Bonjour
29/03/2020. Elle se glisse dans toutes les conversations, bat des records de taux d’audience, inquiète le pouvoir exécutif, alimente les fantasmes et nourrit l’irrationnel : l’hydroxychloroquine. On la retrouvait hier sous les ors du Conseil d’Etat. Au moment même où, à l’hôtel Matignon le ministre de la Santé tentait de ne pas mettre d’huile sur le feu, la plus haute juridiction administrative rejetait les requêtes en référé contestant la politique de l’exécutif en matière de prescription d’hydoxychloroquine (Plaquenil) aux patients ( ainsi que l’approvisionnement en masques des professionnels de la santé et de tests de dépistage). « Gestion de la pandémie : le Conseil d’Etat donne un blanc-seing au gouvernement » résumait aussitôt Libération (Renaud Lecadre).
Au chapitre médicamenteux, les plaignants dénonçaient la «carence caractérisée» du gouvernement à autoriser largement ce traitement, au risque d’attenter au «droit à la vie». Un soutien nullement voilé, plein et entier au Pr Didier Raoult de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille. Il n’est pas inintéressant d’observer comment les puissants juges du Conseil d’Etat s’emparent du sujet, le traitent et concluent. Comment, en somme, le pouvoir judiciaire saisi par le citoyen traite des questions relatives aux rapports qu’entretient l’exécutif avec la science, la médecine et la santé publique.
1 La demande. Le Syndicat des Médecins Aix et Région (SMAER) demandaient au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative « d’enjoindre à l’Etat de prendre toutes mesures utiles pour fournir et autoriser les médecins et hôpitaux à prescrire et administrer aux patients à risque l’association de l’hydroxychloroquine et de l’azithromycine, en respectant les précautions d’emploi de cette association ».
2 La spécialité pharmaceutique. Le Conseil d’Etat rappelle que le sulfate d’hydroxychloroquine est commercialisé par le laboratoire Sanofi sous le nom de marque de Plaquenil, en vertu d’une autorisation de mise sur le marché initialement délivrée le 27 mai 2004. Indications thérapeutiques : le traitement symptomatique d’action lente de la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux discoïde, le lupus érythémateux subaigu, le traitement d’appoint ou prévention des rechutes des lupus systémiques et la prévention des lucites. Cette spécialité ne peut être prescrite dans une autre indication.
3 Les nouvelles études. « Alors qu’aucun traitement n’est à ce jour connu pour soigner les patients atteints du covid-19, une étude chinoise publiée au début du mois de mars 2020 a documenté l’activité in vitro de l’hydroxychloroquine sur le virus qui en est responsable, observe le Conseil d’Etat. Une recherche a ensuite été conduite, du 5 au 16 mars 2020, par une équipe de l’Institut hospitalo-universitaire de Marseille en utilisant l’hydroxychloroquine en association avec un antibiotique, l’azithromycine, chez vingt-six patients, dont les auteurs déduisent que le traitement par hydroxychloroquine est associé à une réduction ou une disparition de la charge virale chez des patients atteints du covid-19 et que cet effet est renforcé par l’azithromycine. »
Puis, le 22 mars 2020 a été lancé un essai clinique européen « Discovery » pour tester l’efficacité et la sécurité de cinq molécules, dont l’hydroxychloroquine, dans le traitement du covid-19, incluant 3 200 patients européens, dont au moins 800 patients français hospitalisés pour une infection due au covid-19, inclus à compter du 24 mars, les premiers résultats étant attendus quinze jours après le démarrage de l’essai.
4 L’avis demandé par le gouvernement. A la demande urgente de la Direction générale de la santé, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a rendu, le 23 mars 2020, un avis sur les recommandations thérapeutiques dans la prise en charge du covid-19. « Il estime que les résultats de l’étude menée au sein de l’institut hospitalo-universitaire de Marseille doivent être considérés avec prudence en raison de certaines de ses faiblesses et justifient, du fait de son très faible niveau de preuve, la poursuite de la recherche clinique » analyse le Conseil d’Etat.
5 L’action du Premier ministre. Par un décret du 25 mars 2020 il a pris différentes mesures. Il autorise notamment, sous la responsabilité d’un médecin, la prescription, la dispensation et l’administration de l’hydroxychloroquine aux patients atteints par le covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile. Il précise que ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans le respect des recommandations du HCSP. Il charge d’autre part l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé d’élaborer un protocole d’utilisation thérapeutique à l’attention des professionnels de santé et d’établir les modalités d’une information adaptée à l’attention des patients. Et il encadre la dispensation par les pharmacies d’officine de la spécialité pharmaceutique Plaquenil, dans le respect des indications de son autorisation de mise sur le marché à une prescription initiale émanant de spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie, ou au renouvellement d’une prescription émanant de tout médecin. En dernier lieu, il interdit l’exportation du Plaquenil par les grossistes-répartiteurs.
