Bonjour
Retour sur Terre. Sans parachute. Aux Etats-Unis deux cents journaux avaient pris position pour Hillary Clinton, contre six seulement pour Donald Trump. « Ce niveau d’engagement très élevé de la presse a manifestement été sans effet sur l’électorat, euphémise Le Monde (Alexis Delcambre). A moins qu’il n’ait conforté celui-ci dans son soutien au milliardaire, qui lors de la campagne n’a pas manqué une occasion de s’en prendre à des médias jugés « corrompus et biaisés « . »
Un grand classique. Il vaut de ce côté-ci de l’Atlantique où il explique pour partie le succès de l’extrême droite nationaliste.
Le Monde observe aussi que les médias américains se sont épuisés à » fact checker « sans relâche les interventions du milliardaire, sans parvenir à le disqualifier aux yeux de l’opinion. Plus basiquement (ou plus perversement) ils ont aussi été pris dans une relation ambiguë avec le candidat, ce » véritable filon « des machines médiatiques, qui a établi avec elles une » dépendance mutuelle « , comme le pointait dès mars le médiateur du New York Times. Lequel a repris la plume après le vote dans un billet aux allures de mea culpa pour le journal. Faut-il espérer une repentance similaire du Monde ?
Des journalistes gentrifiés
Pour l’heure le dernier quotidien vespéral de la capitale française bat la coulpe de la profession. « Pour le dire franchement, les médias ont raté le sujet, a ainsi estimé Margaret Sullivan, éditorialiste média au Washington Post. Au final, un large nombre d’électeurs voulaient quelque chose de nouveau. Et bien qu’ils l’aient crié, hurlé, la plupart des journalistes n’ont pas écouté. Ils ne l’ont pas saisi. »
C’est, pour le dire autrement, proprement dramatique. Où sont les journalistes s’ils n’entendent pas leurs contemporains crier et hurler ? Il va leur falloir abandonner un instant leurs claviers et leurs écrans. Et (ré)apprendre à entendre les désespérés, les insensés. A partir de quand cette profession s’est-elle gentrifiée ? Depuis quand a-t-elle abandonné l’enquête, la filature, le reportage, cette sainte triade de ses aînés ?
Margaret Sullivan pense que les journalistes ont projeté sur l’opinion leur propre répugnance à voir un candidat tel que M. Trump accéder à la Maison Blanche. C’est là, pour le dire autrement, un mélange des genres, un conflit d’intérêts.
Mensonges et « post-vérité »
Paul Krugman est prix Nobel 2008 d’économie. Il est aussi éditorialiste au New York Times. Encore un mea culpa : « Les gens comme moi, et sans doute la plupart des lecteurs du New York Times, n’ont vraiment pas compris le pays dans lequel nous vivons. Nous pensions qu’une large majorité d’Américains restait attachée aux normes démocratiques et à l’état de droit. (…) Mais il apparaît qu’un grand nombre de gens – des blancs, vivant principalement dans les zones rurales – ne partagent pas du tout notre vision de l’Amérique. »
Les médias généralistes les plus puissants dévissent. Ils n’atteignent plus que très marginalement, très fugacement, de larges pans de la population. Phénomène inverse : de très larges pans de cette même population sont en contact permanent avec « des pages partisanes créées et éditées pour les réseaux sociaux, où jouent à plein les effets de bulle, qui renvoient chacun à ses propres convictions ». (Alexis Delcambre). C’est, très précisément, l’envers du journalisme.
Cela peut s’appeler une fracture médiatique. Il reste à savoir comment la réduire. Cela peut s’appeler, aussi, l’entrée dans l’ère de la « post-vérité » (du « mensonge » corrige Slate.fr). Il reste à savoir comment en sortir. Retour sur Terre.
A demain