Bonjour
26/03/2020. Science, Politique, Justice. Tout va toujours plus vite, beaucoup plus vite qu’on l’imaginait la veille. Hier encore il fallait plusieurs années, souvent bien plus d’une décennie, entre les faits conduisant à un « scandale sanitaire » et l’entrée en scène de l’appareil judiciaire. Tel n’est plus le cas aujourd’hui où l’on voit, alors que le pays est « en guerre » et que le chef de l’Etat appelle à « faire bloc », les premiers symptômes des poursuites à venir.
« C’est un sujet tabou, qui représente pourtant une source d’inquiétude majeure au sommet de l’Etat : la peur d’éventuelles poursuites judiciaires contre des membres du gouvernement suite à la gestion de la crise du coronavirus » peut-on ainsi lire dans Le Monde (Jean-Baptiste Jacquin, Cédric Pietralunga, Alexandre Lemarié et Olivier Faye). Selon nos informations, le premier ministre, Edouard Philippe, a évoqué le sujet pour la première fois, mardi 24 mars, lors du petit déjeuner de la majorité, qui se déroulait en visioconférence. »
Edouard Philippe aurait notamment regretté « selon un participant à la réunion » que les oppositions, Les Républicains (LR) en tête, aient annoncé leur volonté de lancer plusieurs commissions d’enquêtes parlementaires. En parallèle, des médecins et des malades menacent le gouvernement d’éventuelles poursuites pénales. « Une véritable épée de Damoclès pour le pouvoir » selon Le Monde.
Le quotidien joue ici un rôle essentiel puisque les différents plaignants s’appuient notamment sur les déclarations d’Agnès Buzyn au Monde. L’ancienne ministre des Solidarités et de la Santé y affirmait, à la surprise générale, avoir alerté dès le mois de janvier le Premier ministre sur la gravité de l’épidémie. « Au sein de l’appareil d’Etat, certains voient d’ailleurs dans ces confidences une volonté de se couvrir en amont, nore le quotidien. ‘’ L’interview de Buzyn est une bombe atomique car elle prépare l’étape d’après sur les commissions d’enquête à venir et les éventuels procès’’, analyse un haut fonctionnaire, au fait de ces sujets .»
« Bombe atomique » ? Peut-être. La présidente du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen, le pense sans doute, qui a aussitôt cherché à instrumentaliser cette polémique en estimant que « Mme Buzyn sera probablement amenée à donner des explications à la Cour de justice de la République (CJR) ». « Se rend-elle compte qu’elle engage sa responsabilité pénale et celle des autres personnes qu’elle dit avoir prévenues ? », a commenté pour sa part le chef de file des « insoumis », Jean-Luc Mélenchon.
Rendre des comptes
C’est dans ce contexte qu’un nombre croissant de responsables de l’opposition et de représentants des soignants accusent ouvertement l’exécutif d’« impréparation » face à la crise du coronavirus, qu’il s’agisse de la pénurie des masques protecteurs, des tests de dépistage ou des capacités hospitalières. Avec ce corollaire : le sommet de l’Etat devra « rendre des comptes ».
On connaît les outils démocratiques habituels, à commencer par la commission d’enquête parlementaire afin de « tirer toutes les leçons de l’épidémie », « d’identifier les éventuelles défaillances et dysfonctionnements » de la part du gouvernement « pour les corriger et en tirer des leçons ».
« Sous le vernis de l’unité nationale affichée, ces annonces sont ressenties clairement comme des menaces – elles en sont d’ailleurs – et nuisent au bon fonctionnement de l’Etat dans la lutte contre la crise, en mettant aux ministres et aux services une pression supplémentaire en plus de celle, déjà lourde, qu’ils supportent , a confié au Monde un responsable de la majorité. Les menaces sont évidentes. Une commission d’enquête peut déboucher sur des sanctions pénales. »
Ce n’est pas tout. Le 24 mars, un patient atteint du SARS-CoV-2 a porté plainte contre X pour « entrave aux mesures d’assistance » devant la Cour de justice de la République, a révélé BFM-TV. En cause : la supposée « inaction » du gouvernement au fur et à mesure que les avertissements de la communauté scientifique se multipliaient. Selon une source judiciaire, la CJR aurait déjà reçu cinq plaintes – quatre contre Edouard Philippe et Agnès Buzyn, et une contre le Premier ministre et l’actuel ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran. Plaintes pour blessures involontaires, homicides involontaires ou mise en danger de la vie d’autrui.
Et puis il faut aussi compter avec cette autre action, spectaculaire, menée par un collectif de médecins (dénommé C19) et visant Agnès Buzyn, et Edouard Philippe. Ils estiment que ces derniers « avaient conscience du péril et disposaient des moyens d’action, qu’ils ont toutefois choisi de ne pas exercer ». Leur initiative est appuyée par une pétition en ligne. « Cette pétition mise en ligne le 21 mars sur le site change.org a déjà réuni plus de 210.000 signatures le 26 mars, observe Le Figaro. Elle soutient la plainte déposée par un collectif de plus de 600 médecins, Ces derniers accusent le premier ministre et l’ancienne ministre de la Santé de ‘’mensonge d’État’’».
Face à ces menaces la sérénité est, à ce stade, officiellement de mise au sein de l’exécutif. Où l’on assume (comme l’a déjà fait Edouard Philippe interrogé sur les propos d’Agnès Buzyn) tous les choix qui ont été effectués. Et où l’on assure que, le moment venu, on ne se réfugiera pas derrière les recommandations exprimées par le « Conseil scientifique » en charge de conseiller le gouvernement. Où l’on en revient, une nouvelle fois et sans attendre l’action de la justice, à l’importance démocratique qu’il faut aujourd’hui accorder à l’articulation entre évaluation scientifique du risque et gestion politique de ce dernier.
A demain @jynau
Il faudrait que Mme Buzyn tienne un discours cohérent pour que l’on attache de l’importance à ses propos. Or, pour le moment elle n’a pas brillé dans ce domaine.
Mais ce n’est plus le moment de faire des procès. Ils viendront au décours de la crise au risque sinon de paralyser l’action publique qui se structure progressivement.