Hydroxychloroquine : Emmanuel Macron ajoute dangereusement à la confusion générale

Bonjour

10/04/2020. Pendant l’épidémie le spectacle continue. Et, brutalement, s’accélère. Nouveau point d’orgue, le 9 avril, avec un étonnant mélange des genres : la visite surprise, scénarisée et amplement médiatisée du président  de la République au Pr Didier Raoult, directeur controversé de l’IHU-Méditerranée de Marseille – une personnalité désormais vivement critiquée par le Conseil scientifique du gouvernement constitué à la demande du président de la République.

Quelques heures avant la visite présidentielle le Pr Didier Raoult répliquait à ses détracteurs via une vidéo diffusée sur Internet. Il y évoquait une nouvelle publication à venir, de taille, sur ses travaux. Dans l’après-midi il communiquait de vive voix ses résultats au président et les publiait sur son site :

« Early treatment of 1061 COVID-19 patients with hydroxychloroquine and azithromycin, Marseille, France » [Précisions des auteurs : « La première version de notre article sur les 1061 patients qui ont été traités entièrement par hydroxychloroquine et azithromycine est terminée. Vous verrez dans les résultats que la mortalité est de l’ordre de 0,5% et que le taux de guérison est extrêmement élevé. Ce traitement a déjà été utilisé par d’autres services de l’AP-HM, avec des résultats comparables, indépendamment de notre équipe. Nous mettons en pré-publication le résumé de cet article en anglais et un tableau qui résume l’ensemble de nos données pour que ceci puisse servir éventuellement à des décisions politiques ».]

Pour autant, un millier de patients ou pas, le problème de fond demeure : comme les précédentes cette nouvelle étude nourrira les mêmes critiques que les précédentes  comporte différents un biais dont un est majeur : l’absence de « groupe contrôle ». Impossible, donc, de  démontrer que l’objectif visé est atteint. Et ce d’autant que la plupart des gens infectés par le virus du Covid-19 guérissent spontanément, sans aucun traitement. Sans groupe contrôle, rien ne permet de conclure quant à l’efficacité de l’association hydroxychloroquine – azithromycine. Et ce d’autant que 95 % des patients inclus étaient jugés «à faible risque de développer des complications».

Nous nous retrouvons, ce 10 avril 2020, devant le même dilemme. 1 Non le Pr Didier Raoult n’a donc nullement prouvé ce qu’il affirme depuis désormais plusieurs semaines. 2 Non ses données ne disent pas non plus que la chloroquine n’a aucun effet. La conclusion, en théorie, est simple : il faudra attendre les résultats d’autres études, à commencer par le grand essai européen « Discovery » pour en savoir plus. Or cet essai ne reprend pas la méthodologie marseillaise : s’ils sont négatifs quant à l’hydroxychloroquine le Pr Didier Raoult pourra toujours afficher qu’il est dans la vérité thérapeutique, et continuer à se gausser de ses détracteurs.

Impasses méthodologiques et personnelles

Mais il nous faut aussi compter, désormais, avec une autre dimension, politique. On fait valoir, au Palais de l’Elysée, que la visite d’Emmanuel Macron chez le Pr Didier Raoult n’avait nullement pour objectif de « légitimer » la proposition thérapeutique de ce dernier. C’est heureux : on garde en mémoire les pays où le tout-puissant pouvoir exécutif validait, ou pas, les résultats scientifiques des savants du régime. Non cette visite n’avait qu’un seul but affiché : démontrer à tous que le président de la République s’intéresse et se documente sur ce que font les chercheurs de France.

Qui pourrait, de fait, reprocher à Emmanuel Macron de se passionner pour ce sujet ? Mais comment, en même temps, pourrait-on céder à la naïveté, ne pas saisir les bénéfices recherchés d’une telle visite ? Comment, non plus, ne pas observer et mesurer tous les dangers d’un tel mélange entre le politique et le médico-scientifique ; un mélange entre une évaluation raisonnée des bénéfices thérapeutiques et l’urgence des décisions politiques en période de crise épidémique majeure.

En créant un « Conseil scientifique » ad hoc en charge de l’éclairer quant à la lutte contre l’épidémie (puis en acceptant que ses avis soient rendus publics) le président de la République avait, dans l’urgence, fait œuvre utile : articuler l’analyse scientifique et la gestion politique. Invité à y siéger le Pr Didier Raoult avait très vite (pour des raisons qui restent à élucider) choisi d’en claquer brutalement la porte. Les relations n’ont, depuis, cessé de se dégrader. Or Les Echos nous apprennent aujourd’hui qu’Olivier Véran, ministre de la Santé a demandé à ce que les derniers résultats marseillais soient analysés par ce « Conseil scientifique ». Et après ? Comment sortir de ces impasses méthodologiques et personnelles ?  

Au-delà des éléments de langage de l’Elysée, la réalité est que cette visite présidentielle aura pour effet, dans l’opinion, de cautionner le traitement préconisé par le Pr Raoult. Et ce dans une France soudain partagée en deux sur  un sujet dont elle ignorait tout il y a quelques semaines. Et, en cautionnant ce traitement, d’augmenter tous les risques que le gouvernement avait, précisément, cherché à prévenir ces dernières semaines – à commencer par celui des dangers majeurs inhérents à l’automédication.

Emmanuel Macron, ici, fait un triple pari : scientifique, médical et politique. Pour l’heure, à la veille d’une nouvelle allocution solennelle où il reformulera que nous sommes « en guerre »,  il désavoue de fait nombre de ses conseillers et une partie de son gouvernement – et ajoute dangereusement à la confusion générale.

A demain @jynau

3 réflexions sur “Hydroxychloroquine : Emmanuel Macron ajoute dangereusement à la confusion générale

  1. Grand merci pour cette synthèse médicale et politique qui est la bienvenue dans tout ce micmac !!! (Evidemment …. je la partage)

  2. « Nous mettons en pré-publication le résumé de cet article en anglais et un tableau qui résume l’ensemble de nos données pour que ceci puisse servir éventuellement à des décisions politiques » »

    C’est le même type de conception de l’information médicale que ce que l’on reproche à Bigpharma.
    L’intérêt des sponsors et trop souvent des auteurs étant que seul le résumé soit lu. Et surtout pas matériel méthodes résultats détaillés.
    Ça c’est de la publicité de la propagande.
    Attendons de voir les détails curieux cette communication basée sur YouTube est Internet.

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