Bonjour
L’Académie nationale de médecine part en guerre. Tiré depuis la paisible rue Bonaparte le premier missile a la forme discrète d’un communiqué – c’est aussi une « prise de position officielle » adoptée lors de la séance du mardi 19 février 2019 par 76 voix pour, 9 voix contre et 12 abstentions.
Cible désignée : la campagne médiatique et commerciale : « Éliminons le paludisme à l’aide de feuilles d’Artemisia » incitant à traiter les malades avec des tisanes ou des capsules de feuilles séchées d’Artemisia annua. Cette action est menée par une association française, « La maison de l’Artemisia », qui crée des succursales dans plusieurs pays d’Afrique, et le soutien d’une association luxembourgeoise, avec le message suivant : chaque village africain doit apprendre à planter des pieds d’Artemisia dans un jardin, récolter et sécher les feuilles pour disposer ainsi d’un « médicament maison » permettant de traiter chaque accès palustre sans qu’il soit nécessaire de consulter un agent de santé ou d’absorber une Combinaison Thérapeutique à base d’Artémisine (CTA), l’un et l’autre n’étant pas toujours disponibles.
L’Académie précise que ces associations ont réussi à entraîner dans leur sillage des « célébrités non médicales de tous horizons », à bénéficier d’une audition à l’Assemblée nationale 1 et d’échos médiatiques (Le Monde 24/04/2018, L’Obs 9/10/2018, Paris Match 06/11/2018, Le Figaro 23/11/2018, La Croix 17/12/2018) qui s’amplifient depuis le début du mois de novembre. Leur discours s’appuie sur des expérimentations d’une biologiste américaine, Pamela Weathers, qui teste la plante chez des rongeurs et tente d’identifier et de doser des composés autres que l’artémisinine présents dans les Artemisia
Cédric Villani et Juliette Binoche
Un essai contrôlé chez l’homme, a été mis en ligne le 5 décembre dernier, publié dans une revue spécialisée de phytothérapie 2. Cette étude, réalisée en 2015 dans cinq bourgades de République Démocratique du Congo (RDC), sur 957 patients (enfants > 5 ans et adultes) ayant un paludisme à P. falciparum non compliqué, compare l’efficacité d’une tisane d’Artemisia consommée pendant sept jours au traitement par l’artésunate-amodiaquine (ASAQ), une Combinaison Thérapeutique à base d’Artémisine (CTA) recommandé en RDC, pendant trois jours, ce qui rend douteuse la qualité du double insu.
« Malgré un évident lien d’intérêts et de nombreuses insuffisances méthodologiques qui auraient dû entraîner un rejet de l’article par les relecteurs, les auteurs proclament la supériorité de la tisane d’Artemisia sur le CTA en utilisant trois critères : disparition de la fièvre, de la parasitémie et taux d’échecs entre J21 et J28 qui atteint le niveau invraisemblablement élevé de 65,6% dans le bras ASAQ, aucun test n’étant effectué pour différencier les rechutes (vrais échecs) des réinvasions, accuse l’Académie. La consommation d’Artemisia seule pendant 7 jours, par des litres de tisane de composition incertaine, expose les jeunes enfants impaludés à un risque élevé d’accès pernicieux. De plus, cette monothérapie favorise l’émergence de souches de P. falciparum résistantes, alors qu’aucune molécule n’est actuellement disponible pour remplacer l’artémisinine dans les CTA. »
Incompétence et bonnes intentions
L’OMS, en 2007, se prononçait pour le retrait de tout médicament à base d’artémisine seule ; en 2012, elle déconseillait formellement l’utilisation de feuilles séchées en raison de la concentration faible et variable d’artémisine dans la plante et de sa dégradation dans l’eau à forte température ; en 2015, elle publiait une 3ème édition des « Recommandations pour le traitement du paludisme » précisant le traitement des accès simples à P. falciparum, les CTA recommandées et le protocole d’urgence artésunate IV + CTA pour les accès pernicieux.
