Bonjour
Comment faire, au mieux, avec l’ambivalence alcoolique ? Dans Le Figaro (Aude Rambaud) le Dr William Lowenstein, président de SOS addictions traite, avec l’aisance qu’on lui connaît, de la maladie alcoolique dans ses dimensions médicales et politiques. Que retenir ? Tout d’abord que l’alcoolisme n’est pas une fatalité française. Certes, explique-t-il, du fait de sa production de vin notre pays a un lien historique et culturel avec l’alcool et ne peut pas le considérer comme une « drogue ».
« Résultat, les pouvoirs publics encouragent encore son usage et en tolèrent l’abus. Mais nous ne sommes pas une exception. Tous les pays producteurs ont le même problème: l’Allemagne ou l’Australie avec la bière, le Royaume-Uni avec le whisky, la Russie avec la vodka. D’où le résultat: une population qui ne prend pas suffisamment au sérieux les méfaits de l’alcool et des centaines de milliers de vies ruinées. »
La réalité ambivalente est qu’entre 10 et 15 % des adultes présentent une « consommation à risque » ou un « problème avec l’alcool ». Mais dans l’imaginaire collectif, ces personnes sont « faibles », n’ont « pas su se contrôler », se sont « laissées aller ». Loin de les considérer come des malaeds de l’alcool on peut soutenir qu’elles n’ont tout simplement pas observé les messages de prévention en faveur d’une consommation modérée : « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. Aconsommer avec modération ». Comment un alcoolique pourrait-il soutenir qu’il n’était pas prévenu ? Dr Lowenstein :
« Quelle hypocrisie que ces messages! Allez, bonnes gens, consommez avec modération, mais consommez. Cela revient, de la part des autorités sanitaires, à se dédouaner des abus. A la place, il faudrait des slogans sur les ravages de l’alcool ; le nombre de cancers par an, de femmes dépendantes, de morts, de familles brisées, car c’est cela la réalité. Mais non, on préfère pacifier, sous-estimer les risques réels de cette vraie drogue. Les gens ne réalisent pas la gravité de la dépendance à l’alcool: ce chaos, cette survie douloureuse au quotidien. Je le dis, cette addiction est l’une des plus sévères qui soient avec les addictions aux amphétamines ou à la cocaïne. »
« Cette maladie entraîne une perte totale de contrôle vis-à-vis des autres. Aucune autre drogue, sauf la cocaïne, n’est aussi désinhibitrice, déstabilisatrice, entraînant paranoïa et violence, au point de terrifier sa propre famille. Et puis elle tue, par cancer, par maladie cardio-vasculaire ; par overdose, c’est le coma éthylique. En outre, la dépendance est terrible, plus forte que celle à l’héroïne. On se réveille la nuit pour boire, et un sevrage trop brutal entraîne des souffrances neuronales, des délires, des crises d’épilepsie qui peuvent être fatales. Enfin, la rémission est très difficile car le quotidien est envahi par l’alcool, contrairement aux autres drogues dures difficiles d’accès ».
Tragique ambivalence du politique
De même que le diable dans les détails l’ambivalence niche aussi dans la thérapeutique.
« Pendant des années, le problème de l’alcool était celui des psychanalystes, on recherchait ce qui n’avait pas tourné rond dans l’enfance, on faisait le point sur des souvenirs douloureux. Il fallait à tout prix trouver une explication, et la seule solution était l’abstinence. C’était au patient de se guérir lui-même, une question de volonté. Heureusement, les progrès en neurosciences permettent de faire le ménage dans ces vieilles croyances. L’alcoolisme est bien une maladie fonctionnelle liée à des perturbations neuronales en raison d’une surexposition à l’alcool. Demander à une personne dépendante de faire preuve de volonté revient à demander à une malade d’Alzheimer de faire des efforts de mémoire! »
Et en écho l’ambivalence, tragique, du politique – comme avec le tabac, autre substance addictive majeure dont la consommation nourrit les caisses de l’Etat.
« Ah, si seulement les politiques luttaient contre l’abus d’alcool avec la même efficacité que contre l’insécurité routière… Ce n’est pas seulement 100 à 200 vies par an qu’on sauverait grâce à la limitation de vitesse à 80 km/h, mais des milliers. Je rappelle que l’alcool, c’est plus de 40 000 morts en 2015 en France, dont la moitié liée à la consommation de vin. Seulement voilà, il n’y a ni volonté ni intelligence politique. Par pression des lobbys, par clientélisme, par attachement à leurs origines et au territoire, les parlementaires sont en plein déni et se montrent même cyniques en la matière en défendant ardemment le vin. Quant aux lois votées, elles ne sont pas appliquées. N’importe quel jeune de moins de 18 ans peut se procurer de l’alcool sans avoir à montrer de pièce d’identité. »
Dès lors interdire l’alcool ? Le diaboliser pour en finir avec nos démons ?
« Non, diaboliser l’alcool serait aussi peu intéressant et aussi ridicule que le fait de sous-estimer ses méfaits comme le font les politiques. L’alcool a une fonction initiale bénéfique. Mais sa consommation devrait rester occasionnelle, avec une prise de conscience massive du danger qu’il représente pour la santé et la liberté de chacun. »
Gustave Flaubert ne nous dit, au fond, rien d’autre. Dans sa première « Education sentimentale » (1845) : « C’était bien là le réveil de l’ivresse dans toute sa misère, avec sa chaelur aigre et son délire qui tombe. ».
Puis, un quart de siècle plus tard, à Mlle Leroyer de Chantepie : « La vie n’est supportable qu’avec une ivresse quelconque. » Il lui restait dix ans à vivre.
A demain @jynau