Guerre des tranchées entre les «bons vivants» et ceux qui entendent bien le rester (3)

Bonjour

Pour la première fois en France les fêtes de Noël et du Nouvel An précèdent un mois de Janvier qui sera marqué par deux opérations concurrentes tendant à sa « désalcoolisation » de la population:  #LeDéfideJanvier et #LeDéfideJanvier Sobre). Prière de ne pas confondre :

I Relever#LeDéfiDeJanvierc’est ne pas boire d’alcool pendant un mois et rejoindre une communauté de plusieurs millions de personnes qui vont ensemble changer leur rapport à l’alcool;

II #LeDéfideJanvierSobre c’est extrêmement simple et très ludique (sic). Il vous suffit de compter vos jours « SANS alcool » pendant tout le mois de Janvier  Objectif 1 : au moins 2 jours par semaine ! ainsi que le nombre de verres d’alcool consommés les autres jours Objectif 2 : maximum 2 verres par jour !

Attention, « Pour votre santé, maximum 2 verres par jour et pas tous les jours » en ne dépassant pas 10 verres par semaine. C’est la limite à ne pas dépasser et en aucun cas des repères de consommation à atteindre.

Où l’on perçoit deux concepts, deux logiques, deux idéologies de la réduction des risques sanitaires. Dans l’attente des prochains développement de ce qui alimente, en France, une polémique inédite, nous publions un texte paru dans la Revue Médicale Suisse 1. Un texte qui aide à saisir la toile de fond politique (et plus précisément présidentielle) de l’affaire alcoolique qui nous occupe. Voici ce texte :

« Paris. Cela s’est passé à la veille de l’ouverture du Salon international de l’agriculture (2018). En marge d’une rencontre avec de jeunes paysans, Emmanuel Macron, président de la République française : « Moi, je bois du vin le midi et le soir (…). Il y a un fléau de santé publique quand la jeunesse se saoule à vitesse accélérée avec des alcools forts ou de la bière, mais ce n’est pas avec le vin. Tant que je serai président, il n’y aura pas d’amendement pour durcir la loi Evin (d’encadrement de la publicité pour les boissons alcooliques). »

Et Emmanuel Macron d’ajouter qu’il faisait ici sienne la formule de l’un de ses prédécesseurs, Georges Pompidou (1911-1974), formulée à un futur président (Jacques Chirac alors chargé de mission) : « Mais arrêtez donc d’emmerder les Français. Il y a beaucoup trop de lois, trop de règlements dans ce pays ».

Il faut ici, pour comprendre, contextualiser. La veille de la sortie du président de la République, l’un de ses proches (Christophe Castaner, délégué général du parti présidentiel) déclarait publiquement : « Il y a de l’alcool dans le vin mais c’est un alcool qui n’est pas fort (sic). Le vin fait partie de notre culture, de notre tradition, de notre identité nationale. Il n’est pas notre ennemi ». Où l’on retrouvait professée, en haut lieu et en 2018, une formule dénoncée depuis les premiers travaux sur l’alcoolisme et reprise par l’ensemble du monde de l’addictologie, celle d’une différence entre les alcools qui seraient « forts » et ceux qui ne le seraient pas – au point, in fine, de ne plus en être.

« Ce n’est pas le moment d’hystériser le débat juste avant le Salon de l’Agriculture. Les propos de Castaner ont contribué à baisser les tensions » confiait alors un membre (anonyme) du gouvernement français cité par Le Figaro. Il s’agissait clairement ici de propos ciblant ceux prononcés quelques jours auparavant, sur une chaîne de télévision publique et à une heure de grande écoute, par Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé.

C’est la même chose de boire du vin, de la bière, de la vodka, du whisky

« L’industrie du vin laisse croire aujourd’hui que le vin est différent des autres alcools, avait-elle osé déclarer. En termes de santé publique, c’est exactement la même chose de boire du vin, de la bière, de la vodka, du whisky, il y a zéro différence ! On a laissé penser à la population française que le vin serait protecteur, qu’il apporterait des bienfaits que n’apporteraient pas les autres alcools. C’est faux. Scientifiquement, le vin est un alcool comme un autre. »

Ce désaveu public des propos de la ministre en charge de la santé publique par le chef de l’Etat et par ses proches a profondément ému dans les milieux français de la lutte contre la maladie alcoolique et contre les addictions en général. Devait-il pour autant surprendre ? L’action d’Emmanuel Macron semble, dans ce domaine, d’une remarquable constance. C’est lui qui, ministre de l’Economie sous le précédent quinquennat, avait en 2016 délibérément participé au « détricotage » de la loi Evin via un amendement distinguant « publicité » et « information » dans une loi portant son nom.