6 Les insuffisances méthodologiques. « En premier lieu, tout d’abord, il résulte de l’instruction que les études à ce jour disponibles souffrent d’insuffisances méthodologiques, tacle le Conseil d’Etat. En particulier, l’étude observationnelle menée à l’institut hospitalo-universitaire de Marseille, qui a permis de constater une diminution ou une disparition de la charge virale pour treize patients après six jours de traitement, portait sur vingt-six patients, dont six n’ont pas été analysés – trois ayant été admis en réanimation, un étant décédé et deux ayant arrêté le traitement dont un en raison d’effets indésirables – et ne comportait pas de groupe témoin comparable. »
Il ajoute : « L’existence d’une différence significative n’a pas été confirmée par les résultats, très récemment diffusés, d’une autre étude, réalisée en Chine du 6 au 25 février 2020 et portant sur trente patients hospitalisés présentant une forme modérée de la maladie, qui relève que treize des quinze patients auxquels étaient administrée de l’hydroxychloroquine avaient une charge virale négative au septième jour, pour quatorze des quinze patients du groupe témoin. »
Plus grave : « En outre, ces études ne permettent pas de conclure à l’efficacité clinique de l’hydroxychloroquine. Or, l’essai clinique européen ‘’Discovery’’, dont les premiers résultats seront connus dans une dizaine de jours et qui doit inclure, ainsi que l’a indiqué à l’audience le représentant du ministre des Solidarités et de la Santé, des patients pour lesquels le traitement est initié suffisamment tôt pour apprécier l’incidence de la molécule sur l’évolution de la maladie, permettra de recueillir des résultats plus significatifs. »
Sans oublier : « Ensuite, si l’usage de cette molécule est bien documenté, il peut provoquer des hypoglycémies sévères et entraîner des anomalies ou une irrégularité du rythme cardiaque susceptibles d’engager le pronostic vital et il présente des risques importants en cas d’interaction médicamenteuse. Son administration, si elle peut être le fait de médecins de ville, suppose ainsi non seulement le respect de précautions particulières mais également un suivi spécifique des patients, notamment sur le plan cardiaque ».
Et, pour finir : « Enfin, compte tenu des espoirs suscités par les premiers résultats rendus publics par l’équipe de Marseille, une forte augmentation des ventes de Plaquenil en pharmacie d’officine a été enregistrée, faisant apparaître des tensions dans l’approvisionnement de certaines officines et des difficultés à se la procurer pour les patients ayant besoin de cette spécialité dans les indications de son autorisation de mise sur le marché. »
7 Le jugement. Au terme de son travail, et au vu de l’ensemble des données aujourd’hui disponibles le Conseil d’Etat statuant au contentieux, juge, dans son ordonnance (N° 439726), que le choix des mesures prises par l’exécutif ne peut être regardé, « en l’état de l’instruction, comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie et au droit de recevoir, sous réserve de son consentement libre et éclairé, les traitements et les soins appropriés à son état de santé, tels qu’appréciés par le médecin. »
Peut-on, ici, véritablement parler de « blanc-seing » donné par les juges du Conseil d’Etat au gouvernement ? Il nous faut désormais attendre le jugement du Pr Didier Raoult qui, non sans arguments, dénonce désormais haut et fort la « dictature morale » des méthodologistes.
A demain @jynau
Je lis à l’instant sur le site de l’Inserm à propos de Discovery :
« Un essai clinique européen destiné à évaluer quatre traitements expérimentaux contre le Covid-19 démarre aujourd’hui. Coordonné par l’Inserm dans le cadre du consortium Reacting, cet essai inclura au moins 800 patients français atteints de formes sévères du COVID-19. »
Cet essai concerne-t-il des patients graves ou des patients « pour lesquels le traitement est initié suffisamment tôt pour apprécier l’incidence de la molécule » ?
Exactement. Raoult (et son équipe) sont très clairs là dessus: dépistage et traitement dès que possible, peu d’effets à espérer en fin d’évolution… Au bout du compte c’est toujours le même dilemme: qu’est-ce-qui justifie(rait) d’empêcher le recours à une combinaison de médicaments qui n’ont pas d’effets toxiques si le patient l’accepte en connaissance de cause? Je trouve qu’il y a une frappante ressemblance avec le déni des bénéfices de la vape, l’exigence de preuves sur le long terme et la volonté d’empêcher des adultes de vaper. Même mépris (de classe?) envers les ‘usagers’. Relire les récentes analyses d’Emmanuel Todd.