Bonjour
06/07/2020. On les avait oublié. Ils savent se faire entendre. Un de leur « rapport interne » a « fuité ». Et l’affaire, depuis deux jours, fait grand bruit. C’est une exclusivité du Parisien (Damien Delseny et Jean-Michel Décugis) : « Covid-19 : le rapport choc des pompiers sur la gestion de la pandémie ». « Dans un rapport au vitriol publié par Le Parisien, la Fédération nationale des sapeurs-pompiers dénonce une gestion catastrophique de la crise sanitaire du Covid-19 en France, résument Les Echos. L’action du ministère de la Santé est particulièrement critiquée, tout comme le rôle des préfets. »
Vitriol et lance-flammes. Dans la synthèse d’un « retour d’expérience » (Retex) que Le Parisien – Aujourd’hui-en-France s’est procurée avant sa transmission au ministère de l’Intérieur, la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France dresse un constat très critique de la gestion d la pandémie.
Premières cibles des soldats du feu : les structures administratives du ministère de la Santé « lourdes et rigides », les célèbres Agences régionales de santé (ARS) et le Samu. Sollicité par Le Parisien le colonel Grégory Allione, président la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, précise qu’il s’agit d’un document de travail qui n’était pas destiné « à fuiter dans la presse ». Pour autant, il confirme le sentiment « d’un sous-emploi et d’une absence de prise en compte des capacités opérationnelles » de ses collègues au plus fort de la crise.
« Les pompiers c’est une force de 250 000 personnes réparties dans 7000 casernes sur tout le territoire. Nous sommes rompus à la gestion de tous les événements. On a fait face au A(H1N1), à la grippe aviaire, aux accidents industriels, aux attentats… A chaque fois, on s’adapte, et là le mot d’ordre c’était tout sauf les pompiers. Nous avons tendu la main à des administration qui n’ont pas l’habitude de gérer des situations de crise. Rien dans leur organisation et leur culture ne les prédisposaient à assurer ce rôle. On ne demande pas à des musiciens qui ne répètent pas des gammes quotidiennement de jouer un concert. »
« Pour être efficace la gestion d’une crise d’ampleur doit mobiliser un directeur unique, un commandant des opérations unique et des conseillers techniques. » Principes « bafoués » souligne le rapport le rapport qui rappelle que dans un premier temps c’est la Direction générale de la santé qui a piloté la réponse de l’Etat avant que le ministère de l’Intérieur ne rejoigne le dispositif.
Et puis cette phrase, terrible : « On a confié le rôle de commandant de crise à des conseillers techniques », regrette les pompiers. D’où, selon eux, un « travail en silo des administrations, un brouillage des décisions stratégiques ». Le rapport souligne aussi l’installation tardive du centre interministériel de crise le 17 mars rappelant que les « trois premiers cas recensés en métropole dataient du 24 janvier ».
Ministère de la Santé versus ministère de l’Intérieur
Cette « lourdeur » dénoncée trouve selon les pompiers sa manifestation concrète dans le rôle joué par les ARS : « Elles ont répondu à ce pour quoi elles avaient été conçues : une administration de gestion comptable et financière du système de santé, mais aucunement préparées à la gestion des situations d’urgence. » Conclusion des pompiers, « plutôt qu’une crise sanitaire, cette crise a surtout été celle du leadership de la communication ». conduisant à l’incompréhension des « acteurs de terrains, pompiers mais aussi médecins généralistes ».
Et puis ce mot, pour qualifier les évacuations amplement médiatisées des malades par TGV « de l’esbroufe ». Les pompiers, dans leur Retex : « Pures opérations de communication et véritable esbroufe : était-il efficace de faire faire des centaines de kilomètres aux victimes alors que souvent il y avait de la place dans la clinique d’en face? ».
Et cette autre claque : « Le 15 a montré son vrai visage : celui d’un numéro de renseignement, pas d’un numéro d’urgence. » Pendant la crise du coronavirus le rapport estime que « la décision du gouvernement d’orienter vers le 15 les appels des citoyens connaissant un doute sur leur état de santé a eu pour conséquences immédiates de saturer la réception et la régulation des appels ». « Des requérants non-Covid en situation d’urgence vitale n’ont jamais eu de réponse et sont morts dans l’indifférence générale. Un vrai scandale!»
On découvre encore « les préfets relégués au second plan en raison d’une absence de dialogue avec les ARS », les « instructions ont été données aux ARS locales et aux directeurs d’hôpitaux de mettre un terme à toutes communications avec les préfets, privant ces derniers des informations nécessaires à la coordination des opérations de secours ». Sans oublier « l’oubli des Ehpad laissant seules les collectivités territoriales face aux décès en nombre de nos aînés ».
Conséquece : le Retex des pompiers dresse fort utilement une liste de propositions pour « revoir notre modèle de gestion de crise » qui placerait, selon eux, le ministère de l’Intérieur comme « responsable de la conduite opérationnelle des crises ». Faire confiance aux acteurs de terrain et de proximité. « Toutes les leçons doivent être tirées du succès de la gestion du déconfinement dont les préfets et les maires ont été les pivots. »
La charge ne pouvait être sans réponse. Le ministère des Solidarités et de la Santé a aussitôt réagi en jetant un peu plus d’huile sur le feu. Il estime que ce rapport (qui n’aurait jamais dû « fuiter ») « s’apparente plus à une plate -forme de revendication qu’à un retour d’expérience » (sic). Et ce même ministère « regrette qu’une crise comme celle du Covid et la très forte coopération de toutes les forces vives soient instrumentalisées pour refaire vivre le match des pompiers contre le Samu ». C’est un peu court de même que l’on pourra juger quelque peu déplacée l’utilisation qui est faite, ici, par l’exécutif du terme « match ». Peut-être est-ce une référence au partage des pouvoirs qui oppose le ministère de l’Intérieur à celui de la Santé.
La Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France sera-t-elle entendue par la Commission d’enquête des députés sur la gestion de l’épidémie ? On peut l’espérer.
A demain @jynau