Bonjour
Les Océans ou les Etoiles ? Après le sombre capitaine Nemo, voici Thomas Pesquet, le lumineux. De « Vingt-mille lieues sous les mers » à la Station spatiale internationale. Un siècle et demi de distance dans la quête au merveilleux. Du premier, les amoureux de Jules Verne ne sauront rien, devineront tout. Quant au second les médias ont commencé leut lente entreprise de dissection.
Par définition, Nemo n’avait pas de nom.Il était la science incarnée, le veuf, l’inconsolé dans son havre du Nautilus. Des traumatismes anciens comme s’il en pleuvait. Un renoncement à la société des hommes. Une soif inextinguible de revanche. Un terroriste anti-britannique en eaux profondes. Un schizophrène avant la psychanalyse. On sait comment il finit: expirant avec « Dieu et Patrie ».
Ceinture noire
Thomas Pesquet ? Il est né le 27 février 1978 dans la ville où Jeanne d’Arc a été brûlée en 1431. Sa vie est écrite sans l’ombre d’un nuage. Mère institutrice et père professeur de mathématiques et de physique. L’homme parle l’anglais, le russe, l’espagnol et l’allemand. Il pratique le parachutisme, la plongée. Il est aussi ceinture noire de judo et ingénieur en dynamique des engins spatiaux pour des missions de télédétection. Recruté par le Centre national d’études spatiales (CNES). Il y travaille à l’autonomie des missions spatiales, la conception du futur segment terrestre de l’agence et l’harmonisation des technologies spatiales en Europe.
Changement de cap : ce pilote privé chevronné devient pilote de ligne sur Air France (plus de 2 000 heures de vol sur A 320). Puis nouveau virage dans le ciel : en 2009 sa candidature est retenue, il sera astronaute, française et européen. Sept ans plus tard la France le retrouve à Baïkonour en route vers la Station spatiale internationale où il séjournera jusqu’en mai 2017. Une star tricolore est née. « Le héros de notre automne » dit RTL.
Fontes des glaces
Tous les micros français, toutes les caméras, tous les envoyés spéciaux sont pour lui. On le polisse à l’infini. Il nous parlera quand on le souhaitera. On lui fera la fête à son retour. Plus intense qu’à l’ordinaire cette mise en scène médiatique n’est pas nouvelle. Elle est comme consubstantielle aux voyages, habités ou non, dans l’espace. Le premier Spoutnik soviétique (1957), le premier vol de Youri Gagarine et la pose du premier pied humain sur la Lune (1969) ont tour à tour alimenté l’appétit de merveilleux et la soif de puissance de l’Union soviétique et des Etats-Unis. Puis les glaces ont fondu, les acteurs et les vols se sont multipliés et l’intérêt des masses s’est petit à petit estompé.
C’est alors que l’on assisté à un phénomène nouveau : la scénarisation progressive des entreprises des vols dans l’espace : les séjours dans la Station spatiale internationale et, plus encore, les vols vers les infinis mystérieux, la présence de l’eau sur Mars, les traces de la vie aux confins des univers plus ou moins connus. A cet égard le feuilleton « Tchouri et Rosetta » fut un modèle du genre. D’autres sont en gestation, plus ou moins sur fond de « Guerre des Etoiles ».
Cibles financières
Lives, sujets pré-formatés, usages des réseaux sociaux, c’est la NASA qui, la première, a intensifié le spectacle, rejointe par l’Agence spatiale européenne (ESA), le Centre national d’études spatiales (CNES) et les autres opérateurs. La mise en scène de Thomas Pesquet s’inscrit dans ce contexte. Il s’agit bien moins, ici, de vulgarisation de la quête scientifique que de perpétuelle recherche de crédits. « Les organismes scientifiques ont ici de plus en plus besoin des Etats mais aussi des entreprises pour boucler leurs budgets, observe notre confrère Michel Alberganti, journaliste scientifique. D’où la nécessité de faire parler de leur travail, de forger une image positive et alléchante. Ils doivent ainsi passer par le grand public pour toucher leurs cibles financières. D’où les médias, les livres, les documentaires, Facebook, les tweets… ».
De ce point de vue les voyages dans l’espace répondent aux mêmes logiques que les plus célèbres des courses à la voile, Vendée Globe en tête. Mais cette starification précoce, cet accès facilité aux médias, ne sont paradoxalement pas synonymes d’une plus grande liberté de parole. Ces médiatisations outrancières sont, en coulisses, la résultante de mécanismes complexes incluant le renom d’institutions académiques, la quête des ressources financières etc. Les scientifiques n’entrent pas sans risque dans la société du spectacle et des orbes médiatiques. A leur manière le capitaine Nemo et son Jules Verne étaient autrement plus libres de leurs gestes, de leurs rêves.
A demain