Bonjour
Cela sonne comme un slogan libérateur : « Fin du numerus clausus ! » – « Fin du gâchis humain ». Avec un film en toile de fond 1. Applaudissements sur tous les bancs. Mais encore ? Interrogée par Le Quotidien du Médecin, la réponse d’Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la santé à qui on demande par quoi cette guillotine sera remplacée :
« Là, il nous faut une loi ! Des négociations auront lieu avec les étudiants. Nous voulons éviter l’immense gâchis humain de la PACES, et de tous ces très bons élèves qui se retrouvent en échec alors qu’ils ont un potentiel fou (sic). Nous voulons diversifier les parcours, sélectionner de nouveaux profils, des étudiants provenant des sciences humaines et sociales, des ingénieurs. Nous allons donc créer davantage de passerelles entrantes et sortantes. Mais pas question d’ouvrir les vannes quantitativement, on ne peut pas former plus de 9000 à 10000 médecins par an. Mais nous laisserons davantage de souplesse aux universités pour former les jeunes. »
Compassion
On n’en saura pas plus sur la suite d’un dispositif mis en place en 1971 et qui limite le nombre de places ouvertes en fin de première année commune aux études de santé (Paces). Agnès Buzyn reconnaît que la fin du numerus clausus « ne réglera pas le problème de la démographie médicale ». Nous serions, ici, dans une forme de compassion. « Ça suffit de désespérer des générations entières de jeunes qui obtiennent le bac parfois avec une mention bien ou très bien, mais se voient refuser l’entrée dans des études de médecine et vivent cela comme un échec fondamental » a expliqué la ministre dans un entretien au Parisien.
Ne plus désespérer. Ne plus « gâcher ». Mais par quoi remplacer le mortel couperet ? Par de nouvelles procédures sélectives en fin de première, deuxième et troisième années d’études. « Le système restera sélectif, il n’est pas question de rogner sur l’excellence de la formation de nos étudiants en santé, a confié l’Elysée au Monde. Mais avec un appareil de formation globalement plus intelligent, moins académique et qui conduit moins au bachotage. » Ce qui, même si elle s’en défend, nécessitera la promulgation de la loi Buzyn en 2019.
Visions
Les plus visionnaires croient percevoir les prémices des prolégomènes : en lieu et place d’un numerus clausus établi au niveau national chaque université modulerait le nombre d’étudiants admis dans les études médicales. Du Jacobin au Girondin, en somme. Y croire dans une Macronie plus centralisée que jamais ?
« Nous ne sommes pas favorables à une dérégulation totale, prévient déjà le Pr Jean Sibilia, président de la Conférence des doyens des facultés de médecine. Il est nécessaire que le nombre de médecins augmente, mais dans une certaine limite. Une fourchette haute nous paraît surtout nécessaire pour -éviter une mise en concurrence des établissements entre eux, pour proposer le plus de places dans certaines -filières plus demandées que d’autres. »
Résumons. Le « concours d’entrée », dans sa version actuelle est voué à disparaître. Pour autant la sélection demeurera bin présente pour recruter les futurs étudiants en médecine, odontologie, pharmacie et maïeutique. Comment pourrait-il en être autrement ? « Le système restera sélectif. Il n’est pas question de rogner sur l’excellence de la formation » murmure-t-on au Palais de l’Elysée.
« Les capacités maximales de formation semblant déjà atteintes, n’y aura-t-il pas un numerus clausus déguisé sélectionnant sur les trois premières années et non plus sur une seule ? » demande une internaute au Monde. Réponse de l’auguste quotidien vespéral :
« Cela peut donner ce sentiment, si l’on imagine que la fin du numerus clausus signifie fin de toute sélection, ce qui, en effet, ne sera pas le cas. L’accès aux études menant aux professions médicales restera sélectif, mais d’une autre manière. Potentiellement à différents niveaux d’études, et avec des procédures de sélection diverses.
En effet, les capacités maximales de formation des facultés de médecine – et aussi le nombre limité de terrains de stages, à l’hôpital ou chez les médecins libéraux – limiteront, de facto, le nombre de places offertes, demain comme aujourd’hui. Néanmoins, le mot d’ordre général est celui d’une augmentation – dans des proportions limitées, très probablement – du nombre de professionnels de santé formés, dans les années qui viennent. »
Transhumances
Où l’on comprend que l’on comprend de moins en moins l’avenir proche 2. Impression confirmée par les explications données au Monde par Marc-Olivier Déplaude, chargé de recherche en sociologie à l’INRA. Un spécialiste s’il en est, auteur de La Hantise du nombre. Une histoire des numerus clausus de médecine (Les Belles Lettres, 2015). Pour lui « le système a volé en éclats avec la forte augmentation du nombre de médecins venant d’autres pays de l’Union européenne ». Des médecins « qui ont les mêmes droits que les médecins formés en France en matière d’installation et de conventionnement »
M. Déplaude est spécialiste des transhumances. Et nous rappelle quelques vérités essentielles :
« N’oublions pas que le coût de la formation des médecins est assuré par l’Etat, et que la majeure partie de leurs honoraires et prescriptions sont remboursés par l’Assurance-maladie. Il n’est donc pas insensé de demander en contrepartie des règles permettant une répartition plus équitable des médecins sur le territoire.
