Bonjour
Tragédie moderne. Soit le cas d’ Inès, âgée de 15 ans, en « état végétatif persistant » depuis juin 2017, conséquence d’un arrêt cardio-respiratoire chez cette jeune fille atteinte d’une myasthénie auto-immune. Inès au cœur d’une bataille médicale et judiciaire opposant ses parents au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy.
Le 7 décembre, la justice avait donné raison au CHRU qui souhaitait « laisser mourir la jeune fille ». Les parents d’Inès refusent l’arrêt des soins. « Notre fille nous appartient, pas aux médecins, affirme sa mère. Tant qu’il n’y a pas de certitude, c’est comme si j’autorisais son crime. Je trouve qu’elle est consciente par moments. » « Ils veulent qu’on maintienne leur fille en vie, car ils veulent croire en une guérison » explique Me Frédéric Berna, leur avocat. Des parents persuadés que leur fille est encore capable de certains mouvements – volontaires selon eux. Des « mouvements réflexes » affirment les médecins. Nous avions, il y a peu, évoqué cette tragédie moderne.
Que peut la justice éclairée par la médecine ? Trois experts, mandatés par le tribunal administratif, ont estimé qu’Inès était plongée « dans un état végétatif persistant » et qu’elle « n’a pas et n’aura plus jamais la capacité d’établir le moindre contact » avec ses proches. Que peut la médecine ? Le CHRU de Nancy a lancé une « procédure collégiale » visant à arrêter les soins. Les parents avaient saisi la justice administrative pour s’y opposer. Ils avaient quinze jours pour contester la décision du tribunal administratif de Nancy devant le conseil d’Etat, ce qu’ils ont fait.
Et le Conseil d’Etat a validé, vendredi 5 janvier, la possibilité que les médecins de l’hôpital de Nancy puissent procéder à l’arrêt des soins d’une adolescente de 14 ans, dans un état végétatif depuis juin, mais que les parents refusent de laisser mourir : « Traitements administrés à une enfant. Le Conseil d’État se prononce sur une décision médicale d’arrêter les traitements administrés à une enfant se trouvant dans un état végétatif persistant ». Ecoutons les magistrats du Palais Royal :
« (…) selon le rapport des trois médecins experts rendu à la demande du tribunal administratif de Nancy, le pronostic neurologique de l’enfant est « catastrophique » et qu’elle se trouve dans un état végétatif persistant, incapable de communiquer avec son entourage, le caractère irréversible des lésions neurologiques étant certain dans l’état actuel de la science.
Nouvelle lecture diagnostique des comas profonds
« Il indique également qu’il est impossible de déterminer quelle aurait été la volonté de l’enfant et relève que les parents de l’enfant s’opposent à l’arrêt des soins. Toutefois, malgré cette opposition, au vu de l’état irréversible de perte d’autonomie de l’enfant qui la rend tributaire de moyens de suppléance de ses fonctions vitales et en l’absence de contestation sérieuse tant de l’analyse médicale des services du CHRU de Nancy que des conclusions du rapport du collège d’experts mandaté par le tribunal administratif, il juge qu’en l’état de la science médicale, la poursuite des traitements est susceptible de caractériser une obstination déraisonnable, au sens des dispositions de l’article L. 1110-5-1 du CSP.
Par conséquent, la décision du 21 juillet 2017 d’interrompre la ventilation mécanique et de procéder à l’extubation de l’enfant répond aux exigences fixées par la loi et ne porte donc pas une atteinte grave et manifestement illégale au respect d’une liberté fondamentale. Le juge des référés du Conseil d’État rejette donc l’appel des parents contre l’ordonnance du juge des référés du tribunal de Nancy.
Il précise toutefois qu’il appartient au médecin compétent d’apprécier si et dans quel délai la décision d’arrêt de traitement doit être exécutée compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce. En outre, la mise en œuvre de cette décision imposera en tout état de cause à l’hôpital de prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder la dignité de la patiente et de lui dispenser les soins palliatifs nécessaires. »
En écho, donc, les mots d’une mère : « Notre fille nous appartient, pas aux médecins. Tant qu’il n’y a pas de certitude, c’est comme si j’autorisais son crime. Je trouve qu’elle est consciente par moments. » Des mots qui entrent soudain en résonance avec la nouvelle lecture diagnostique des comas profonds que vient de proposer le Pr Lionel Naccache (Institut du cerveau et de la moelle épinière, Pitié-Salpêtrière) dans la revue spécialisée Brain: « Minimally conscious state or cortically mediated state? »1.
C’est ainsi, parfois, que s’écrivent les tragédies modernes.
A demain
1 « Le coma ne sera plus jamais ce qu’il a trop longtemps été » Slate.fr, 5 janvier 2018
Dans Slate vous « intertitrez »:
« L’absence de preuve de conscience ne signifie pas l’absence de conscience. »
Justement, cela permet d’entrevoir la souffrance terrible, infinie, d’enfermement sombre et solitaire cruel auquel l’on réduit peut-être ces malades en les maintenant en vie artificiellement.
Tout sauf ça s’il vous plaît.
Le Pr Naccache y pense-t-il ?
Est ce que ce n’est pas totalement barbare de laisser mourir quelqu’un par étouffement sous prétexte qu’elle est dans le coma alors qu’on pourrait facilement l’aider à mourir avec la certitude qu’elle ne puisse ressentir aucune souffrance ?