Bonjour
C’est l’étude ethnologique que certains redoutaient. Une étude qu’ils ne souhaitaient pas voir publiée. Elle a été menée par l’association Laboratoire de Recherche en Sciences Humaines (LRSH) avec le soutien financier de la Direction Générale de la Santé (DGS). On peut la lire ici: « Etude qualitative auprès des utilisateurs de cigarette électronique – octobre 2016 ». Elle fournit pour la première fois des données « sociales » sur un phénomène que les autorités sanitaires française ne veulent pas connaître (à l’exception notable de la DGS). Un phénomène social et sanitaire, économique et politique.
Ce travail est signé Astrid Fontaine, Sonia Laugier et Fernanda Artigas. Il s’inscrit dans un contexte que veut ignorer l’actuelle ministre de la Santé : la cigarette électronique fait aujourd’hui partie du paysage des fumeurs qui cherchent une alternative au tabac et à l’abstinence ; les tabacologues ont à répondre à la demande grandissante des fumeurs ; ils se doivent d’adopter une position claire face à ce dispositif. Les résultats présentés sont issus d’une étude qualitative réalisée avec le soutien financier de la Direction Générale de la Santé.
Rapport à la dépendance
Menée en France entre septembre 2014 et janvier 2016 cette étude se fonde sur un travail de terrain classique en ethnologie : « observations lors d’événements regroupant des usagers de cigarettes électroniques et entretiens semi-directifs réalisés avec des profils variés permettant de défricher un champ encore méconnu ». Parmi les questions soulevées : quelle place prend, en France, la cigarette électroniques dans la vie quotidienne des fumeurs ? En quoi cet usage modifie-t-il leur rapport au tabac, et plus largement à la dépendance ?
« Cette étude contribue à l’observation et à la compréhension d’un phénomène naissant, susceptible de changer durablement notre rapport au tabac, écrivent les auteures. Elle montre la grande variété des profils, parmi les fumeurs, intéressés par la cigarette électronique. Hommes, femmes, jeunes ou anciens fumeurs, adoptent des postures différentes au moment d’essayer ce dispositif et les usages évoluent dans les mois qui suivent cette expérimentation. »
Le premier résultat ne surprendra que la ministre de la Santé : la première raison qui pousse à vapoter est une inquiétude quant aux dégâts causés par le tabac – un tabac en disgrâce mais que les chaînons de l’addiction empêchent de quitter.
Tabac en disgrâce
« Les motivations qui ont conduit les personnes interrogées à s’intéresser à la cigarette électronique sont d’abord et avant tout liées à des préoccupations pour leur santé. Il ressort de l’ensemble des témoignages, tous profils confondus, un grand intérêt pour une façon de fumer « plus saine », « sans les inconvénients », qu’il s’agisse des désagréments quotidiens (mauvaise odeur, mauvaise haleine, brunissement des doigts et des dents, gêne pour les non fumeurs, toux et maux de tête…) ou des risques sanitaires plus sérieux désormais parfaitement connus de tous les fumeurs (cancers et pathologies lourdes).
« Même chez les « gros fumeurs » le tabac est en disgrâce. La cigarette électronique, face à ce tableau, c’est d’abord la perspective de continuer à fumer, mais plus sainement. La toxicité avérée du tabac fumé et la marginalisation progressive de cette pratique rendent d’autant plus attractif ce dispositif. »
La cigarette électronique peut être est identifiée comme un produit de substitution, comme un outil de sevrage tabagique ou encore comme un moyen de réduire ou de contrôler sa consommation de tabac. On espère que la ministre de la Santé lira les témoignages recueillis et analysés. Et qu’elle lira ceci :
« Les personnes interrogées peinent à comprendre les logiques institutionnelles et le fait que les autorités sanitaires en charge de lutter contre le « fléau du tabac », peuvent ne pas soutenir davantage un dispositif dont ils constatent presque tous l’efficacité sur eux-mêmes ou sur des proches. »
Porte d’entrée fantasmatique
Et puis, comme toujours, cet épouvantail : et si elle était « une porte d’entrée vers le tabagisme » ?
« Aucun élément dans les témoignages que nous avons recueillis ne peut laisser penser que la cigarette électronique pourrait être une ‘’porte d’entrée vers le tabac’’ pour les plus jeunes utilisateurs, écrivent les auteurs. Notre étude contribue à l’observation et à la compréhension d’un phénomène naissant, susceptible de changer durablement notre rapport au tabac. » Ils ajoutent :
« De ces premières observations on peut retenir que pour certains fumeurs la cigarette électronique semble bien représenter un moyen inédit de sortie du tabagisme. Son potentiel comme outil de sevrage du tabac ou de réduction des risques semble encore peu exploité. Par ailleurs, nous n’avons relevé aucun élément permettant de confirmer l’hypothèse des pouvoirs publics concernant un « effet passerelle » (dispositif qui conduirait vers le tabac), plus particulièrement chez les jeunes utilisateurs.
« Les témoignages recueillis mettent en exergue des attentes fortes de la part des fumeurs et utilisateurs de la cigarette électronique en termes d’information « officielle » (émanant de leur médecin ou de l’Etat) sur l’innocuité/les dangers du dispositif et d’accompagnement dans ses modalités d’utilisation. »
Vapoteurs électeurs
On se souviendra que les auteurs de ces témoignages sont aussi des électeurs. Des électeurs qui ne comprennent rien au « message institutionnel qui paraît trouble et double ». On n’évitera pas, pour finir, un peu de jargon sociologique :
« Rappelons pour conclure que le fait que les connaissances scientifiques ne soient pas stabilisées dans ce domaine et que les acteurs, nombreux, impliqués dans la diffusion et la gestion de cet outil, poursuivent des logiques différentes voire opposées, font de ce phénomène une controverse sociotechnique encore difficile à appréhender. Il devrait donc faire l’objet d’une attention particulière, visant à produire des connaissances actualisées, par le biais notamment des méthodes qualitatives. »
C’est un appel à ceux qui entendent nous gouverner à compter du prochain mois de mai. C’est aussi un rappel pour les oreilles des gouvernants actuels : la cigarette électronique est un dispositif politique.
A demain