicamenteuses et de précautions d’emploi) mentionne ces retards : « Pas de diminution du QI global mais légères diminutions des capacités verbales et de hausse du recours à l’orthophoniste. » Le médicament est « déconseillé » aux femmes enceintes.
« Pourtant, la Haute Autorité de Santé indiquait en 2010 « qu’aucun effet indésirable nouveau et grave n’était signalé depuis 2004 ». C’était évidemment inexact et le rétropédalage s’est révélé délicat. Ainsi, en 2011, le RCP indiquait que ce médicament ne devait pas être utilisé pendant la grossesse et chez les femmes en âge de procréer, « sauf en cas de réelle nécessité».
L’ouvrage du Pr Chast est en vente depuis le 16 septembre. Les juges d’instruction peuvent se le procurer pour la somme de 14,90 euros (prix public TTC).
A demain