Bonjour
Tout changer pour que rien ne change ? Nous vivons à l’heure des symboles diffusés par voie télévisée. Ainsi la déjà historique poignée de main (virile) entre Trump Donald et Macron Emmanuel. C’était le 25 mai à Bruxelles. Pour celles et ceux qui n’auraient pas saisi le nouveau président de la République se décrypte dans le Journal du Dimanche de ce 28 mai. « Ma poignée de main avec lui, ce n’est pas innocent, ce n’est pas l’alpha et l’oméga d’une politique mais un moment de vérité » dit-il. Et il ajoute (sans rire) : « Il faut montrer qu’on ne fera pas de petites concessions, même symboliques, mais ne rien surmédiatiser non plus ».
« Le président français et son homologue américain ont échangé une poignée de main insolite, longue et appuyée, interprétée par certains comme un moment de diplomatie virile, résume Le Monde. M. Trump est connu pour secouer le bras de ses visiteurs lorsqu’il les salue. Sous l’œil d’une caméra, avant un déjeuner de travail à l’ambassade américaine à Bruxelles, M. Macron a résisté pendant cinq secondes, mâchoire serrée, le regard planté dans celui de son homologue. »
Mâchoires
On ne saura pas pourquoi les mâchoires présidentielles étaient serrées. On imagine sans mal en revanche les raisons qui ont poussé Emmanuel Macron à confier le dossier du cannabis à Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur et non à Agnès Buzyn, ministre de la Santé (ou à François Bayrou, ministre de la Justice). C’est ainsi l’Intérieur qui va piloter la volonté présidentielle de transformer l’usage de cannabis en simple contravention – et ce « d’ici 3 à 4 mois ». Comment mieux dire que pour Emmanuel Macron l’usage de stupéfiants n’est ni une question de santé publique, ni une question de libertés individuelles mais bien un problème d’ordre public ?
« En cela, le gouvernement rompt avec les principes qui justifient depuis l’origine la pénalisation de l’usage des stupéfiants en France, observe dans une tribune publiée par Le Monde, Yann Bisiou (maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université Paul-Valéry Montpellier). La loi du 31 décembre 1970 avait admis la sanction pénale des usagers pour renforcer l’incitation au soin. Créer une contravention pour sanctionner sans soigner n’a aucun sens. Soit l’usage de cannabis est un problème de santé publique et la réponse doit être sanitaire, ce qu’une contravention ne permet pas, soit ce n’est pas un problème de santé publique et dans ce cas pourquoi ne pas légaliser l’usage de cannabis comme le font de plus en plus de pays ? »
Pour M. Bisiou l’annonce de Gérard Collomb confirme la tendance à aborder la problématique de l’usage de cannabis sous l’angle de « la lutte contre les nuisances publiques ». L’usage est considéré comme un danger potentiel pour la société qui justifie des sanctions en dehors de toute préoccupation de santé. Il ajoute, argument cruel, qu’en pratique l’amende est la principale réponse à l’usage simple de cannabis et son montant est en moyenne de 450 € (à comparer aux 100 €) envisagé par Emmanuel Macron. « Cette contraventionnalisation de facto n’a rien apporté, ni aux usagers, ni à la société, observe M. Bisiou. L’usage n’a cessé de progresser et les usagers d’être interpellés. »
De 450 € à 100 €
Passer à la contravention a-t-il une autre finalité que de faciliter la répression en rendant la procédure plus expéditive ? L’amende, plus systématique ne va-t-elle pas va peser avant tout sur les usagers les plus précaires et les plus jeunes, ceux qui sont interpellés lors de contrôles d’identités sur la voie publique ? « Au contraire, à l’image de ce qui se met en place au Canada avec les deux projets de loi sur la dépénalisation du cannabis et la prévention de la conduite sous influence des drogues (Projets C45 et C46, 13 avril 2017), c’est à une société plus inclusive pour les usagers de cannabis qu’il faut œuvrer » estime M. Bisiou.
Or c’est là un projet politique qui, par définition, ne peut être porté par le ministre de l’Intérieur dont la logique profonde est celle de la répression. Il ne peut l’être que par la ministre de la Santé. Or nous venons d’observer, durant cinq ans, Marisol Touraine incapable de se faire entendre de Bercy, Beauvau, Matignon et l’Elysée sur la question, essentielle, de la réduction des risques tabagiques. Agnès Buzyn est-elle d’ores et déjà doublée sur le dossier du cannabis ? Sait-elle qu’elle pourrait avoir le soutien d’une large fraction des spécialistes de la lutte contre les addictions ? Quand donnera-t-elle de la voix ?
A demain