Bonjour
Du confortable déni à l’acceptation de la douloureuse réalité. Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé semble décidée de ne plus fermer les yeux ; elle a annoncé le 7 février sur LCI qu’elle « rencontrerait impérativement dans les semaines qui viennent les étudiants en médecine et les internes en souffrance ». « Parler avec eux pour savoir exactement d’où vient cette souffrance au travail. »
L’annonce de cette rencontre fait suite à la publication, le 5 février, d’une lettre ouverte sur le site du magazine Elle :
« Elle s’appelait Marine et elle avait 26 ans. Interne en dermatologie à l’hôpital Cochin, elle a mis fin à ses jours le 23 janvier. Elle était vue par ses collègues comme « extrêmement investie et passionnée ». Sur les douze derniers mois, une dizaine de suicides d’internes sont à déplorer en France. « Nous attendons une intervention concrète du ministère, il y a vraiment urgence à agir », soulignait alors Sébastien Potier, vice-président de l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI). « La quantité de travail des internes est un facteur majeur des risques psychosociaux, mais aussi la situation tendue de l’hôpital public et la pression budgétaire », ajoutait-il. Et puis il y a la compétitivité : en 1996, on comptait 3 200 internes contre 8 000 aujourd’hui. Si les internes restent solidaires, ils veulent aujourd’hui qu’on les écoute, qu’on les entende, et surtout ne plus faire le décompte morbide des collègues qui s’en vont trop tôt. »
Agnès Buzyn semble ici prendre la mesure de la réalité et de l’ampleur de la tâche qui l’attend : « On sent une vraie souffrance au travail dans la profession. Les médecins ont de plus en plus de mal à trouver du sens dans leur métier, on leur demande énormément de tâches annexes, administratives et ils ne comprennent pas la gestion de l’hôpital ». Ce malaise général est aussi lié à « la gestion de l’hôpital qui a été très budgétaire », sur laquelle Agnès Buzyn affirme être « en train de travailler afin de réformer l’hôpital public ». Vaste chantier. 1
Longueurs d’onde
Tout le monde hospitalier est-il ici sur la même longueur d’onde ? On peut en douter à la lumière de la polémique déclenchée par le Pr Jean Sibilia (CHU de Strasbourg), élu depuis peu à la tête de la conférence des doyens des facultés de médecine. Dans un entretien à What’s up doc, questionné sur le suicide des internes, il répond :
« Les suicides réels sont très très rares. Les étudiants ont des idées noires et des difficultés mais je ne suis pas certain du tout que ce soit spécifique aux étudiants en médecine. Je crois que c’est l’expression de notre société, l’expression d’un mal-être plus global. Alors il ne faut jamais être dans le déni, mais il faut être juste, ne pas être dans l’instrumentalisation. Il y a intrinsèquement dans le métier de médecin quelque chose qui est stressant, mais ça n’a rien à voir avec l’organisation structurelle du système. »
« Nous on est là 24/24, 7/7. On est là pour la continuité des soins et il faut que ça marche, pour les gens. Et ça a un coût : un coût humain, qu’il faut réguler le mieux possible, pour avoir le moins de souffrance possible. On a un boulot compliqué, en étant confronté régulièrement au malheur des gens. Et ça, il faut qu’on l’apprenne à nos étudiants, pour ne pas qu’ils le découvrent en fin d’études. Ce sont des valeurs à transmettre, mais ce n’est pas facile. »
Pour l’ISNI, ces propos traduisent un « déni de la réalité » alors que dix internes se sont donné la mort en un an. Ce syndicat met également en cause une « dialectique délétère, scientifiquement fausse », plusieurs études ayant mis en évidence la souffrance psychique accrue des médecins en formation et, chez eux, le taux particulièrement élevé de suicides.
A demain
1 « Notre système hospitalier est à bout de souffle et personne ne fait rien » Slate, 7 février 2018