Bonjour
« ‘’Une nuit, un patient a uriné dans son lit. Il était tellement proche des autres – c’était une chambre de deux avec trois lits – que ça a inondé les deux d’à côté. » Hochements de têtes résignés autour de la table. Des anecdotes comme ça, on en entend dix par jour sous le barnum dressé devant le mur d’enceinte de l’hôpital psychiatrique Philippe-Pinel d’Amiens (Somme). Une partie du personnel y fait grève depuis soixante-six jours pour protester contre la dégradation des conditions de travail et de la qualité des soins. Et, depuis trente-sept nuits, se relaie pour dormir dans les tentes plantées à l’entrée de l’établissement. »
C’est Le Journal du Dimanche (Pierre Bafoil) qui, aujourd’hui, raconte l’insupportable. L’hôpital psychiatrique d’Amiens en grève après ceux de Bourges, Allonnes, Rennes, Amiens ou Saint-Etienne. Des personnels en grève non pas pour de l’argent mais pour « réclamer les moyens d’exercer dignement leur métier », des soignants usés d’être devenus de simples gardes-malades. Et puis, en juin, à l’hôpital du Rouvray, à Sotteville-lès-Rouen, des soignants observant une grève de la faim de près de deux semaines avant d’obtenir, péniblement, la création d’une trentaine de postes d’infirmiers et d’aides-soignants.
A Amiens, rapporte le JDD c’est la fermeture d’une unité au début de l’été, la quatrième en quatre ans, qui a mis le feu aux poudres. En réaction, le « collectif Pinel en lutte » s’est formé, réunissant représentants des syndicats et acteurs concernés, des aides-soignants aux psychiatres en passant par les familles de patients. Pour mettre fin au bras de fer, l’Agence Régionale deSsanté a promis une « aide » (sic) d’un million d’euros et la direction, dix postes supplémentaires. Insuffisant, selon les grévistes, qui réclament l’effacement de la dette de l’hôpital, une large table ronde et soixante embauches.
Et puis, ces derniers mois, une dizaine de praticiens ont déjà « rendu la blouse du service public » ; douze autres vont les suivre d’ici à février 2019. Cela porterait à 50% le taux de postes vacants. Elio Mélis, le directeur général, assure au JDD que « des recrutements sont en cours »…
« Le diagnostic est largement partagé : la psychiatrie publique française est en pleine dépression. Ces dernières années, de nombreux rapports en ont fait le constat unanime éditorialise pour sa part Le Monde. Sur le terrain, tout contribue à cette crise : des délais sans fin de prise en charge, des soignants usés et désabusés, des familles et des patients qui se sentent abandonnés. La ministre de la santé, Agnès Buzyn, a elle-même reconnu, il y a quelques mois, qu’ ‘’il n’y a pas eu un vrai investissement depuis des années ‘’ en psychiatrie, et elle a déploré un état de ‘’souffrance générale’’ des professionnels et des malades. »
Paupérisation mais budgets constants
Il faut ici citer, précisément, les propos d’Agnès Buzyn. C’était en janvier dernier et ce dans un entretien au Monde, corrigé jusqu’à la dernière seconde, Extraits :
« La psychiatrie est une discipline qui s’est paupérisée et sur laquelle il n’y a pas eu un vrai investissement depuis des années. Pourtant les besoins sont en constante augmentation, parce que la société est de plus en plus dure, qu’il y a plus d’addictions, moins d’accompagnement des familles…
« On peut dénoncer des conditions de travail parfois très dures, ainsi que des conditions d’hospitalisation parfois dégradées, mais il faut être attentif à ne pas généraliser les situations dramatiques que l’on peut observer dans certains endroits. Ce serait dévaloriser le travail formidable qui est fait dans beaucoup d’établissements de santé mentale. En psychiatrie, il y a le pire et le meilleur. »
« Il me semble important de donner un signal de prise en compte de cette souffrance générale, des professionnels et des malades. Ce faisant, je veux parvenir à destigmatiser ces derniers, et rendre leur dignité à ceux qui sont pris en charge dans des conditions déplorables. Le regard de la société sur ce secteur doit changer. »
C’était en janvier dernier. Puis rien. Et les symptômes du grand mal hospitalier n’ont, depuis, cessé de se multiplier
Il y a sept mois Le Monde demandait à la ministre Buzyn si le « manque de moyens financiers mis en avant par les soignants » était « une réalité ». « Dans beaucoup d’endroits, les psychiatres tirent la sonnette d’alarme sur les moyens parce que leur activité est la variable d’ajustement du budget du reste de l’hôpital, répondait Agnès Buzyn. Vu la faiblesse et la souffrance du secteur psychiatrique, je souhaite que les moyens de cette discipline soient préservés. »
Loin d’imaginer une augmentation des moyens la ministre réclamait donc, au mieux, à un statu quo. « Annoncer des moyens supplémentaires n’est pas toujours l’alpha et l’oméga en matière de bonnes pratiques, rétorquait la ministre. C’est même parfois la solution de facilité. » Sept mois plus tard comment qualifier cette facilité politique ?
