Bonjour
Fumer du cannabis modifie les états de conscience. Certains citoyens goûtent ces modifications, en deviennent bientôt friands, puis dépendants, estiment qu’ils y ont droit, deviennent violents parfois. L’Etat peut-il leur interdire l’accès à cette substance ? Si oui à quel titre, avec quels arguments autres que sanitaires ? Est-ce à lui d’en organiser le commerce et – le cas échéant – d’en tirer profit ?
Cette équation vaut pour toutes les substances psychotropes, à commencer par le tabac et l’alcool, ces éternelles gabelles. On la retrouve, déclinée, dans d’innombrables faits divers et joutes politiques. Elle est aujourd’hui d’actualité aux Pays-Bas où une courte majorité parlementaire vient de se prononcer pour la dépénalisation de la culture de cette plante. « C’est là une manière de sortir d’une zone grise, estime Euronews. Aujourd’hui, la vente est tolérée mais sa production est interdite sauf dans des cas bien particuliers. Résultat, les fameux coffee-shop hollandais doivent souvent faire appel à des sources illégales. »
Les partisans voient dans cette dépénalisation des futurs lopins un bon moyen de lutter contre les mafias (plus ou moins) criminelles. Les opposants estiment (notamment) que cultiver du cannabis au pays de Maastricht va à l’encontre des traités européens signés par les Pays-Bas. Et ce alors même que la production nationale pourra aisément partir vers l‘étranger – comme c’est le cas avec le florissant commerce des fleurs séchées.
500 grammes de drogues douces
L’affaire est racontée avec un délicieux pointillisme dans Le Monde par notre excellent confrère Jean-Pierre Stroobants :
« Le texte, finalement approuvé à une courte majorité (77 contre 72), représente un tournant dans la politique à l’égard des drogues douces pratiquée par les Pays-Bas depuis 1976. La détention de cannabis ou de haschisch pour la consommation personnelle (moins de 5 grammes) était autorisée, comme la vente dans les célèbres coffee-shops. La culture et le transport étaient, en revanche, prohibés ce qui a permis le développement de filières criminelles qui ont pris en charge l’approvisionnement des points de vente.
Ces réseaux mafieux ont prospéré grâce, notamment, au fait que de nombreux étrangers venaient faire leur marché dans les quelque 600 coffee-shops du pays. Selon les estimations, le chiffre d’affaires annuel de ce business dépasserait 1 milliard d’euros. Sous la pression des pays voisins, la vente à ces consommateurs a, depuis, quelques années, été réglementée et limitée : chaque commerce ne peut, en théorie, avoir en stock plus de 500 grammes de drogues douces. »
Cette « courte majorité » est le fruit de divisions et d’alliances contre nature qui ne sont pas sans faire songer à celle que l’on voit aujourd’hui en France entre François Bayrou l’aguerri et le phosphorescent Emmanuel Macron. Et, comme en France, il reste à savoir si l’alliance de circonstance apportera ses fruits. « Les partis qui l’ont adopté à la Deuxième Chambre doivent encore décrocher un vote favorable à la Première Chambre (le Sénat), nous explique Stroobants. Dans cette assemblée, le parti du premier ministre ne s’oppose pas par principe à une révision des dispositions actuelles mais trouve que le projet voté à la chambre manque de cohérence et ne permet pas une régulation intelligente ».
Affaires criminelles
L’intelligence régulatrice voilà bien, avec la politique-mystique, la question du moment.
Il faut, pour comprendre, rappeler que la « politique de tolérance » vis-à-vis du cannabis initialement instaurée aux Pays-Bas (et qui fit longtemps rêver en France) ne devait être qu’une première étape vers une régularisation complète. « Mais le processus s’est arrêté, avec toutes les conséquences qui en découlent. Le problème principal est que la vente par les coffee-shops est certes autorisée, mais que leur approvisionnement est illégal, résume Stroobants. La culture professionnelle est elle aussi interdite. Il y a donc tolérance d’une gestion d’entreprise qui dépend en partie de processus de production et d’achats illicites. Les entrepreneurs de coffee-shops sont par conséquent obligés de faire des affaires avec des criminels. » Imaginez des buralistes français fricoter avec des contrebandiers…
Pour l’heure la solution trouvée au pays de Vermeer (actuellement exposé à Paris) prévoit de maintenir l’interdiction de la culture de cannabis. En revanche, si elle est contrôlée par les pouvoirs publics et soumise à l’impôt, cette même culture ne fera plus l’objet de poursuites. Les cultivateurs devront obtenir une autorisation du ministère de la santé et soumettre leurs produits à des enquêtes de qualité. Les coffee-shops ne pourraient plus acheter des produits qu’aux personnes officiellement agréées, qui leur livreraient des paquets préemballés de 5 grammes.
C’est, au pays de Delft et de la crise des tulipes, une assez belle peinture de l’emprise croissante de l’Etat sur la modification des états de conscience du citoyen.
A demain