Bonjour
Jusqu’où remonter dans l’enchaînement des responsabilités ? « C’est une première » annonce Le Monde (Stéphane Mandard). Mardi 28 mai, au tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis), l’Etat est poursuivi pour son incapacité à protéger les citoyens contre la pollution de l’air. En clair : visé par un recours pour « carence fautive » parune mère et sa fille âgée de 17 ans, toutes deux atteintes de pathologies respiratoires importantes.
Pendant une vingtaine d’années, Farida a vécu à Saint-Ouen coincée entre le périphérique et deux avenues fréquentées. Elle souffre alors d’une toux persistante, de bronchites à répétition avec des signes d’asthme. Cures d’antibiotiques, douleurs, épuisement, arrêts de travail fréquents… sa vie est un calvaire. « Tous les jours, j’appréhendais, je regardais la qualité de l’air sur le site d’Airparif. Et si elle était vraiment très mauvaise, j’évitais de sortir », témoigne Farida dans un enregistrement sonore mis en ligne sur le site de l’association Respire, qui la soutient dans sa démarche, avec l’ONG Ecologie sans frontière.
Enfant la fille de Farida est une habituée des urgences pédiatriques et des séances de kinésithérapie respiratoire pour des bronchiolites. Puis, après l’âge de raison, rhinopharyngites et crises d’asthme. Depuis qu’elle s’est installée avec sa fille à Orléans (sur « prescription médicale ») ces problèmes de santé ne seraient plus qu’un mauvais souvenir. Elles réclament aujourd’hui 160 000 euros d’indemnisation pour le préjudice qu’elles estiment avoir subi et dont elles tiennent l’Etat pour responsable. Pour Me François Lafforgue, leur avocat, la « carence fautive » de l’Etat est double : aucun dispositif efficace n’a été mis en place pour enrayer le phénomène de la pollution atmosphérique ni sur le long terme ni lors des pics de pollution.
Responsabilités et culpabilités
Et Me Lafforgue de rappeller que la France est en infraction avec le droit européen pour des dépassements répétés des normes sur la qualité de l’air. Visé par le recours de Farida et de sa fille, François de Rugy, ministre de la Transition écologique et solidaire soutient via son ministère que « l’Etat a pris toutes les mesures nécessaires, dans la limite des responsabilités qui lui incombent en la matière, pour ramener les concentrations de polluants en deçà des valeurs limites » fixées par la directive européenne sur la qualité de l’air, et que ces actions ont permis ces dernières années « une réduction » pour les PM10 et le NO2 en région parisienne.
Quant à la Préfecture de police de Paris (Christophe Castaner), elle reporte la faute sur la victime, estimant que le dommage qu’elle a subi est « la conséquence directe et exclusive d’un choix strictement personnel ». Pourquoi ne pas quitter une ville polluée quand on se sait de constitution pulmonaire fragile ? Et de quel droit accuser l’Etat de sa propre incurie ?
Le droit, précisément. Pour le rapporteur public, avant de rendre son jugement, le tribunal doit vérifier si les troubles médicaux sont bel et bien dus à la pollution de l’air de Saint-Ouen. Relation de causalité ou simple corrélation. Que serait la justice sans la science et la médecine ?
Dans l’affaire Farida le tribunal administratif de Montreuil rendra son jugement dans une quinzaine de jours. Une cinquantaine d’autres recours ont été déposés pour les mêmes motifs par des victimes de la pollution de l’air à Paris, Lyon, Lille et Grenoble. Ils devraient être audiencés dans les prochaines semaines.
« La pollution, rappelle Le Quotidien du Médecin (Dr Irène Drogou) est responsable de 48 000 à 67 000 décès prématurés chaque année en France – et de 4,2 millions dans le monde. D’après « The Lancet Planetary Health », il y aurait 4 millions de nouveaux cas d’asthme pédiatrique dans le monde liés à la mauvaise qualité de l’air. » Jusqu’où la justice française remontera-t-elle dans l’enchaînement des culpabilités ?
A demain
@jynau