On lira aussi, dans le JDD l’entretien (Anne-Laure Barret) avec Daniel Zagury, psychiatre spécialiste de la barbarie du quotidien 1 – et pour autant toujours resté fidèle à l’hôpital public. Il y explique le déni des directeurs et des administrations hospitalières, l’obsession politico-administrative de la maîtrise des coûts, le triomphe absolu de l’idéologie managériale au sein des directions et des cadres infirmiers – des cadres qui jadis ne faiaient qu’un avec les médecins mais aujourd’hui tragiquement aspirés par les moquettes directoriales…
Fort de Brégançon
« Personne, pourtant, ne semble véritablement mesurer la gravité de cette situation, observe, avec justesse, Le Monde. Cette indifférence, voire cette cécité, est aussi alarmante qu’incompréhensible, alors que, au cours de sa vie, un Français sur cinq connaîtra un trouble psychique. En 2016, 2,1 millions de patients (dont un quart âgés de moins de 18 ans) ont été pris en charge, soit par les quelque 3 900 centres médico-psychologiques répartis sur le territoire, soit par les hôpitaux psychiatriques, qui ont accueilli 417 000 malades. »
L’origine de cette crise est connue : augmentation sans fin de la demande -réduction continuelle de l’offre. Entre 2010 et 2016, près de 300 000 personnes supplémentaires ont ainsi été suivies en psychiatrie. Le Syndicat des psychiatres des hôpitaux estime qu’entre 900 et 1 000 postes de psychiatres sont aujourd’hui non pourvus.
Où l’on en vient au politique. Emmanuel Macron, président de la République doit annoncer dans quelques semaines une grande réforme du système de santé – réforme sans cesse reportée. Abandonnant sa réclusion en notre fort de Brégançon et les charmes de Bormes-les-Mimosas trouvera-t-il le courage et le temps de se rendre dans cet Amiens qu’il connaît si bien ? Il y retrouvera la symbolique de la grandeur de la France : Philippe Pinel (1745-1826). Un homme qui œuvré pour l’abolition de l’entrave des malades mentaux par des chaînes et, plus généralement, pour l’humanisation de leur traitement.
A demain
1 « La Barbarie des hommes ordinaires » de Daniel Zagury. Editions de l’Observatoire. 2018
« Pourquoi les actes les plus barbares sont-ils si souvent commis par les hommes les plus ordinaires ? Un mari assassine brutalement la femme qu’il disait aimer ; une mère tue son enfant à la naissance ; un homme respectable participe à un génocide ; un petit délinquant prépare une tuerie. Cela suscite à chaque fois l’incrédulité et la stupéfaction de l’entourage et des médias. C’était « un homme sans histoire », « une jeune femme discrète », « un marginal sans grande envergure »…
« Comment ces personnes basculent-elles dans la barbarie ? Quels sont les mécanismes psychiques à l’œuvre pour que leur pensée se vide et que plus rien ne les retienne ? Quelles barrières émotionnelles et morales sont un temps franchies pour que surgisse l’impensable ?
Ce livre éclaire les conditions qui, d’étape en étape, conduisent à des actes aussi atroces. Il explore la clinique de la banalité du mal. Il nous semble incroyable de commettre de telles horreurs. Cela dépasse notre entendement. Pourtant, les cas ici présentés ne relèvent ni de la maladie, ni de la perversion, ni de la psychopathie. Autrement dit, ils nous ressemblent. »
Reste à espérer (tristement) un cas « Reagan ».
Pendant des année ce politicien et ses proches se fichaient du sort des malades de type Alzheimer… Jusqu’au jour où un certain Ronald R. attrapa la maladie. Et l’opinion de ses proches changea radicalement sur le sujet.
Triste.