Harcèlements à l’hôpital : les administratifs auront-ils bientôt la peau des salles de garde ?

 

Bonjour

Tout diriger, de la cave au grenier, dans les espaces hospitaliers. Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP, mesurait-il la portée de son annonce « anti-harcèlement sexuel » quand il évoquait hier, à haute voix, l’effacement les fresques des « salles de garde » ? Effacer pour mieux régenter. C’est là une bien vieille histoire, aussi vieille que celle des internes, de leurs « tonus », de leurs rituels. Deux siècles au bas mot, pas loin d’un millénaire selon d’autres calculs.

« La suppression des salles de garde est un vieux rêve des « administratifs », rappelle le Dr William Lowenstein, ancien de l’AP-HP et président de SOS Addictions. L’économe de salle de garde que j’ai été peut assurer d’une chose : les prédateurs ne venaient pas aux tonus : trop voyant ! Ah le vieux rêve de certains chefs de rayon … pouvoir harceler, abuser dans son coin, dans son bureau, avec la photo de sa femme et de ses enfants parfois retournée… »

La « salle de garde » a deux visages. C’est, bien sûr, le lieu clos d’un centre hospitalier où se réunissent les internes (et leurs invités) – repas, repos, détente. C’est aussi, au sens figuré, l’état d’esprit et les rituels qui règnent dans ce lieu. Effacer les fresques peut, dès lors, être perçu comme une agression contre une histoire et une culture communes. C’est  là le dernier symbole en date de la puissance montante de l’administratif sur le médical. Un administration qui, faute de connaître l’intérieur des corps et de lutter contre la mort, ne dépasse pas le grivois, l’obscène qui lui fait peur.

« Je la mettrai près de la morgue ! »

Le directeur général de l’AP-HP connaît sans aucun doute « Fermeture d’hôpitaux, quelles clefs ? » de Marie-Christine Pouchelle (Revue d’ethnologie française) ? Extrait :

« Les salles de garde furent et sont traditionnellement hostiles aux directions hospitalières. Aujourd’hui, les administratifs ne sont pas fâchés, par exemple, d’arguer de nécessités économiques pour en supprimer la cuisine, fondement de rituels conviviaux où se fabrique l’identité médicale. « Ils n’ont qu’à manger au self, comme tout le monde. »

Dans l’hôpital Pompidou en construction, la salle de garde n’avait pas été prévue, et il fallut la mobilisation des patrons pour qu’on lui trouve un lieu. « Je la mettrai près de la morgue ! » aurait lancé le directeur de l’hôpital. Ce contexte menaçant explique que certaines des fresques de la salle de garde de l’hôpital Boucicaut, qui avaient été peintes sur des panneaux de contreplaqué, furent finalement confiées au musée des Arts et Traditions Populaires (ATP).

Une telle donation, faite par l’entremise d’un jeune médecin, va à l’encontre du secret caractéristique de la culture des salles de garde. Elle a parfois été diversement commentée au sein du corps médical (« Rien ne doit sortir de la salle de garde »), comme chez le personnel des ATP, surpris par le caractère obscène des fresques en question. Cependant, c’est avec une jubilation manifeste que tout récemment, en cours d’opération, un chirurgien auquel je confirmais que les panneaux se trouvaient bien désormais dans les réserves du musée m’a indiqué comment retrouver son propre portrait sur la fresque en question. »

Dynamitage des exutoires

On peut certes connaître et ne pas partager tout ce que des non-médecins désignent comme des outrances de carabins. On pourrait même, parfois, les regretter. On ne saurait pour autant réclamer leur disparition, l’effacement des fresques, la démolition des « salles de garde », le self obligatoire, le dynamitage du partage et des exutoires.

« A ce compte, supprimons également Charlie, Rabelais, Virginie Despentes, Leila Slimani et toutes celles et ceux qui peignent des fresques de vie insupportables, ajoute le Dr Lowenstein.  Détruisons en urgence les bobines de MASH et l’insupportable sexisme médico-chirurgical de Robert Altman. Effaçons les affreux personnages incarnés perversement par Donald Sutherland et Elliott Gould qui pourraient induire de scandaleuses idées aux jeunes générations d’internes … Derrière l’objectif du soucieux et offusqué intérêt pour les  fresques, surfant sans vergogne sur l’actualité des prédateurs et autres criminels sexuels, l’idée est bien de tuer cette espace de résistance des médecins. »

« De toutes façons, nous connaissons tous le rêve absolu de nombre d’administratifs de l’AP-HP, ajoute l’ancien économe. C’est un hôpital sans lits, avec des e-malades et quelques médecins bien dressés …Mais il reste les salles de garde, la maison interdite !  Entre la bigoterie et les « maisons de tolérance des abus et harcèlement » il est un espace commun à promouvoir : celui du respect de l’autre et de soi-même. »

Nul ne saurait, depuis sa cabine, tout diriger, de la cave au grenier, dans les espaces hospitaliers.

A demain

 

 

 

3 réflexions sur “Harcèlements à l’hôpital : les administratifs auront-ils bientôt la peau des salles de garde ?

  1. Merci Monsieur Neau
    Femme médecin, ancienne interne de l’AP-HP j’ai beaucoup fréquenté les salle de garde, je n’y ai jamais été importunée encore moins harcelée. Y rencontrer les internes, chefs des autres service, échanger de façon conviviale avec eu m’a aidé dans ma pratique,
    J’exerce toujours, médecin un jour, médecin toujours.
    J’ai hélas, au cours des ans, vu les hôpitaux se déliter (pas seulement par ce qu’on y ferme les lits). J’ai hélas vu arriver une administration pléthorique devenue toute puissante, méprisant et harcelant le personnel soignant, dédaigneuse des malades qu’on appelle patients en dépit d’éléments de langage sortis de boites de conseils payées à prix d’or.
    Martin Hirsch est le Tartuffe de l’AP-HP.
    Dr Dinah Vernant

  2. Bonjour, ancien econome d’un « periph » j’ai cree il y a quelques jours une petition sur change, puis-je mettre un lien vers votre article? cordialement
    olivier

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