Bonjour
« Ah, la légende du patient « zéro »… ! Combien de fois avons nous colporté cette croyance, à nos externes ou internes, en conférence ou à nos proches … Je crois même me souvenir que Mirko Dražen Grmek, dans son « Histoire du sida » (1989) l’avalisa…. La légende s’écroule …? Tant mieux… C’est bien pour la mémoire du steward… c’est bien pour Air Canada …et c’est essentiel pour l’Histoire du sida… »
C’est un ancien interniste de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris qui parle. Le Dr William Lowenstein résume à merveille la leçon qui nous reste collectivement à tirer d’une formidable publication de Nature du 26 octobre 2016. Un travail de génétique posthume mené par une équipe de l’Université de l’Arizona et des chercheurs de l’Université de Cambridge (Royaume-Uni). Les auteurs ont travaillé à partir du matériel génétique dégradé du VIH de huit échantillons sanguins vieux de près de 40 ans (1978-1979).
Remontons dans notre temps. Le début des années 1980, une nouvelle maladie « venue des Etats-Unis »… une épidémie… le « cancer des homosexuels »… les « quatre H »… et bientôt les « sidaïques »… les frayeurs ancestrales revisitées… Puis, sur l’autre face, le lent décryptage de la raison raisonnante… la volonté de comprendre… la puissance du hasard et de la virologie … le travail parisien mené autour du Pr Luc Montagnier… La découverte du LAV-VIH ne changea pourtant rien à certaines affaires, bien au contraire… A commencer par l’affaire « Gaëtan Dugas ».
La messe était presque dite
Il restera à comprendre l’enchaînement des raisons (peu glorieuses) qui firent naître la légende, le mythe du « patient zéro », cette confusion entre un « cas index » et le « premier cas ‘’Out of Calfornia’’ ». Il y eut ensuite, pour solidifier le tout, ‘’And the Band Played On: Politics, People and the Aids Epidemic’’ du journaliste Randy Shilts. Nous étions en 1987 et cet ouvrage qui entendait retracer les premiers temps de l’épidémie du sida aux Etats-Unis fut amplement salué. Un best-seller. En 1988 son auteur remportait le prix Stonewall, qui récompense des livres dont les thématiques concernent la communauté LGBT. La messe était dite. Ou presque.
Cold case. C’était donc compter sans les progrès considérables à venir de la biologie moléculaire et la mémoire glacée des échantillons biologiques. Au début des années 2010 il fut établi que le virus du sida avait émergé en Afrique noire environ un siècle plus tôt. En mars 2016, comme le rapporta Slate.fr (Emeline Amétis), une publication établit que que Gaëtan Dugas n’était pas le-steward-homosexuel-d’Air Canada- qui-a-importé-le sida-aux Etats-Unis. C’était, dans Science, « ‘Patient Zero’ no more » de notre confrère Jon Cohen.
Injustement villipendé
Tout est aujourd’hui scientifiquement décrypté dans Nature. Et repris dans Le Journal de Montréal :
« L’agent de bord québécois Gaëtan Dugas, surnommé le «patient zéro», a été injustement accusé au milieu des années 1980 d’être le premier responsable de l’épidémie du sida aux États-Unis, confirme une étude publiée mercredi. Le virus, responsable d’un total de quelque 650 000 morts aux États-Unis, a fait un «saut» des Caraïbes à New York vers 1970, devenue la plaque tournante à partir de laquelle il s’est ensuite répandu, rapportent les chercheurs dans la revue scientifique Nature.
Vilipendé à titre posthume comme l’épicentre de l’épidémie américaine, Gaëtan Dugas n’était qu’une des nombreuses victimes de la maladie. Il a d’ailleurs fait des efforts pour aider les responsables de la santé à comprendre comment le sida s’était propagé en nommant des dizaines de ses nombreux partenaires sexuels avant sa mort en 1984, alors que d’autres ne pouvaient retrouver qu’une poignée de noms. La publication Nature qui devrait mettre fin au mythe popularisé dans le monde du «patient zéro» repose sur une solide analyse historique et génétique. »
La diabolisation et le Vatican
Les auteurs de Nature n’ont trouvé ainsi «ni preuve biologique ni historique que le « patient zéro » ait été le premier cas aux États-Unis» « Dugas est l’un des patients les plus diabolisés dans l’histoire», constate Richard McKay (Cambridge), historien de la santé publique et l’un des deux principaux auteurs de l’étude. »
La génétique moléculaire ne nous dit pas comment on dédiabolise les patients. Pour les exorcistes il faut généralement s’adresser au Vatican. Un Vatican qui, en matière de sida et de préservatifs, tarde durablement à faire son immense mea culpa. Ayons confiance : c’est écrit, cela viendra.
A demain