Bonjour
Hier, 25 mars 2019, annonce matinale fracassante des services du Premier ministre : on recense, en France 1,6 million de fumeurs en moins. Un chiffre pour mettre en appétit avant, dans l’après-midi, un « Comité interministériel pour la Santé » au cours duquel « seront présentés les résultats marquants obtenus suite aux décisions prises il y a un an par le Gouvernement ». Plus précisément 600 000 « fumeurs quotidiens » auraient « arrêté le tabac lors du premier semestre 2018 ». Ils s’ajouteraient à la baisse d’un million officiellement enregistrés en 2017 et qui, déjà, avait été auto-qualifiée d’ « historique » par le gouvernement d’Edouard Philippe. La méthodologie pour parvenir à ce chiffre était alors plus que fragile, reposant sur une simple enquête aléatoire du « Baromètre Santé » :
« La mesure de la prévalence annuelle du tabagisme en France est appréciée par une enquête aléatoire représentative de la population des personnes âgées de 18 à 75 ans résidant en France métropolitaine, le Baromètre santé 2017 (A. Pasquereau et coll.). Elle a reposé en 2017 sur un échantillon de 25 319 personnes, permettant de disposer de données intégrant des variables d’âge, géographiques (régions) et de situation sociale. En 2017, la prévalence du tabagisme quotidien était de 26,9%, soit une baisse de 2,5 points par rapport à 2016, année où 29,4% des personnes déclaraient fumer quotidiennement. Cette baisse représente un million de fumeurs quotidien de moins en un an : c’est considérable ! »
Sobriété communicationnelle
« Un million » dans ces conditions et 600 000 supplémentaires, donc. Hier matin rien n’était dit par l’exécutif sur les consommations issues de la contrebande de cigarettes. Et rien, non plus, sur le rôle joué par ces phénomènes majeurs que sont l’émergence de la cigarette électronique, la Révolution des volutes et le rôle des addictologues dans la diffusion en pratique du concept de réduction des risques. Mais du moins pouvait-on espérer que ces 600 000 soient consolidés. Or rien. Et ces quelques lignes sur le site des buralistes :
« On s’étonnera de la sobriété de la communication gouvernementale d’hier sur la baisse du nombre de fumeurs depuis 2016 (-1,6 million), avec une précision sur le seul premier semestre 2018 (-600 000) . Sachant qu’il s’agirait de fumeurs ayant effectivement abandonné le tabac traditionnel (et pas de fumeurs cherchant à s’approvisionner en dehors du réseau officiel). On ne peut que se réjouir de cette bonne nouvelle. Mais pour qu’elle soit confirmée et reste dans les esprits, il serait utile de bien comprendre. Les mêmes sources gouvernementales évoquent les prix, le remboursement des substituts nicotiniques et le Mois sans Tabac. Sans citer, le moins du monde, le passage au vapotage ou au tabac chauffé. Surprenant. Des explications plus complètes ne sauraient tarder. »
Puis l’arrivée de Big Tobacco dans le paysage. Avec Éric Sensi-Minautier, Directeur des Affaires publiques et de la Communication de British American Tobacco / Europe de l’Ouest et son adresse aux médias :
« British American Tobacco (BAT) soutient les politiques de santé publique raisonnables et efficaces [sic]. Or, aujourd’hui, le Gouvernement se félicite d’une baisse supposée de la prévalence tabagique après plusieurs années d’une politique anti-tabac acharnée dont le principal effet incontestable a été d’encourager la contrebande de cigarettes.
« Cette baisse supposée de la prévalence nous paraît moins être le résultat des multiples interdictions (dont les fumeurs ont été la cible ces dernières années) que celui du développement de la cigarette électronique, seule alternative efficace à la cigarette traditionnelle [re-sic]. Rappelons, parmi d’autres éléments, que selon les chiffres du Ministère de la Santé lui-même, plus de 50 % des personnes qui arrêtent de fumer ont déclaré avoir eu recours à la cigarette électronique.
« Dans ce contexte, il est regrettable que ce levier puissant reste superbement ignoré par les autorités françaises alors même qu’il permettrait d’accélérer le basculement des fumeurs vers cette alternative au tabac, ce que démontre l’exemple britannique. Plus que jamais, il apparaît urgent de s’orienter vers une politique de santé publique pragmatique basée sur la réduction des risques plutôt que de s’entêter dans des approches idéologiques. »
Dix minutes au téléphone
Reste donc la question de la crédibilité à accorder aux données chiffrées gouvernementales. Nous avons demandé à Santé publique France de bien vouloir nous éclairer. Où sont les références de ces données ? Réponse de l’Unité de valorisation presse (Direction de la communication et du dialogue avec la société) : « ces données sont issues du Baromètre de Santé publique France 2018 et l’ensemble des résultats sur le tabac sera publié à l’occasion de la Journée mondiale sans tabac le 31 mai prochain ».
Il faudra donc encore attendre deux mois puisque les résultats du Baromètre de Santé publique France 2018 sont en cours de dépouillement. Seul élément connu : le « terrain de l’enquête ». Elle a été menée du 10 janvier au 25 juillet 2018, auprès de 9 076 personnes âgées de 18 à 75 ans. Les numéros de téléphone, fixes et mobiles, ont été générés aléatoirement. L’entretien téléphonique a duré en moyenne 10 minutes.
Et, si l’on comprend bien la communication, c’est ainsi que l’on aurait conclu, par extrapolation, à la disparition de 600 000 fumeurs.
A demain
@jynau