Bonjour
20 mai 2019. Affaire Lambert. Le Figaro éditorialise quand Le Monde organise le débat. Dans le même temps, à mi-chemin, la Sociét française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) s’adresse à la presse . Extrait de son communiqué :
« La SFAP (…) déplore que la situation personnelle de M. Vincent Lambert fasse l’objet de déclarations catégoriques davantage au service de causes opposées que de sa situation singulière, compliquant ainsi la tâche déjà lourde de l’équipe médicale et le vécu de ses proches. Les adhérents de la SFAP portent des attentes et des convictions diverses. La SFAP rappelle toutefois que :
- Les équipes de soins palliatifs sont souvent sollicitées dans des situations très complexes qui mettent en tension la nécessaire attention portée à un individu, à son histoire et à ses choix et la responsabilité de la société qui est de veiller sur les personnes vulnérables. Ces équipes sont là pour accompagner et soulager même quand les questions semblent insolubles et que l’incertitude demeure. La SFAP refuse une société qui décide de la vie et de la mort des personnes, et reste engagée dans le refus de l’obstination déraisonnable. Elle souhaite que tous les patients qui en ont besoin puissent bénéficier de soins palliatifs et que des lieux d’hospitalisation puissent accueillir tous les patients cérébro-lésés qui en ont besoin.
- Les juridictions françaises et européennes ont jugé que la procédure collégiale menée a respecté la loi française et la convention européenne des droits de l’Homme. Quatre procédures collégiales ont d’ailleurs été menées par trois médecins différents, consultant la famille et associant des intervenants de diverses spécialités. Elles ont abouti chaque fois à la même conclusion. La SFAP ne se prononce pas sur la décision elle-même mais respecte ces procédures;
- Chaque situation est singulière, chaque décision est prise en appréciant les éléments uniques et personnels qui caractérisent l’état de santé d’un patient : comme l’a clairement rappelé le Conseil d’Etat, il ne faut en aucun cas tirer des enseignements généraux de la situation de M. Vincent Lambert sur l’ensemble des patients cérébro-lésés.
- Les Français doivent être rassurés sur le fait qu’un arrêt des traitements de maintien en vie ne signifie nullement un arrêt des soins, bien au contraire. Les équipes médicales n’abandonnent jamais leurs patients. Un arrêt des traitements de maintien en vie est suivi d’une intensification des soins avec une attention particulière portée au confort du patient pour lutter contre la souffrance;
- L’état de santé dans lequel se trouve Vincent Lambert est une situation de prolongation artificielle de la vie, résultant de l’action médicale. Comment faire pour éviter de créer artificiellement de telles situations ? L’attention portée à l’obstination déraisonnable depuis une dizaine d’années a permis une baisse notable du nombre de ces cas, mais il convient de rester vigilant;
- La situation de M. Vincent Lambert ne révèle aucune insuffisance législative. D’une part, la loi Claeys-Leonetti de 2016 n’est pas seulement une loi sur la fin de vie mais est également une loi sur l’obstination déraisonnable.
D’autre part, la singularité de la situation de M. Vincent Lambert relève surtout de la nécessité de prendre une décision en l’absence de consentement du patient, de directives anticipées et de personne de confiance, et du conflit familial qui en est résulté. Aucune loi, dans aucun pays n’est en mesure d’éviter un tel conflit. »
L’honneur de notre société
Dans le même temps les auteurs d’une tribune publiée dans Le Monde soutiennent que Vincent Lambert n’est pas « en fin de vie » mais « en grave situation de handicap ». Qu’il n’a « aucune assistance externe de fonction d’organe vital (poumons, cœur, reins) ». Qu’il n’est pas capable d’amener les aliments à sa bouche et de les avaler, mais qu’il il les assimile normalement. Qu’il n’est pas mourant, mais « en état de conscience altérée chronique ». « Comme lui, il y a près de 1 700 personnes en France, hospitalisées en unités spécialisées EVC-EPR (état végétatif chronique-état pauci-relationnel) ou, pour certaines, à domicile » écrivent les signataires 1
« La conscience est difficile à analyser. Elle fluctue. Même des équipes expérimentées se trompent dans 30 à 40 % des cas dans son diagnostic. Il s’agit d’un sujet de recherche très actif et un grand champ de progression de la connaissance existe dans ce domaine. Une personne diagnostiquée en état végétatif ou pauci-relationnel (EVC ou EPR) peut être consciente. Une telle erreur peut ainsi influencer les décisions de limitation de soins, surtout si on confond corps paralysé et corps inanimé, personne non communicante avec personne végétative. Les patients en EVC-EPR ont besoin de soins simples : stimulations relationnelles, rééducation, nursing, passage des aliments par une sonde. Ils ne peuvent exprimer leur volonté, et nous ne pouvons donc pas la connaître.
A la demande d’une partie de sa famille, donc sans consensus familial, le Conseil d’Etat a validé, le 24 avril,l’application de la loi Claeys-Leonetti dans « l’affaire Lambert », à savoir la décision d’arrêt des « traitements » prise par l’équipe médicale qui s’occupe de lui aujourd’hui, dirigée par un médecin gériatre spécialisé en soins palliatifs. Ces soins actuels sont différents des soins habituellement prodigués à des patients en EVC-EPR quand ils sont hospitalisés dans une unité ne dépendant pas d’un service de soins palliatifs.
Le premier motif d’arrêt des soins était le respect de sa volonté. Or si elle a été rapportée oralement par quelques membres de la famille, elle est contestée par d’autres. Par ailleurs, cette question de la volonté du patient hors d’état de s’exprimer ne se pose, d’après la loi Claeys-Leonetti, qu’en cas d’obstination déraisonnable, ce qui, de l’avis même des experts judiciaires mandatés en septembre 2018, n’est pas le cas (…)
La seconde justification de cette décision est que la loi Claeys-Leonetti a fait de l’alimentation par sonde un traitement que l’on peut donc arrêter. On peut effectivement envisager l’arrêt si son maintien est déraisonnable du fait d’une espérance de vie très courte ou d’une intolérance. II s’agit là d’éviter l’acharnement thérapeutique en fin de vie. Ce n’est pas le cas de Vincent Lambert. Son handicap et son état médical sont stables depuis des années et devraient être pris en charge comme pour tout autre patient en EVC-EPR.
Quelle société voulons-nous ? Nous signataires, médecins spécialisés dans la prise en charge des personnes handicapées, affirmons que c’est l’honneur de notre société que de continuer à prendre soin des plus vulnérables d’entre nous, fussent-ils en état de conscience altérée. »
C’est une assez bonne question: quelle société voulons-nous ?
A demain
1 Les auteurs sont des médecins spécialisés dans la prise en charge des personnes handicapées. Liste des signataires de la tribune « Affaire Vincent Lambert : ‘’Laisser mourir, fairemourir ou soigner ?’’ »