Il y a un an, lors de la campagne électorale pour l’élection présidentielle, le candidat Macron ne s’était pas caché d’être un amateur. « Emmanuel Macron, candidat à l’élection présidentielle, créateur du mouvement « En Marche ! » et ex-ministre de l’Economie, est aussi un amateur de vin, expliquait alors la revue Terre de Vins. Ce météore politique de 39 ans, qui pourrait bien créer la surprise en avril-mai dans les urnes, s’est plié à l’exercice de l’interview et… de la dégustation lors d’un récent passage à Bordeaux. »

« J’ai été élevé par mes grands-parents qui avaient cette formule : “Le vin rouge est un antioxydant”. Il n’y avait pas de caractère culpabilisant » déclarait alors le futur président, ajoutant avoir grandi dans une famille où l’on trouvait « un certain nombre de bouteilles à la cave ». Il a pu, ensuite, parfaire ses connaissances, notamment lors de son passage à la Banque Rothschild : « J’ai eu l’occasion de former mon palais, même si je ne buvais pas du Lafite tous les midis, malheureusement ! ». Pour lui, le vin est « un formidable atout pour le rayonnement de la France ». Et d’ajouter : « la France déçoit quand elle ne met pas les petits plats dans les grands. J’y tenais beaucoup quand j’étais au ministère de l’Economie. Quand je recevais nos hôtes étrangers, ils s’attendaient à boire du bon vin, un bon champagne, un digestif. Le vin est un ambassadeur. » Confiant dans le potentiel de cette filière, il concluait en rappelant que le vin a une dimension poétique et culturelle.

Pour sa part, la revue spécialisée rappelait que, lorsqu’il s’agissait de « défendre le vin », les hommes politiques français prenaient toujours d’immense précautions. Chacun sait que cette activité représente un pan majeur de la culture et de l’histoire française, de sa gastronomie et de son économie. Pour autant (et quand bien même l’alcoolisme ne s’aurait s’y réduire) le poids de l’addiction à l’alcool fait, en France, que la prise de parole politique autour du vin relève toujours d’une forme d’exercice d’équilibrisme.

Or, surprise, Emmanuel Macron ne semblait pas s’en soucier. Subtil calcul ou l’un des effets de son atypique jeunesse dans la fonction ? « Le candidat à l’élection présidentielle aime le vin, et il ne s’en cache pas, pouvait-on lire dans cette revue. Et il est prêt à le défendre. Les vignerons le savent, malgré l’opposition ferme de la ministre de la Santé, Marisol Touraine, la loi Macron leur a apporté une avancée importante : l’assouplissement de la loi Evin. Une mesure essentielle pour faciliter la communication autour de l’œnotourisme. »

Et maintenant ? Les réactions et commentaires commencent à fleurir, opposant défenseurs de la santé publique et lobbyistes du monde viticole français. Comme sur Slate.fr. 2  « Suite aux propos du président de la République française, il est impérieux de recentrer les débats autour des vrais enjeux de santé publique, dont l’information scientifique des conséquences de la consommation d’alcool (vin compris) et la prévention forment la pierre angulaire, souligne pour sa part le Pr Mickaël Naassila, président de la Société Française d’Alcoologie. Ils ne visent pas à une quelconque diabolisation du vin, mais à une communication des informations que le consommateur est en droit d’attendre. »

« Aux States, les armes. En France, le vin. A chacun, son Lobby et son Président, écrit le Dr William Lowenstein, président de SOS Addictions. La pollution idéologique hexagonale est sans doute aussi puissante que la pression économique, les deux aux dépens de la santé publique. »

Il rappelle les chiffres (49 000 morts prématurées chaque année soit plus de dix fois la mortalité routière), le coût sanitaire et social (quelques centaines de milliards, pas plus, selon la Cour des Comptes), l’embouteillage aux urgences hospitalières pour overdoses d’alcool chaque vendredi ou samedi soir, les violences faites aux femmes et aux enfants dans le cadre familial, le syndrome d’alcoolisation fœtale par manque d’information…

« Penser que les personnes dépendantes ou cancéreuses que nous voyons en consultation ou hospitalisation ne boivent, c’est bien connu, que de la méchante vodka, de la bière étrangère ou de la tequila exotique mais jamais ni vin rouge, ni vin blanc, ni vin rosé, ni champagne est une triste contre-Addiction ; de même que penser que le binge-drinking des “djeuns” résumerait le vertigineux problème de santé publique de l’alcool en France, ajoute le Dr Lowenstein. Comment en sommes-nous, en France, revenus là ? » C’est là une question qui risque de demeurer, quelques années encore, d’actualité. »

A demain @jynau

1 Nau J-Y « Vins et alcoolisme : la faille du président de la République française ». Rev Med Suisse 2018; volume 14. 594-595

2 Askolovitch C « Macron choisit le vin, désavoue Buzyn et oublie Mendès France ». Slate.fr 24 février 2018

5 réflexions sur “Guerre des tranchées entre les «bons vivants» et ceux qui entendent bien le rester (3)

  1. C’est comme la distinction avec les drogues dures…le problème ici c’est l’addiction.
    Etre libre de boire de ne pas boire. C’est une démarche avant tout individuelle mais dans un pays ou l’alcool est un fait culturel. Ce n’est pas simple.
    « Arrêter d’emmerder les français » disait Pompidou en 1966, ben on peut dire que ses successeurs à l’Elysée n’ont pas cesser de nous saouler en terme de règlements de lois d’impôts et de fonctionnaires.
    Il y a une forme d’addiction des hommes politiques aux lois, règlements, impôts et fonctionnaires, un seul remède la liberté !

    • Quel dommage de présenter ces deux projets dry January et Janvier sobre comme « concurrents ». Ils sont complementaires, ont le mérite d’avoir été mis en place pour la première fois dans notre pays. Les français choisiront le format qui leur conviennent le mieux. Bonnes fêtes de fin d’année à vous et merci pour vos éditos toujours intéressants.
      CL.

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