En France l’Agence Nationale de Sécurité des Médicaments (ANSM) a suspendu en 2015 et 2017 la mise sur le marché de produits à base d’Artemisia proposés sur internet ou par l’intermédiaire d’associations pour la prévention et le traitement du paludisme, « susceptibles de présenter un danger pour la santé humaine ».
Conclusion, à l’adresse, notamment, d’Agnès Buzyn, ministre française des Solidarités et de la Santé :
« L’Académie Nationale de Médecine, inquiète des dangers immédiats de l’utilisation des feuilles séchées d’Artemisia pour le traitement et la prévention du paludisme et soucieuse de préserver l’avenir de l’efficacité thérapeutique de l’artémisinine, tient à mettre solennellement en garde les autorités de santé, les populations des zones de transmission du paludisme, les voyageurs séjournant dans ces pays, face aux recommandations scientifiquement incertaines et irresponsables pour l’utilisation de cette phytothérapie, dangereuse pour l’avenir de la lutte antipaludique. Elle demande que cesse une campagne de promotion organisée par des personnalités peut-être bien intentionnées mais incompétentes en paludologie. »
A demain
@jynau
1 Extraits de Paris Match daté du 6 novembre 2018 : « Juliette Binoche et les députés Cédric Villani et Stéphane Demilly organisent le 13 novembre à l’Assemblée nationale, la projection d’un documentaire sur l’artemisia, une plante qui guérit le paludisme. Juliette Binoche et les députés Cédric Villani (LREM) et Stéphane Demilly (UDI) s’engagent dans la lutte contre le paludisme. Ils organisent la projection d’un documentaire* sur l’artemisia, une plante qui prévient et guérit du paludisme, le 13 novembre à l’Assemblée nationale. En Afrique, en Europe et aux Etats-Unis, des médecins, chercheurs et ONG valorisent l’utilisation naturelle de cette plante, déconseillée par l’OMS, pour lutter contre le fléau mondial.
« D’après la plus grande étude clinique conduite à ce jour (sur 1000 patients en République démocratique du Congo), les tisanes d’artemisia auraient une efficacité spectaculaire (99%) contre la maladie parasitaire, sans provoquer d’effets secondaires. Aux Etats-Unis, les travaux de la biologiste Pamela Weathers attestent de la sûreté et de l’efficacité de cette thérapie naturelle dont le faible coût et la disponibilité immédiate font d’elle un moyen de lutte particulièrement adapté aux pays en développement.
« Ces médecins, chercheurs et ONG souhaitent que l’artemisia entre dans l’arsenal thérapeutique pour lutter contre la maladie qui tue un enfant toutes les deux minutes dans le monde (90% des cas et des décès se concentrent en Afrique subsaharienne). Les propriétés antimalariennes mises en avant par les promoteurs de l’artemisia seraient capables d’éradiquer le fléau qui sévit avec force depuis des siècles. Engagée sur le sujet, Juliette Binoche a prêté sa voix à « Malaria Business ». L’actrice, qui sera présente lors de la projection du documentaire, souhaite insister sur l’urgence à agir contre le paludisme qui tue chaque année près d’un million de personnes dans le monde.
* « Malaria Business », de Bernard Crutzen, diffusé en novembre sur France 24
2 Artemisia annua and Artemisia afra tea infusions vs. artesunate-amodiaquine (ASAQ) in treating Plasmodium falciparum malaria in a large scale, double blind, randomized clinical trial. Munyangi J, Cornet-Vernet L, Idumbo M, Lu C, Lutgen P, Perronne C, Ngombe N, Bianga J, Mupenda B, Lalukala P, Mergeai G, Mumba D, Towler M, Weathers P. Phytomedicine. 2019 April; 57:49-56. doi: 10.1016/j.phymed.2018.12.002
Je suis bien triste qu’un homme du calibre de Cédric Villani se fourvoie dans cette affaire.
