Affaire des prothèses/implants mammaires: l’Agence du médicament va-elle oser interdire ?

Bonjour

Suite d’une vieille affaire qui vient de retrouver le devant de la scène médiatique  française : celle des prothèses/implants mammaires. Le 7 février l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) réunissait un comité de huit expertes 1 « chargé d’émettre un avis sur la place et l’utilisation des implants mammaires texturés en chirurgie esthétique et reconstructrice ». Dès le lendemain l’ANSM publiait les conclusions de ce comité :

« Conclusions du CSST « Consultation publique sur la place et l’utilisation des implants mammaires texturés en chirurgie esthétique et reconstructrice » (Séances des 7 et 8 février 2019)

« La pose d’implants mammaires texturés induit un certain nombre de risques connus et décrits, parmi lesquels le lymphome anaplasique à grandes cellules lié aux implants mammaires (LAGC-AIM).

Dans le cadre de la chirurgie reconstructrice, l’utilisation des implants texturés n’est pas indispensable mais demeure indiquée dans un certain nombre de situations dans lesquelles la texture de l’implant constitue un bénéfice avéré (en termes de forme anatomique, de stabilité, d’expansion tissulaire et de réduction du risque de la capsulite rétractile).

Dans le cadre de la chirurgie esthétique, l’utilisation des implants texturés n’est pas indispensable mais peut rester une option parmi d’autres dans un certain nombre de situations dans lesquelles la texture de l’implant constitue un bénéfice avéré (en termes de stabilité, d’expansion tissulaire et de réduction du risque de la capsulite rétractile).

« Dans le contexte de la recommandation faite par l’ANSM d’utiliser préférentiellement des implants lisses et compte tenu des doutes émis par les professionnels de santé, il convient d’interdire le recours à la texture Biocell d’Allergan. La plus grande prudence doit être réservée aux implants mammaires de textures équivalentes et aux implants polyuréthane. Le comité ne recommande toutefois pas d’explantation préventive de ces implants texturés.(…)

« Il convient que le registre national des implants mammaires dont la création vient d’être approuvée voit le jour rapidement. »

Et maintenant ? Sur la base de cet avis, l’ANSM prendra une décision dans les prochaines semaines sur l’utilisation des implants mammaires à enveloppe texturée en chirurgie esthétique et reconstructrice ».

Avoir les connaissances suffisantes

« Fin novembre 2018, l’ANSM avait recommandé aux professionnels de suspendre l’utilisation de ces implants. « C’était quelques jours avant la publication des « Implant Files », une enquête du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), à laquelle Le Monde a participé »  rappelle Le Monde (Stéphane Horel)qui rapporte plusieurs détails asssez troublants, pour ne pas écrire édifiants, de la consultation publique de l’ANSM retransmise en direct (et toujours visible) sur la chaine YouTube de l’ANSM :

« (…) La première matinée a aussi été marquée par les manœuvres des fabricants. L’ANSM avait posé des règles claires : les représentants des firmes pouvaient être présents mais seules les organisations du secteur avaient le droit d’être auditionnées. Se présentant comme ‘’directrice médicale pour Allergan », Nathalie Mesnard a affirmé être là « en tant que représentante du groupe Snitem [Syndicat national de l’industrie des technologies médicales]’’. ‘’Elle n’appartient pas au Snitem’’, a assuré l’organisation, jointe au téléphone par Le Monde.

« Le syndicat des industriels allemands, BVMeD, a lui tenté de revenir sur cette règle au cours des auditions. Sa représentante s’est fait sèchement rappeler à l’ordre par l’ANSM, et l’employé du fabricant allemand Polytech a été contraint au silence. Son message : l’interdiction des « texturés » et l’angoisse qu’elle susciterait ‘’doubleraient le risque de réopération’’.

