Note «secrète» de la Direction du Trésor: les médecins privés de la liberté de s’installer?

Bonjour

C’est une note sinon secrète, du moins largement passée inaperçue : « Comment lutter contre les déserts médicaux ? » Elle émane de la Direction générale du Trésor, Ministère de l’Économie et des Finances 139, rue de Bercy 75575 Paris CEDEX 12. Et elle vient d’être sortie du coffre en palissandre, époussetée et mise en lumière par « France Assos Santé, La voix des usagers ».

C’est une note qui va à contre-courant du discours dominant de tous les gouvernements : on ne touche pas à la liberté d’installation des médecins français. Liberté pleine et entière de « visser sa plaque » où bon lui semble. C’est une liberté de l’ordre du sacré, quand bien-même serait-elle en trompe-l’œil.

 « Cette note fort bien documenté démonte certains des arguments phares des médecins et des politiques contre la remise en cause de la liberté d’installation, résume La voix des usagers. Elle plaide pour une limitation temporaire de cette liberté afin de mieux lutter contre les déserts médicaux. Des positions qui rejoignent en de nombreux points celles de France Assos Santé. »

Contexte. 226 000 médecins étaient en activité au 1er janvier 2018. Un record absolu. Sauf que les disparités entre territoires n’ont jamais été si fortes. Des disparités qui se sont accentuées sur la période 2007-2015 : les effectifs de médecins n’ont cessé de diminuer dans les départements les moins pourvus, et ont continué d’augmenter dans ceux dont la densité médicale dépassait déjà la moyenne nationale. Une aberration. Ainsi le délai médian pour obtenir un rdv chez un spécialiste peut varier du simple au double selon la zone où on se trouve : 79 jours d’attente pour un rdv ophtalmo dans les zones de faible accessibilité, contre 40 jours dans celles les mieux dotées.

« Inciter » financièrement  à l’installation ?  La note de Bercy juge également inefficaces les aides financières mises en place depuis 2013 pour favoriser l’installation dans les zones sous-dotées. Ces aides n’ont pas généré de hausse significative du pourcentage d’installation dans les zones fragiles. La Cour des comptes a d’ailleurs taxé ces dispositifs d’« inopérants et porteurs d’effets d’aubaine excessifs, au regard du volume très limité de nouvelles installations qu’ils ont suscitées». Et Bercy de conclure que « des réformes plus structurantes paraissent nécessaires pour augmenter significativement le nombre d’installations en zones sous-denses »

Faire une croix sur la liberté de s’installer. « Bercy ne le dit pas explicitement et prend moult pincettes sur ce sujet que l’on sait brûlant, commente La voix des usagers.  La remise en question de la liberté d’installation semble pourtant bien faire partie des mesures « structurantes » et « nécessaires » avancées par le ministère. Extrait :

« Pour que la première installation des prochaines générations de médecins tiennent davantage compte du contexte de déséquilibre entre offre et demande que la fin du numérus clausus ne pourrait résoudre à court-terme, une adaptation temporaire et ciblée du principe de libre installation pourrait être envisagée dans les zones particulièrement sur-dotées, afin d’éviter une accumulation de l’offre là où elle est déjà très forte. Par exemple, l’accès à certaines zones géographiques déjà fortement dotées en médecins pourrait temporairement être conditionné à la cessation d’activité d’un médecin exerçant la même spécialité.

« Le caractère temporaire de cette mesure serait lié à la nécessité de franchir la période durant laquelle la suppression du numérus clausus ne produira pas d’offre nouvelle. Cette mesure ne pourrait être mise en place que de façon progressive et en étroite concertation avec les médecins, afin de ne pas risquer d’affecter l’attractivité de l’exercice libéral.

« Le conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) avait déjà envisagé en 201232 la mise en place d’une mesure dérogatoire au principe de libre installation puisqu’elle consistait à rendre obligatoire, pendant 5 ans, l’exercice des jeunes médecins au sein de leur région de formation. Plus récemment, la Cour des comptes33 proposait de mettre en place un « conventionnement sélectif » dans les zones surdotées en médecins, où les nouveaux entrants n’auraient le droit de s’installer qu’en secteur 1, avec des tarifs plafonnés. Une adaptation temporaire telle que présentée supra apparaît bien moins contraignante. »

Pour sa part France Assos Santé se dit « ravie de constater que le ministère de l’Économie partage ses constats et certaines de ses recommandations ». « Nous rappelons que plus de 4 millions de personnes en France n’ont toujours pas accès à un médecin traitant, et qu’il faut dans certaines zones plus de six mois pour obtenir un rendez-vous chez un spécialiste. Au regard du problème majeur que constituent les déserts médicaux pour l’accès aux soins de millions de personnes en France, la question de la liberté d’installation ne doit plus être un tabou. Il en va de l’égalité devant le soin. »

Repêcher les candidats recalés à la sélection des études de médecine ? Sur l’autre rive, le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF : « Les vieilles propositions, qui ont toujours échoué, sont de nouveau de mise. Pourtant, partout où la liberté d’installation a été supprimée, et où les autres pays ont tenté de réguler l’installation des médecins pour résoudre le difficile problème de l’accès géographique aux soins, ceci s’est traduit par un échec… Quant à vouloir repêcher les candidats recalés à la sélection des études de médecine en les envoyant dans les zones sous-denses, voilà un bien curieuse vision de l’égalité des Français devant la maladie et la bonne prise en charge que véhicule le ministère des Finances. »

Pour le Dr Ortiz, le médecins français sont attachés à une médecine de qualité, à des jeunes médecins formés dans les meilleures conditions, et à une valorisation de leur mode d’exercice. Or le statut libéral n’attire plus – ou peu. « Les jeunes médecins s’installent tard (38 ans), dit-il. C’est bien parce qu’ils ne connaissent pas le mode d’exercice libéral qu’ils s’en détournent souvent : il est indispensable que leur formation s’ouvre largement sur l’exercice professionnel, en particulier en médecine de ville et en pratique libérale. »

Voilà, selon lui, des pistes simples que le gouvernement ferait bien de mettre en œuvre plutôt que de s’attacher à des mécanismes coercitifs qui ont déjà échoué partout ailleurs.

Est-il raisonnable, sortant de la Faculté, de se mettre en frais pour des vis et une plaque ? On attend ici, venus de Bercy, les précieux conseil de la Direction générale du Trésor.

A demain @jynau

4 réflexions sur “Note «secrète» de la Direction du Trésor: les médecins privés de la liberté de s’installer?

  1. Mais de quel droit divin (au moins) de nobles et respectables (dans leur cercle professionnel) administrateurs veulent imposer les choix de vie des jeunes médecins ?
    Rien à faire, quelques soient les circonlocutions habilement maniées, il est extrêmement désagréable pour une profession indispensable à la vie d’une société de se faire traiter comme des gens incapables de choisir la meilleure voie pour leur vie à eux.
    Que fait-on du jugement (jamais neutre) des populations concernées qui confient leur peau à X plutôt qu’à Y ? Les cabinets qui marchent du feu de Dieu et ceux qui tirent le Diable par la queue, les services actifs et ceux qui sont boudés, quel que soit l’endroit et la discipline, c’est une réalité.

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