Bonjour
« Chère future maman ». Un petit clip vidéo peut soulever de lourdes questions d’éthique médiatique. Des questions qui montent jusqu’aux éthers juridiques des plus hauts sommets de l’Etat. Résumons. En septembre dernier, un « clip de sensibilisation à la trisomie » – que l’on peut voir ici – Des personnes trisomiques sont là, elles sourient, parlent, chantent. Peut-on montrer ces images à la télévision ?
Résumons encore. Ce clip vidéo avait été réalisé pour la Journée mondiale de la trisomie du 21 mars 2014. Il dure 2 minutes 30. En différentes langues sept jeunes trisomiques européens (dont des Français) s’adressent à une femme enceinte d’un enfant trisomique. A leur manière ils expliquent leur capacité à mener une vie qui peut, aussi, être heureuse. Et qui peut rendre heureux autour d’eux. Entre mars et avril 2014, plusieurs chaînes françaises en avaient diffusé un extrait de 30 secondes (à titre gracieux) dans leur espace publicitaire, à la demande des associations parrainant cette initiative.
Résumons toujours. La vidéo a été vue plus de sept millions de fois sur YouTube. On entend notamment ces six mots : « Chère future maman, n’aie pas peur. » Ces six mots, ces images et cet air de piano sont perçus par certains comme proprement inacceptables. Ce fut le cas de quelques belle âmes torturées du CSA. La diffusion de cette vidéo « au sein des espaces publicitaires des chaînes de télévision » avait entraîné une « intervention » de ce gardien du temple et de nos écrans. En juin 2014 il l’avait estimée « susceptible de porter à controverse » et ne relevant pas d’un « message d’intérêt général » seule condition autorisant une diffusion gratuite pendant le temps publicitaire.
Ambiguïté de la finalité
Les sept jeunes trisomiques et leurs proches ont quant à eux estimé que cette « intervention » du CSA était de la « censure », que l’on bafouait leur droit à s’exprimer. Ils ont ainsi été amené à saisir le Conseil
d’Etat, pour défendre leur droit à s’exprimer. Mieux : les sept ont choisi de saisir le Conseil d’Etat sans avocat, un geste symbolique. « Pour une fois, ils veulent que leur parole soit entendue, sans qu’on parle à leur place ».
La question est assez simple : une personne trisomique peut-elle s’exprimer à la télévision comme n’importe quel autre citoyen.
Le CSA ? Pour justifier sa position il avait indiqué que la finalité du clip (parce qu’il s’adressait à une future mère) pouvait « paraître ambiguë et ne pas susciter une adhésion spontanée et consensuelle » 1. Saisi le Conseil d’Etat a tenu audience. Et il vient de rendre son jugement : « Diffusion du film de sensibilisation à la trisomie 21 ». Il rejette des recours dirigés contre des mesures du CSA relatives à la diffusion du film de sensibilisation à la trisomie 21 « Chère future maman ».
« Le Conseil d’État juge que la présentation d’un point de vue positif sur la vie personnelle et sociale des jeunes atteints de trisomie répond à un objectif d’intérêt général ; il estime toutefois que le CSA n’a pas, dans l’exercice de son pouvoir de régulation, commis d’erreur d’appréciation ni d’erreur de droit en estimant que la diffusion du film en cause dans le cadre d’écrans publicitaires était inappropriée. »
Pas de disproportions
Le pour, le contre et à la fin on tranche. Tout cela part d’un bon sentiment (montrer des « jeunes atteints de trisomie ») mais, au final, cette initiative était inappropriée. Ces images étaient « susceptibles de troubler en conscience des femmes qui, dans le respect de la loi, avaient fait des choix de vie personnelle différents [avorter d’un fœtus porteur de trisomie]».
« Le Conseil d’État estime qu’en agissant ainsi, et compte tenu de son pouvoir de régulation, le CSA n’a pas commis d’erreur dans l’application de la réglementation. Par ailleurs, puisqu’il s’est borné à indiquer que la diffusion du film dans des séquences publicitaires est inappropriée, le CSA n’a pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression. »
La suite est sans surprise : la Fondation Jérôme Lejeune (à l’origine de cette vidéo) annonce qu’elle va saisir la Cour européenne des droits de l’homme « pour défendre l’expression du bonheur des personnes trisomiques sans censure ». Où l’on voit que la France est un pays riche et qu’un petit clip vidéo peut soulever de longs débat, éthiques et juridiques.
A demain
1 Communiqué du CSA daté du jeudi 31 juillet 2014 :
« Dans le cadre de ses missions, le Conseil ne cesse de soutenir toute initiative de lutte contre la stigmatisation des personnes handicapées et en faveur de leur insertion dans la société. A ce titre, il encourage l’ensemble des médias audiovisuels à donner une image profondément respectueuse de leur vie personnelle et sociale.
Concernant le message « Chère future maman » qui met l’accent sur les possibilités offertes grâce à leur entourage aux enfants trisomiques, le Conseil n’a nullement entendu gêner sa diffusion à la télévision. En effet, il a constaté que ce message présente un point de vue positif sur la vie des jeunes trisomiques et encourage la société à œuvrer à leur insertion et à leur épanouissement.
Cependant, le Conseil a observé au vu de plaintes que, pour autant, ce message était susceptible de troubler en conscience des femmes qui, dans le respect de la loi, avaient fait des choix de vie personnelle différents. Il s’est borné à en tirer la conséquence que son insertion au sein d’écrans publicitaires était inappropriée. »