Bonjour
Peut-on laisser faire de l’argent coûte que coûte ? C’est à lire dans Le Monde (Jules Darmanin) : « Prévention du suicide : ces numéros surtaxés qui cherchent à se substituer à SOS-Amitié ». Une enquête établissant que depuis quelques mois, les bénévoles qui donnent de leur temps aux lignes d’écoute pour les personnes suicidaires ou en détresse psychologique entendent une question de plus en plus récurrente : « Est-ce que cet appel est payant ? ».
« Cette nouvelle méfiance s’explique facilement, explique Le Monde. En 2018, diverses sociétés ont cherché à investir le créneau de l’aide téléphonique aux personnes suicidaires et qui souhaitent parler à des associations comme SOS-Amitié ou Suicide-Ecoute. Les sites façades de ces sociétés, dont certains sont désormais fermés, s’appellent SOS-Suicide, Allo-Amitié ou Numéro-SOS-Solitude, des noms qui entretiennent la confusion avec les associations reconnues. L’ensemble des acteurs de la prévention du suicide sont préoccupés par ces numéros parasites. D’autant plus que, par manque de bénévoles, SOS-Amitié ne peut répondre qu’à un appel sur trois, d’après Alain Mathiot, son président. »
La simplicité d’utilisation des numéros surtaxés en fait un outil privilégié pour ce genre de pratiques. Pour appeler un numéro à 80 centimes d’euros la minute, il n’est pas nécessaire de donner son numéro de carte bleue. Le prix de l’appel est répercuté sur la facture de téléphone. Avant le début de la conversation, un message automatique précise la surtaxe et son montant. « Mais les personnes qui présentent des risques suicidaires ont généralement des capacités cognitives abaissées, précise le Dr Marc Fillatre, psychiatre (CHU de Tours) et président de l’Union nationale de prévention du suicide (UNPS). On peut appeler ça un abus de faiblesse. » Et Le Monde de préciser que plusieurs bénévoles lui ont fait part de cas d’appelants dont l’état de détresse s’était aggravé après avoir reçu des factures téléphoniques de plusieurs centaines d’euros.
Pour leur promotion, ces services payants se sont principalement appuyés sur le service de publicité de Google : Google Ads. Quand on cherche des termes comme « Ligne écoute suicide » sur le moteur de recherche, le premier résultat affiché est fréquemment une publicité pour SOS-Suicide ou un des sites clones créés par la même entreprise, Bits Brothers (qui gère SOS-Angoisse, SOS-Détresse, SOS-Ecoute, SOS-Dépression, SOS-Solitude et SOS-Suicide).
Face à ces « abus de faiblesse », que fait la puissance publique ? On peut ici se reporter à la question écrite du député Gilles Le Gendre (LRM, Paris) adressée à Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la santé.
Question soumise le 19 juin 2018
« M. Gilles Le Gendre attire l’attention de Mme la ministre des Solidarités et de la Santé sur le développement des services d’écoutes téléphoniques, qui proposent une aide payante, à des tarifs surtaxés, aux personnes en situation de détresse. Ces services, en empruntant des noms et des présentations proches des lignes associatives sans but lucratif (SOS Écoute, SOS suicide, etc.), créent une confusion qui risque d’abuser des clients par définition vulnérables. Une régulation et un meilleur contrôle de ces services doivent être apportés afin d’éviter les risques de cette exploitation financière. Par ailleurs, le manque d’indications quant à la qualification des écoutants, la nature des formations reçues et à la qualité d’écoute de ces services interroge sur déontologie de ces entreprises. L’existence de ces dernières représente enfin une inquiétude légitime pour les associations sans but lucratif proposant un service gratuit, composées d’écoutants bénévoles formés et qui sont reconnues par l’Agence santé publique France. Il lui demande les initiatives qu’elle pourrait prendre pour remédier à cette situation préjudiciable. »
Réponse émise le 18 septembre 2018
« L’écoute téléphonique de personnes en détresse a été construite en France par le secteur associatif et elle s’est ensuite progressivement diversifiée, les associations associant des lignes téléphoniques à des sites internet. L’Agence nationale de santé publique (ANSP) s’est vue confier à partir de 2003 le pilotage et le financement d’une partie (une vingtaine) des services de téléphonie en santé que l’on appelle les services de prévention et d’aide à distance en santé (PADS). Ils sont un moyen de prévention important et portent sur des champs variés : addictions, mal-être, santé des jeunes, sexualité, VIH/sida et hépatites et les infections sexuellement transmissibles et certaines maladies chroniques comme l’asthme et l’allergie. L’ANSP accorde à ces structures un label qualité pour une durée déterminée dès lors qu’un certain nombre de critères sont remplis : formations des écoutants, charte éthique, accessibilité du service, référentiels de pratique d’écoute…Ce label est complété par des financements. Depuis plusieurs années, on assiste néanmoins au déploiement des lignes d’écoute payantes. Dans ce contexte, la construction du site du Service Public d’information en santé prévu par l’article 88 de la Loi de modernisation de notre système de santé est un outil important pour traduire la volonté de l’Etat d’informer et d’accompagner les citoyens en favorisant leur participation aux choix de santé par des contenus fiables et accessibles relatifs aux produits de santé, à l’offre sanitaire, médico-sociale et sociale et donc également sur les dispositifs d’aide à distance. »
Désinvolture
C’est ce que Le Monde nomme « botter en touche ». Avec une récidive dans la désinvolture : contacté, le ministère d’Agnès Buzyn n’a pas donné de réponse aux questions posées par le quotidien. Poursuivant néanmoins son enquête ce dernier annonce « avoir identifié trois entreprises qui se livrent ou se sont livrées à ce genre de pratiques » : Bits Brothers, société établie dans le 16e arrondissement de Paris, qui gère le plus de sites (SOS-Angoisse, SOS-Détresse, SOS-Ecoute, SOS-Dépression, SOS-Solitude et SOS-Suicide). Tous ces sites présentent des biographies détaillées pour leurs écoutants, illustrées par des portraits factices tirés de banques d’images. DSP, une entreprise d’Aubagne et Stardust Multimédia, une entreprise toulousaine spécialisée dans « les contenus astro, voyance et bien-être », à l’origine du site Voyance-par-telephone.pro ou voyancealice.com, mais aussi de Alloamitie.com.
Le dirigeant de Stardust Multimedia et de sa maison mère Even Media, n’a pas donné suite aux demandes d’interview du Monde. Qui, en dépit des silences, nous aura ici doublement éclairé : à la fois sur l’existence d’une exploitation financière de la détresse et sur l’absence de réponse du ministère en charge de la solidarité.
A demain