Bonjour
Le Grand Débat National se met en place, relayé en priorité par les chaînes « diffusant l’information en continu ». Remarquable spectacle, hier 25 janvier en direct de Sartrouville (Yvelines) et en présence d’Edouard Philippe, Premier ministre. On y évoqua, un instant, les Ehpad et les mille et une souffrances que ces « établissements d’hébergement », désormais, suggèrent 1.
Au même instant, cet « urgent » de L’Est Républicain (Willy Graff), repris par France Info: « Exclusif. Pontarlier : suspicions d’euthanasies à l’Ehpad ». Saisi par l’Agence Régionale de Santé, qui a inspecté l’établissement, le procureur de la République de Besançon confirme l’existence de faits « préoccupants ». Une enquête préliminaire a été ouverte au sein de l’Ehpad du Larmont, aux portes de Pontarlier.
Projet majeur du Centre hospitalier intercommunal de Haute Comté, l’Ehpad du Larmont a ouvert ses portes le 8 juin 2010. Implantée sur la commune de Doubs, cette nouvelle structure a voulu recréer l’esprit d’un village à taille humaine.
« Son parvis d’entrée facilitant l’arrivée des familles et des visiteurs, les moments de rencontre entre Résidents. Les unités d’hébergement situées de part et d’autres du hall d’accueil et organisée, chacune en 3 maisonnées de 14 lits, autour d’un cœur de vie que sont les salles à manger et d’animation. L’orientation des espaces de vie communautaire vers le soleil. Des lieux extérieurs offrant la possibilité de promenades et de loisirs.
Les installations de ce nouveau bâtiment ont été particulièrement conçues afin de proposer des locaux adaptés aux handicaps de la Personne âgée et d’offrir une chambre individuelle à chaque Résident. Il accueille des personnes âgées de plus de 60 ans, valides ou en perte d’autonomie, pour un accompagnement temporaire ou permanent. Il est agréé par la caisse d’allocation familiale et habilité à recevoir des bénéficiaires de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie et de l’aide sociale le cas échéant. Il répond aux normes d’attribution de l’allocation logement. »
Surmortalité des résidents de cet établissement
« Quelqu’un a-t-il accéléré les fins de vie de résidents, et si oui, selon quels procédés, demande le quotidien régional. Ces questions sont posées de manière officielle. » Au départ ce fut la famille d’une patiente décédée « dans de troublantes circonstances », au printemps 2018, qui a déposé un signalement à l’Agence Régionale de Santé. Cette dernière a ouvert une enquête administrative. Puis en décembre, une inspection étalée sur deux jours a été menée au sein de cet Ehpad. Les premiers éléments recueillis ont été jugés suffisamment inquiétants pour qu’à son tour, l’ARS saisisse le parquet de Besançon.
« Les premiers constats qui m’ont été apportés sont préoccupants, a confirmé à L’Est Républicain le procureur de la République, Étienne Manteaux. C’est pourquoi j’ai décidé d’ouvrir une enquête préliminaire pour homicide involontaire. »
Deux éléments retiennent d’ores et déjà l’attention de la justice, explique le procureur : « Une surmortalité des résidents de cet établissement comparée à la moyenne nationale d’une part, et l’utilisation de molécules jamais ou rarement utilisées dans la majorité des Ehpad d’autre part ».
L’ARS délivrera très prochainement un rapport définitif, qui précisera le résultat de ses investigations. « Dans l’attente, un médecin de l’Ehpad a été mis à pied à titre conservatoire », précise le quotidien. Outre le cas initial ayant déclenché la procédure, plusieurs autres morts suspectes retiendraient l’attention des inspecteurs. De nouvelles expertises médico-légales devraient être seront sans diligentées par le parquet de Besançon. Ces investigations devraient durer de longs mois. Bien après la fin du Grand Débat.
A demain
@jynau
1 A noter la récente publication d’un ouvrage édifiant qui bénéficie déjà d’une forte « couverture médiatique » : « EHPAD, une honte française » signé de Anne-Sophie Pelletier (Editions Plon) 17,90 euros.
« Anne-Sophie Pelletier ouvre les portes vers une humanité qu’on oublie voire met de côté, et dévoile les secrets des EHPAD, lieux où souvent les mots « humain », « dignité » sont sacrifiés sur l’autel de la rentabilité et du profit. »
Midazolam ?
Suspicion d’euthanasie dans un EHPAD et emballement médiatique
« Suspicion d’euthanasie à P… : une double enquête visant l’Ehpad » « Y a-t-il eu des euthanasies à l’Ehpad du L… ? Saisi par l’Agence régionale de santé,
le procureur de la République de Besançon confirme l’existence de faits “préoccupants”. Une enquête préliminaire a été ouverte. » L’information a fait les gros titres du quotidien régional
L’Est Républicain le samedi 26 janvier et a été reprise de suite par d’autres médias régionaux et nationaux.
Mais après la lecture des articles de L’Est Républicain, ce que l’on sait avec certitude c’est que l’on ne sait pas grand-chose, et autant dire rien, de ce qu’il se serait réellement passé à l’EHPAD du L… Et pourtant l’information a tourné en boucle dans toute la France et dans tous les médias ou presque.
L’Est Républicain rapporte que les proches d’une résidente décédée en février 2018 ont signalé à l’ARS que la mort de leur parente leur semblait suspecte… L’ARS a mené une inspection dans l’EHPAD en décembre puis a saisi la justice… Un médecin de l’EHPAD a été suspendu à titre conservatoire…
Le procureur de la République de Besançon aurait confirmé à L’Est Républicain : « Les premiers constats qui m’ont été apportés sont préoccupants, c’est pourquoi j’ai décidé d’ouvrir une enquête préliminaire pour homicide involontaire », en précisant que l’ARS aurait constaté « une surmortalité des résidents de cet établissement comparée à la moyenne nationale d’une part, et l’utilisation de molécules jamais ou rarement utilisées dans la majorité des Ehpad d’autre part. On retrouve plutôt ces produits dans les blocs opératoires, dans le cadre d’anesthésie. » Le procureur de la République précise qu’il est dans l’attente du rapport de l’ARS qui devrait lui être remis dans les prochains jours.
