Le journaliste Henri Tincq, 74 ans, grand spécialiste des questions religieuses est mort

Notre confrère et ami Henri Tincq est mort du Covid-19, à l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges, le 29 mars. Il était âgé de 74 ans. Spécialiste reconnu des «informations religieuses», il avait d’abord travaillé à La Croix avant de rejoindre Le Monde où il exerça de 1985 à 2008, puis de rejoindre Slate.

Licencié en lettres modernes, diplômé de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille et de l’Institut d’études politiques de Paris, auteur de nombreux ouvrages de référence, c’était un fin connaisseur du catholicisme et des autres cultes. Il avait présidé, de 1994 à 1999, l’Association des journalistes de l’information religieuse. C’était, en résumé, comme le rappelle aujourd’hui La Croix, «une grande plume de l’information religieuse».

On lira, dans Le Monde, sous la plume de Robert Solé, ce qu’il en fut de son parcours, de ses convictions, de ses combat. « Je garderai de lui l’image d’un modèle de journalisme: se tenant toujours humblement au plus près des faits, et en même temps capable de se mettre à bonne distance des événements, des institutions, fussent-elles aussi puissantes que le Vatican, et des hommes, pour nous livrer sans forfanterie ni excès de mise en scène des analyses éclairantes pour décrypter l’histoire au présent » écrit Jean-Marie Colombani, directeur de Slate, ancien directeur du Monde.

On ajoutera ici, pour avoir, avec quelques confrères, appris à le connaître, depuis Le Monde de la rue des Italiens jusqu’à la rue Sainte-Anne de Slate, qu’Henri Tincq n’était pas que cet infatigable et incollable «rubricard religions» qu’il aimait tant montrer. Ce confrère était, en vérité, pleinement animé par la passion du journalisme intégral, la passion de la pédagogie, de la traduction, de la transmission. Voir de ses propres yeux, rapporter au mieux, partager toujours. Et ce qu’il s’agisse des vertus, indépassables à ses yeux, de son Racing Club de Lens natal, du football en général, de la vie et de l’œuvre de Jean-Marie Lustiger ou des impasses mortelles auxquelles conduisent, au nom de tel ou tel dieu, les nouvelles formes d’intégrismes et de radicalisations.

La vérité, aussi, est que «Monseigneur» (l’un de ses surnoms de la rue des Italiens où l’on se moquait volontiers du «sabre et du goupillon») pouvait être un adorable camarade de reportage doublé d’un caractère parfois ombrageux. Pour avoir, avec lui, interviewé plusieurs hauts responsables religieux sur les questions relatives à l’éthique médicale, nous gardons le souvenir d’une rigueur sans faille, de colères rentrées, d’une volonté acharnée de débattre pour coûte que coûte, l’emporter sur le terrain de la foi et des idées.

Les nouvelles équations auxquelles sont aujourd’hui confrontées les religions

Et nous gardons aussi le souvenir d’un immense appétit: chercher sans cesse à comprendre ce qu’il ne maîtrisait pas. S’informer sur les avancées continuelles de la médecine quand cette dernière s’approche dangereusement de la religion –qu’il s’agisse de la conception in vitro des êtres humains ou de leur disparition. Nous gardons ainsi le souvenir de dizaines d’heures passées à débattre des responsabilités du Vatican dans le maintien de ses interdits définitifs sur l’usage du préservatif, alors même que progressait l’épidémie de sida.

D’innombrables échanges, encore, sur les avis les plus pointus du Comité national consultatif d’éthique, sur les conséquences de la procréation médicalement assistée et de son extension annoncée «à toutes les femmes», ou sur celle du développement de la pratique marchande de la «gestation pour autrui». Sur les insuffisances criantes des soins palliatifs en France ou sur la tragique affaire Vincent Lambert.

Il s’agissait alors, à ses yeux, de bien saisir tous les paramètres des nouvelles équations auxquelles sont aujourd’hui confrontées les religions –la catholique au tout premier chef. Puis il lui fallut, plus récemment, parvenir à prendre la pleine mesure, les raisons et les conséquences du séisme que traverse cette Église confrontée aux scandales de pédophilie.

On peut, pour prendre la mesure de ce qui fut pour lui, une forme de chemin de croix, relire l’attaque de son dernier papier pour Slate: «On a beau dérouler, comme je le fais en journaliste depuis vingt ans, le tapis malodorant des agressions sexuelles dans l’Église, je me disais, en apprenant la nouvelle ce samedi 22 février: pas lui, pas ça! Pas Jean Vanier, sanctifié de son vivant, enterré il y a moins d’un an dans les odeurs d’encens, célébré en France comme au Canada, dont le père fut gouverneur général à Paris.»

Un papier où ce grand pudique osait ainsi, publiquement, se confier sur ce douloureux affrontement avec une réalité insupportable trop longtemps et trop bien cachée. Nous garderons en mémoire, aussi, cette confidence.

A demain @jynau

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