Bonjour
Ainsi donc le gouvernement d’Emmanuel Macron a tranché : mardi 3 avril Nicole Belloubet, ministre de la Justice, a révélé que l’usage de tous les stupéfiants illicites (et en particulier de cannabis) serait prochainement sanctionné d’une « amende forfaitaire délictuelle » d’un montant de 300 euros [plus précisément de 250 à 600 euros]. Une sanction « qui pourra être directement prononcée par un policier ou un gendarme à l’encontre d’un usager majeur à l’issue d’un contrôle d’identité ». Une annonce faite en l’absence d’Agnès Buzyn – la ministre des Solidarités et de la Santé ne semblant pas avoir, ici, voix au chapitre.
Faute de connaître la position de Mme Buzyn quelle est la lecture des professionnels directement concernés ? Premiers témoignages, recueillis via ce blog :
Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération Addiction :
« J’ai suivi ce débat, décourageant et découragé. Sur le plan de la mesure pénale, on n’y voit pas vraiment plus clair…sauf que le gouvernement a validé l’amende, se réservant le droit d’en ajuster l’application. Là c’est à suivre dans le détail : récidive ou pas, etc., etc. Une nouvelle fois, depuis 1970, un ministre de la Justice et un ministre de l’Intérieur nous expliquent que ceux d’avant ont mal fait appliquer la loi… mais que cette fois sera la bonne… Le tout en ajoutant, au cas où, que l’on va quand même garder les mesures qui n’ont pas ‘’marché’’ » : donc ‘’Injonction thérapeutique’’ + ‘’rappel à la loi’’ + ‘’stage stupéfiant ‘’ + ‘’autres alternatives à la sanction’’ + ‘’amende forfaitaire’’ = tournez manège… tournez en rond !
« Et puis, comme pour se donner bonne conscience, il a été question de prévention : en avant les interventions des Policiers Formateurs Anti-Drogue et leurs homologues gendarmes, dans les écoles, en lien avec le service sanitaire. Je ne suis pas contre l’information sur les risques, si possible intelligemment donnée. Les forces de l’ordre comme les étudiants peuvent y participer, mais réduire la prévention à cela, c’est méconnaitre ‘’les racines du mal’’…
« Et que dire du reste : les Consultations Jeunes Consommateurs, le travail d’intervention précoce pour aller au devant des jeunes et des familles, la diffusion des actions de réduction des risques au plus proche des jeunes…. Pas un mot, ou si, un seul, pour évoquer un financement indirect, par les fonds retirés des amendes… après avoir payé les tablettes, les balances et autres instruments nécessaires à l’établissement des constats de l’amende.
Je trouve cela méprisant et méprisable, comment être à ce point coupé de ce qui est la réalité des usages aujourd’hui?
Des propos entièrement partagés par le Dr Philippe Arvers, médecin addictologue et tabacologue
Patrick Favrel Consultant RDR, Responsable Communication & Trésorier de Safe
« A problème flou & mal posé, solutions connes et précises… Une procédure d’amende forfaitaire pour un rappel à la loi et un allègement des charges de la police voulue par Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur. Or Nicole Belloubet, ministre de la Justice a annoncé tranquillement à l’Assemblée nationale qu’en aucun cas il n’y aura une réduction des coûts !
« Dans une société addictogène, la mise à l’amende se voudrait une réponse aux consommations de produits dits illicites – dont les dommages sont sans commune mesure à ceux causés par les produits légaux alcools & tabac. Voulant s’attaquer à une consommation constante du cannabis chez les jeunes, cette mesure reste inapplicable pour les mineurs. Chercher l’erreur…
« Une mesure de police n’est jamais une réponse de Santé Publique et de prévention, et n’aura aucun effet sur une baisse de la consommation qu’elle n’espère même pas. Bref, une politique des drogues qui se voudrait imposer un hygiénisme social bon teint au nom de la morale. Il est plus facile de faire tourner des moulins à vent sur les consommations illégales que de s’atteler à une politique de santé publique qui fasse baisser la mortalité & les pathologies associées causées par l’alcool et le tabac, produits légaux qui eux rapportent des taxes.
Alors que nombre de pays tant en Europe, qu’outre Atlantique ont pris la mesure de l’échec de la guerre à la drogue et s’orientent vers une dépénalisation, une légalisation et une régulation, la France du haut de sa droiture s’enfonce dans son inefficacité, oubliant même que les Etats-Unis à l’origine de la loi de décembre 1970, ont changé de politique des drogues en connaissance de cause. »
Dr William Lowenstein, interniste et addictologue, président de SOS Addictions
« Je retiendrai l’espoir que passer de la menace de la prison (une réalité pour 3000 personnes par an) à l’amende puisse faire évoluer les esprits…. Car pour tout le reste c’est tellement tiède, inefficace et si peu intelligent….
« Je garde encore le souvenir d’un livre écrit par un candidat, intitulé « Révolution »… Sire, ce n’est pas une révolte, mais une résignation. »
A demain
Une réflexion sur “«Amendes» sur cannabis et autres stupéfiants : le gouvernement des moulins à vent ”