Au début du même article, il est étonnant de lire qu’il est question de la suspicion d’une euthanasie puis de plusieurs euthanasies à la phrase suivante, sans plus d’information, et pour cause : l’ARS n’a pas encore rendu son rapport. Mais cet emballement médiatique a déjà fait des victimes collatérales : l’EHPAD du L…, le CHI de F-C auquel il est rattaché, la communauté hospitalière, les résidents et leurs proches. En réaction, l’établissement de santé a rapidement mis en place un numéro vert ouvert aux résidents, à leurs proches, et aux professionnels de santé, pour les écouter et leur répondre.
Dans une société avide de justice, il est paradoxal que la présomption de culpabilité l’emporte sur la présomption d’innocence au motif pas du tout juridique qu’il n’y a pas de fumée sans feu.
La suspension à titre conservatoire d’un médecin ne signifie nullement qu’il est coupable : il peut s’agir d’une mesure de protection. L’enquête préliminaire est, comme son nom l’indique, préliminaire pour faire le tri entre le vrai et le faux avant d’engager ou non des poursuites et peut très bien se conclure par un classement sans suite si la réalité des faits suspectés n’est pas établie.
L’enquête préliminaire : une période difficile à gérer
L’enquête préliminaire peut prendre des mois et en attendant ses conclusions, l’EHPAD du L… de 250 résidents et le CHI de F-C vont devoir fonctionner sous la menace du soupçon. Son directeur le dit à France 3 : « la période intermédiaire va être difficile à gérer. ».
La période intermédiaire va être d’autant plus difficile à gérer par l’établissement que la suspicion d’euthanasie peut être instrumentalisée et récupérée par les groupes de pression qui ont intérêt à entretenir le confusionnisme ambiant sur les questions relatives à la fin de vie.
Dans un article, le chef des informations régionales de l’Est Républicain invite à la prudence : « S’il est bien un sujet sur lequel la plus grande prudence s’impose, c’est bien celui de la fin de vie. En la matière, les mots ont un sens. Qui plus est quand une enquête préliminaire est ouverte. »
Effectivement, les mots ont un sens mais lui-même n’en connaît pas vraiment le sens quand il ajoute : « L’administration d’un produit pouvant être assimilé à de l’euthanasie “active” est considérée comme un acte relevant de l’homicide. En revanche, si la personne en fin de vie n’est plus lucide, ne peut plus exprimer elle-même ses désirs et répond à des critères particulièrement stricts d’état de santé, un protocole incluant les proches peut alors autoriser une “sédation profonde et continue”. Ce qui est alors considéré comme une euthanasie passive. »
Non, la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMD) ne peut pas être considérée comme une « euthanasie passive ». Dans notre droit, les notions abusives d’« euthanasie active » ou d’« euthanasie passive » n’existent pas. En parler revient à participer au confusionnisme ambiant, à entretenir la confusion dans les esprits et à empêcher l’analyse objective des faits.
En février 2018, la Haute Autorité de Santé publiait ses recommandations de bonne pratique Comment mettre en œuvre une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès ? Dans ce document de 44 pages figure, page 7, un tableau sur les différences entre une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès et l’euthanasie. Six caractéristiques différencient la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès de l’euthanasie : l’intention, le moyen pour atteindre le résultat, la procédure, le résultat, la temporalité et la législation. Ce tableau est sans ambiguïté.
Ces textes et ce tableau de la Haute Autorité de Santé justifient leur large diffusion auprès des patients des établissements de santé, des résidents des ESMS, de leurs proches, des professionnels de santé, mais aussi de la presse pour lui éviter de participer par ignorance au confusionnisme ambiant.
Si la presse connaissait ces textes et ce tableau de la Haute Autorité de Santé, il n’y aurait pas eu cet emballement médiatique dont cet EHPAD et ce CH font les frais.
Le confusionnisme ambiant fait des ravages
La loi équilibrée et consensuelle du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, dite loi Claeys-Leonetti, est et sera toujours menacée par les groupes de pression qui considèrent qu’elle ne va pas assez loin et qui réclament la légalisation de l’euthanasie, mais aussi par les groupes de pression qui considèrent qu’elle va trop loin en autorisant la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès (SPCMD), pourtant encadrée par les recommandations de bonne pratique de la HAS. Les droits créés par cette loi ne sont pas assez connus.
Les soins palliatifs ne se réduisent pas aux sédations. Ces textes et ce tableau de la HAS en parlent et coupent court aux fausses interprétations de la loi. Le confusionnisme ambiant a atteint un sommet avec un avis du Conseil économique, social et environnemental préconisant « la sédation profonde explicitement létale », sous-entendant que la sédation profonde serait implicitement létale. Les avis du CESE sont consensuels mais celui-ci n’a pas obtenu, heureusement, de consensus au sein du conseil.
À l’ère des fake news, des contre-vérités, des approximations, des insinuations douteuses, le meilleur moyen de s’en prémunir concernant les questions relatives à la fin de vie est de diffuser massivement l’information sur la loi de février 2016, les directives anticipées, la personne de confiance, la démarche palliative, si possible avant de se trouver dans une situation de crise « difficile à gérer » comme celle de cet EHPAD et de ce CH. Car c’est bien connu : il vaut mieux prévenir que guérir…
Marc PEREZ / H.doc
http://www.hdoc.fr