« Au cours de l’après-midi, réservée à la parole des patientes, la question du LAGC est devenue presque secondaire. Dans un silence bouleversé, douze femmes en colère ont livré le récit de leur calvaire. Reconstruction après un cancer ou intervention esthétique, elles avaient toutes en commun d’avoir manqué d’informations sur les risques encourus (…) 

« Vendredi, c’était le tour des chirurgiens esthétiques et de leurs sociétés savantes, sponsorisées par les fabricants. Cette fois, à l’exception d’une chirurgienne, la salle était remplie d’hommes. D’emblée, la compétence du comité d’expertes a été questionnée. ‘’Je m’interroge sur la commission qu’il y a en face de moi’’, les a défiées Bruno Alfandari, chirurgien à Bordeaux, les invitant à se demander, le moment venu, si elles possédaient ‘’les connaissances suffisantes’’ pour avoir une opinion. »

Qui, ici, possède les connaissances suffisantes ? On attend désormais, avec le plus grand intérêt, la décision de l’ANSM.

A demain

@jynau

1 Mmes BERGERET-GALLEY (Catherine), BRUANT-RODIER (Catherine), DE BIAIS (Dominique), FASSE (Leonor),  MANIGHETTT VIVES (Joëlle), MATHELIN (Carole), PERRET DU CRAY (Christine) et SALLE (Muriel) en qualité de présidente.

 

 

 

2 réflexions sur “Affaire des prothèses/implants mammaires: l’Agence du médicament va-elle oser interdire ?

  1. « ‘’Je m’interroge sur la commission qu’il y a en face de moi’’, les a défiées Bruno Alfandari, chirurgien à Bordeaux, les invitant à se demander, le moment venu, si elles possédaient ‘’les connaissances suffisantes’’ pour avoir une opinion. » »

    C’est un peu arrogant.
    Mais ce n’est pas le problème.

    Cela me fait penser aux « recommandations » (« Guidelines », ou lignes directrices auCanada je crois).

    Il y a les experts de sujet clinique (« content » en anglais, et ici le chirurgien plasticien) et les experts de méthodologie scientifique. Ce n’est pas du tout la même chose et les seconds devraient prévaloir.

    Cf:
    Lenzer J, Hoffman JR, Furberg CD, Ioannidis JP; Guideline Panel Review Working Group. Ensuring the integrity of clinical practice guidelines: a tool for protecting patients. BMJ. 2013 PMID: 24046286.

    http://www.bmj.com/content/347/bmj.f5535

    On y lit (traduction plus bas) :

    « Content experts not only dominate most guideline panels, but also take authorship and dictate the conduct, conclusions, and interpretation of systematic reviews, which in turn provide the
    rationale for the subsequent guideline recommendations. Content experts or topic specialists are especially likely to have a financial or professional conflict of interest or both, increasing the risk of bias.
    ….
    « We believe guideline panels must primarily comprise experts at reviewing scientific evidence. In current practice, such scientists are either not involved at all in guideline creation, or work in an advisory or consultant capacity to content experts.
    These roles should be inverted. The first task of any guideline panel is to review the evidence to decide if there is an uncontested “best” answer; if not, and scientifically based controversy exists, then the panel constituency must reflect that diversity of thought. »

    Autrement dit :

    « Les experts de sujet clinique non seulement dominent la plupart des jurys de lignes directrices, mais encore en signent les publications et dictent la conduite, les conclusions et l’interprétation des revues systématiques de littérature, justifiant ainsi les recommandations qui en découlent. Les experts en la matière ou les spécialistes thématiques sont particulièrement susceptibles d’avoir des conflit d’intérêts financier ou professionnel, voire les deux, ce qui accroît le risque de partialité. »
    ….
    « Nous pensons que les jurys de lignes directrices doivent comprendre prioritairement des experts de l’examen des preuves scientifiques. Dans la pratique actuelle, ces scientifiques soit ne participent pas du tout à la création de lignes directrices, soit n’y ont qu’un rôle de conseillers ou de consultants pour les experts de sujet clinique.
    Ces rôles devraient être inversés. La première tâche d’un jury de lignes directrices est d’examiner les données probantes pour déterminer s’il existe une « meilleure » et incontestable réponse, au cas contraire et s’il existe une controverse de nature scientifique, la représentativité du jury doit refléter cette diversité de pensées.  »

    Ceci dit l’aNSM a-t-elle un jury remplissant ces critères ? Chi lo sa ?

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