Les acteurs et actrices on a l’habitude.
Sutor, ne ultra crepidam !
Pour l’expression de Pline l’Ancien:
https://en.wikipedia.org/wiki/Sutor,_ne_ultra_crepidam
ou sa traduction en français
https://tinyurl.com/yygldgka
« Je suis bien triste qu’un homme du calibre de Cédric Villani se fourvoie dans cette affaire. »
Ce n’est pas le dernier ni le premier. Pour paraphraser une pub des années 80, si un spécialiste de l’analyse mathématique vous donne un conseil sur la manière de résoudre un problème de math, vous pouvez le croire. Mais s’il prétend vous donner un conseil en matière de médecine, dites vous bien qu’il n’a probablement pas plus de connaissance que la première personne venue.
« Que le cordonnier ne juge pas au-delà de la sandale » (Apelle de Cos).
La phytothérapie vient de rencontrer un écueil que « l’allopathie » connaît déjà. Dans ce cas précis, ça ressemble beaucoup à la campagne d’éradication du paludisme par le DDT (1955).
1- Le bénéfice risque.
On évite de donner un médicament à un patient non malade si les effets secondaires du médicament sont supérieurs aux bénéfices. Contrairement à un vaccin, l’artémisine ne confère pas d’immunité donc chez un individu sain, il faut en prendre tous les jours et s’exposer aux effets secondaires tous les jours.
2- l’apparition de résistances
L’application non sélective d’une seule molécule entraîne rapidement des résistances. Les quelques pathogènes insensibles à l’artémisine sont très fortement favorisés et très rapidement sélectionnés. Là où l’action conjointe de plusieurs molécules associées à une évaluation préalable des pathogènes en cause permet de trouver la combinaison idéale entraînant un minimum de risque d’apparition de résistance.
3- le problème du dosage.
Si le végétal produit de l’artémisine, ce n’est pas pour soigner le paludisme des humains, c’est pour des besoins propres (il semblerait que ce soit pour éliminer les plantes voisines… un genre d’herbicide!). La quantité d’artémisine présente dans une feuille va donc varier suivant les besoins du végétal à l’instant de la récolte. Traduit en « allopathie », ce serait comme de décider de donner, au hasard, une fois un quart de comprimé et une autre fois 10comprimés et une autre un comprimé. Résultat aléatoire. Sans compter qu’en sur-dosant on maximise le risque d’effet secondaire. Alors que le sous-dosage peut permettre l’émergence de résistance progressive (le pathogène « apprend » progressivement à se protéger du médicament).
Par contre l’idée de diminuer le coût du traitement par une production locale est une bonne idée. Mais il serait plus efficace que des coopératives locales traitent ces plantes pour en extraire l’artémisine pour l’utiliser sur les patients en ayant besoin. En combinaison avec d’autres anti-paludéens. Plutôt que « d’arroser » tout le monde à la tisane d’artémisine. De la même manière qu’à une certaine époque (1955) on imagina éradiquer le paludisme en « arrosant » tout le monde au DDT…
Certes Cédric Villani est un brillant mathématicien mais, à mon humble avis, il me semble manquer de quelque prudence (et de modestie) lorsqu’il aborde des sujets hors les mathématiques.
On a souvent l’impression, lorsqu’il s’exprime, qu’il cherche d’abord à faire de belles phrases « littéraires » avant même d’y mettre du sens. Cela sonne bien, mais finalement reste très creux.
Cela est parfois insupportable tellement son discours semble artificiel.
Curieusement, je n’ai jamais eu cette impression en écoutant Pierre-Gilles de Gennes ou Georges Charpak.
Ces deux illustres physiciens étaient d’une autre génération et possédaient l’un et l’autre une véritable et vaste culture.
Faire de la politique, c’est sortir de son champ de compétences…