Bonjour
Le Canard enchaîné a fait mouche : à peine était-il, ce matin, dans les kiosques que la Direction générale de l’AP-HP prononçait un mea culpa – ce qui, en jargon administratif se dit : « SI-VIC : identification de cas d’utilisations inappropriées ». Où l’on voit, une nouvelle fois ,cette administration hospitalière tenter de rester dans le champ de l’entre-soi.
« Comment l’AP-HP pourra-t-elle encore continuer à nier ? » écrivions-nous il y a quelques heures au sujet du fichage des Gilets Jaunes hospitalisés lors des manifestations dans la capitale – une affaire d’importance qui avait conduit, fait remarquable, le Conseil national de l’Ordre des médecins à saisir la CNIL.
La Direction générale de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) avait au départ rejeté les accusations de « fichage » avant que la Direction Générale de la Santé ne la désavoue, reconnaissant que le système avait « été activé » sur l’ensemble du territoire national les 8 et 15 décembre 2018 – puis, ponctuellement selon la situation locale par les agences régionales de santé ou les SAMU. »
Puis le 20 avril dernier la même direction générale se défendait via un communiqué de presse intitulé « Mise au point sur un prétendu ‘’fichage’’ de patients ». Or Le Canard enchaîné de ce 23 avril rapporte que la méthode a été à nouveau utilisée le samedi 20 avril lors de l’acte XXIII du mouvement des Gilets Jaunes. « Le 20 avril, en pleine manifestation, la directrice de cabinet du patron de l’AP-HP, Martin Hirsch, avait même relancé les responsables d’hôpitaux : ‘’Nous vous rappelons qu’il convient de renseigner SI-VIC (système d’information pour le suivi des victimes) pour la régulation sanitaire’’. »
« Chaussettes vertes à petits pois, manque orteil pied droit »…
Dans un premier temps, la direction générale de l’AP-HP avait tenté de rassurer tout le monde en affirmant que les informations recueillies ne contenaient pas le nom des patients. Puis de reconnaître plus tard que les documents contiennent bien le nom, l’âge, le sexe et les adresses des manifestants. Toutefois, ‘’dans le respect du secret médical’’, il ne comporterait ‘’aucune donnée sur la nature des blessures prises en charge’’. Le Canard enchaîné d’aujourd’hui démontrait le contraire – preuve à l’appui avec des extraits du fameux fichier.
« En plus de données permettant d’identifier les personnes blessées dans les rassemblements, il contient parfois des détails de contexte : « arrivé avec pompiers, traumatisme main gauche » ; « tir flashball, plaie arcade » ; « intoxication lacrymogène, chaussettes vertes à petits pois, manque orteil pied droit »… Le fichier est en outre actualisé en temps réel et consultable par un grand nombre de services, bien au-delà du ministère de la Santé.
Extrait du premier mea culpa de l’administration de l’AP-HP (nous soulignons):
« Comme cela avait été fait dans d’autres circonstances où SI-VIC a été déclenché et comme dans d’autres hôpitaux, tous les services de l’AP-HP ayant reçu des victimes ont renseigné la base SI-VIC, ce qui a permis de pouvoir comptabiliser le nombre de blessés, de les localiser et de pouvoir mobiliser les services d’accueil d’urgences en fonction de l’afflux ou non de blessés. Au cours des premiers mois 2019, SI-VIC a été déclenché onze fois, trois fois pour des manifestations « gilets jaunes » et huit fois pour des incendies, explosions (rue de Trévise), intoxications dans une école (Créteil)…
« L’application SI-VIC ne comporte sur la page principale aucune ligne qui aurait pour objet ou pour effet de recueillir des informations médicales. Dans l’immense majorité des cas, les informations renseignées dans SI-VIC comportent comme commentaire le mode d’entrée (« amené par les pompiers ») ou le mode de sortie (« retour à domicile ») ou des éléments évitant les erreurs d’identification des victimes. Cependant, à la suite des investigations conduites pour vérifier certains éléments parus dans la presse, il apparaît que les onglets « commentaire » de l’application ont pu être utilisés pour mentionner des éléments de nature médicale. Cette pratique n’a été identifiée que de façon marginale ; à ce stade de nos investigations (trois services concernés un ou deux samedis) la case « commentaires » a été remplie de manière inappropriée pour rajouter des informations que les équipes pensaient utiles sur la nature de la blessure.
Cette situation peut s’expliquer par le fait que le « mémo SI-VIC », élaboré par l’AP-HP dans le souci de pouvoir disposer des informations permettant d’une part de dimensionner et d’orienter le patient vers les ressources spécialisées disponibles (ex : ophtalmologie, service de prise en charge des polytraumatisés), d’autre part, faisant suite au retour d’expérience de situations sanitaires graves, de faciliter l’identification des victimes, comporte un élément, sur la case commentaires « l’onglet commentaires permet d’ajouter toutes les informations utiles concernant la pathologie ou le type de blessure, l’intitulé exact du service… ». Cette précision, qui avait été mentionnée dans un souci de bonne prise en charge des patients, n’aurait pas dû apparaître ; au contraire, il aurait dû être rappelé qu’aucune information médicale ne devait être saisie. 1 »
Et ensuite ?
On explique au citoyen que des instructions sont actuellement données pour corriger ces éléments. Et que l’ARS et l’AP-HP « diligentent une inspection pour objectiver de façon transparente l’utilisation qui a été faite de l’application dans ces dernières semaines ». Une transparence diligentée par les administrations directement concernées…
On attend désormais les explications que devra apporter, sur ce dossier, Agnès Buzyn. La ministre des Solidarités et de la Santé, « exaspérée » par le sujet, avait affirmé, le 7 février dernier sur Europe 1 (à partir de 7’) : « Je ne demanderai jamais aux soignants de ficher les malades qui arrivent ! Connaître le nombre de personnes hospitalisées qui seraient soit des “gilets jaunes”, soit des forces de l’ordre, ça n’est pas comme ça que fonctionnent les hôpitaux, et heureusement ! ». Malheureusement il apparaît que parfois les choses sont un peu plus compliquées. Et inappropriées.
A demain
@jynau
1 François Crémieux, directeur général adjoint de l’AP-HP a, mercredi 24 avril, reconnu sur Europe 1 qu’il ne s’agissait pas de fautes individuelles mais bien d’une erreur de la direction générale.