« Aujourd’hui, tous les nouveaux diplômés peuvent s’installer en libéral et demander à être conventionnés par l’Assurance-maladie : c’est le cas de la quasi-totalité des médecins libéraux en France. Il n’y a pas de numerus clausus au conventionnement. Or, si les universités deviennent libres de décider le nombre de médecins qu’elles souhaitent former, il faut s’attendre à ce que la Caisse nationale d’assurance-maladie dise qu’elle ne pourra pas conventionner tout le monde ! L’Assurance-maladie pourrait ainsi demander de pouvoir décider elle-même le nombre de médecins qu’elle souhaite conventionner, dans telle région ou telle spécialité. »
Où l’on voit que le numerus clausus aujourd’hui supprimé n’est, tout bien pesé, qu’une poudre aux yeux jetée.
A demain
1 « Fin du numerus clausus, fin des annuaires qui volent et de la concurrence sadique » Slate.fr 18 septembre 2018
2 La ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a expliqué que les modalités d’accès aux futures études de santé seront discutées avec les acteurs du secteur et «précisées d’ici Noël».
Où l’on a l’impression que les ministres et le présidents donnent dans les mots verbaux faits de paroles. Ou l’inverse.
On ne perçoit pas s’ils savent où ils vont avec ce discours de creusitude.
Words, words, words. (après Hamlet parle
» …un appareil de formation globalement plus intelligent, moins académique et qui conduit moins au bachotage. »
Moins « académique »
Académique ? Académique ? Est-ce que j’ai une tête d’académiiiique ?
Je me demande ce qu’elle entend par « académique ».
Apparemment ce n’est pas l’anglicisme habituel qui remplace le français « universitaire » (qui pourrait être un italianisme mais non… ça vient de l’Ouest).
Restent :
http://www.cnrtl.fr/definition/acad%C3%A9mique
On ne nous dit pas l’essentiel : estce que le programme de la prore emière année va changer ?
Leur enseignera-t-on à penser , apprendre, expériementer, la méthode scientifique ?
Ou leur bourrera-t-on encla tête de lignes à apprendre ?
La phrase de la ministre le laisse espérer. Des mots sans substrat visible.
Je n’ai que 78 ans. J’ai toujours entendu de tous les côtés stigmatiser le bachotage. J’ai toujours constaté que sa pratique était, dans les faits, de plus en plus indispensable pour réussir les épreuves. Il me souvient, externe, avoir refusé de préparer l’internat et son lavage de cerveau sans complexe.
La ruine des prépas-boites-à-fric dont les puissants qui y mettent leur progéniture se gardent bien de mettre en cause ne me ferait pas pleurer.
Voici sur le numerus clausus un extrait de notre première analyse du plan #Masanté2002 publié le jour même des annonces du Président de la République :
« Premier thème qui interpelle les jeunes médecins généralistes : les études médicales. Alors que c’est mis en place l’année dernière une réforme (imparfaite) du 3e cycle des études médicale, les ministères concernés (Santé et Enseignement Supérieur) ont commencé à annoncer cet été les premières mesures d’une réforme du 2e cycle. Or voici que le plan Santé nous annonce une fin du numerus clausus pour la rentrée 2020 : plutôt que de réformer les études dans un ordre logique, le gouvernement assume de s’y prendre totalement à l’envers. Si le numerus clausus en soi ne veut plus dire grand-chose dans la France du 21 e siècle avec la reconnaissance mutuelle des diplômes européens et l’explosion de la demande (du fait de la démographie de la population et de la médicalisation de la société), le SNJMG craint que les facultés de médecine n’aient ni les moyens ni la volonté de prendre en charge les promotions de premières années sur tout un cursus (NB :cette crainte est confirmée par la ministre de la Santé, ce jour même). C’est pourquoi le SNJMG restera vigilant concernant toute proposition de sélection dissimulée (saucissonnée en plusieurs examens étalés dans le temps) sur des critères plus ou moins aléatoires, ne pouvant que favoriser le marché d’officines privées de préparation parallèle aux études et au final, amplifier la reproduction des élites. »
La totalité du texte est disponible ici :
http://www.snjmg.org/blog/post/plan-sante-2022-les-jeunes-medecins-generalistes-participeront-a-l-engagement-collectif-tout-en-restant-vigilants-sur-les-objectifs-et-les-modalites-de-la-reforme/1519