Bonjour
Après celle dite périphérique, comment décrire la vieille France profonde ? Faute de s’adonner aux riches joies du reportage les médias, depuis quelques décennies déjà, privilégient les travaux des sociologues. Moins coûteux en « notes de frais ». Tenus pour être sinon plus objectifs, du moins plus proches d’une réalité chiffrée dotés des apparences du scientifique.
Aujourd’hui un bien intéressant papier du Monde (Solène Cordier) consacré à la prostitution 1. Où l’on revient sur la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées » : abrogation du délit de racolage ; pénalisation des « clients ». Où l’on revient, aussi, sur le credo gouvernemental (Marlène Schiappa) actuel fondé sur des chiffres discutables (environ 30 000 prostitué.e.s en France ; 85 % de femmes dont 93% étrangères) :
« La prostitution en France recouvre des manifestations très diverses : prostitution de rue ou via Internet, prostitution étudiante, prostitution de femmes, d’hommes ou de personnes transgenre… Si le phénomène est difficile à quantifier, il ressort cependant des données existantes que les personnes prostituées sont principalement des femmes, et que l’immense majorité de celles qui sont prostituées sur la voie publique par un proxénète ou un réseau de traite à des fins d’exploitation sexuelle.
« La prostitution a progressivement cédé la place depuis une quinzaine d’années à l’exploitation sexuelle et la traite des êtres humains, dominée par des réseaux criminels internationaux qui utilisent de multiples modalités de contrainte. La précarité et la vulnérabilité sont des facteurs déterminants d’entrée et de maintien dans la prostitution. La prostitution est un univers marqué par des violences d’une extrême gravité et des séquelles psychologiques et physiologiques majeures. La prostitution est considérée comme une violence en soi, plus précisément une violence faite aux femmes. »
Les nostalgiques du délit de racolage
Le Monde résume le travail des sociologues Hélène Pohu et Jean-Philippe Guillemet – travail effectué pour le compte de la Fondation Scelles (favorable à la loi) et de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Et montre l’hétérogénéité de la situation dans un pays pourtant nettement plus jacobin que la moyenne.
La loi, donc, trois ans après. Comment est-elle appliquée ? Constat : si les aspects les plus médiatisés de la loi (la pénalisation des clients et les parcours de sortie de la prostitution) sont bien identifiés, les autres mesures (stages de sensibilisation, prévention auprès de la jeunesse, lutte contre le proxénétisme sur Internet) sont souvent encore ignorées. Mais encore ? Une variété des pratiques et un inégal « degré de mobilisation » des acteurs locaux (préfets, procureurs, associations) entre Bordeaux, Paris, Narbonne et Strasbourg. Ici Paris fait figure de modèle en matière d’ « interdiction d’achat d’actes sexuels », d’accompagnement social des prostituées, de lutte contre le proxénétisme et de prévention des pratiques prostitutionnelles.
Sur 4 000 interpellations au niveau national, Paris à elle seule en recense 2 263, Bordeaux 300. A Narbonne, 88 clients ont été verbalisés, tandis qu’à Strasbourg, seules … trois interpellations ont eu lieu, en 2017 (la proximité de l’Allemagne, où la prostitution est légale ?). Les auteurs voient là une réticence de bon nombre de fonctionnaires de police (« nostalgiques du délit de racolage » – sic), à appliquer cette mesure.
La même hétérogénéité prévaut pour la mise en place du volet social de la loi. Dans les quatre villes étudiées, seules 83 personnes se sont engagées « dans un parcours de sortie de la prostitution » : (74 à Paris, 6 à Strasbourg, 3 à Bordeaux, aucune à Narbonne). Au niveau national global, on en compte 183, selon les données de la DGCS. Des chiffres d’une extrême faiblesse compte tenu du nombre de prostituées qui exercent en France. On attend désormais la publication (avant la fin de l’année) d’une évaluation nationale de la loi, coordonnée par les inspections générales des ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Santé.
Pour l’heure il n’est pas interdit de penser que la pratique du reportage permettrait de mieux comprendre ce qu’il en est de l’impact de la loi dans la France, profonde ou pas.
A demain @jynau
1 Prostituer (se) Accomplir par intérêt ou par obligation une tâche dégradante, déshonorante ou rebutante; renoncer à sa dignité pour des motifs d’intérêts. Homais inclina vers le pouvoir. Il rendit secrètement à M. le préfet de grands services dans les élections. Il se vendit enfin, il se prostitua (FLAUBERT., MmeBovary, t. 2, 1857, p. 205).
Se livrer aux désirs sexuels d’une personne, le plus souvent pour des motifs d’intérêt; en partic., se livrer à la prostitution publique. La femme Cuche, cette misérable abandonnée qui se prostituait à tous les hommes, dans les trous de la côte, pour trois sous ou pour un reste de lard (Zola, Joie de vivre,1884, p. 1004)