Bonjour
22/07/2020. Un vote que l’on aurait jadis qualifié de soviétique. Unanimité absolue, trop belle pour ne pas interroger. Dans un dernier votre au Sénat, le Parlement a adopté définitivement, mardi 22 juillet, la proposition de loi destinée à mieux « protéger les victimes de violences conjugales »– et ce en introduisant notamment une exception au secret médical en cas de « danger immédiat ». Déjà approuvée la semaine dernière par l’Assemblée nationale ce texte de loi autorise dorénavant le médecin ou tout autre professionnel de santé à déroger au secret professionnel – et ce lorsqu’il « estime en conscience » que les violences mettent la vie de la victime « en danger immédiat » et qu’il y a situation d’emprise.
Contexte 1 : cette loi constitue le deuxième volet législatif, en quelques mois, d’un arsenal ouvertement offensif et qui a fait l’objet d’un accord sans difficultés majeures entre députés et sénateurs en commission mixte paritaire (quand bien même des élus comme des associations souhaiteraient aller plus loin). Il fait suite au « Grenelle des violences conjugales » piloté à l’automne 2019 par Marlène Schiappa, alors secrétaire d’Etat à l’égalité femmes-hommes et à la lutte contre les discriminations.
Le texte alourdit d’autre part les peines en cas de harcèlement au sein du couple, les portant à dix ans d’emprisonnement lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider. Il réprime la géolocalisation d’une personne sans son consentement et crée une circonstance aggravante en cas de violation du secret des correspondances par un conjoint ou ex-conjoint, pour mieux lutter contre les « cyberviolences conjugales ».
Contexte 2 : cette adoption définitive du 2e volet législatif s’inscrit dans un contexte polémique après la double nomination comme ministre de l’Intérieur de Gérald Darmanin, visé par une plainte pour viol 1, et d’Eric Dupond-Moretti, très critique envers le mouvement #metoo, à la justice. C’est ainsi que dans la « bronca des féministes », la sénatrice PS Laurence Rossignol (ex-ministre des droits des femmes) a dénoncé « une grande claque lancée à toutes les femmes et à toutes les victimes de violences sexuelles et sexistes ». Cette « claque » sera-t-elle suivie de plaintes ?
Y avait-il un danger à modifier les dispositions relatives au secret médical et à sa possible levée ? Etrangement l’Ordre des médecins ne le pense pas qui a donné son feu vert au Parlement. Pour autant il faut sur ce sujet lire la tribune publiée (un peu tard) dans Le Monde et signé par Anne-Marie Curat, présidente du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes : « Violences conjugales : ‘’Lever le secret médical sans accord contribuerait à la perte d’autonomie de la patiente’’ ». « Cette mesure, prévue pour les cas d’emprise et de danger immédiat, revient à positionner le soignant en sauveur alors qu’il doit éclairer le consentement de la victime » dénonce-t-elle.
« Rompre le lien de confiance et ne pas respecter le choix des femmes »
Sur le constat, aucune divergence : les violences conjugales sont un fléau. Chaque année, en France, plus de 120 femmes meurent sous les coups de leurs conjoints. La lutte contre les violences conjugales est une question sociétale et de santé publique qui appelle une réponse politique cohérente. Et la place des professionnels de santé est déterminante au quotidien pour dépister et accompagner ces femmes.
« Mais peuvent-ils agir à leur place, interroge Mme Curat. Cette question est essentielle : elle définit la relation de soin et l’autonomie des femmes. Or, la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugalesremet en cause cet équilibre fragile. ‘’Il n’y a pas de soins sans confidences, de confidences sans confiance, de confiance sans secret’’, affirme Bernard Hœrni, professeur émérite de cancérologie à l’université de Bordeaux et auteur de plusieurs ouvrages sur l’éthique médicale. »
Faudrait-il encore rappeler que le secret médical est un droit fondamental « pour les patients », et un fondement essentiel du soin qui permet d’établir la confiance entre le patient et le professionnel de santé ? Et que sa levée (aujourd’hui strictement définie) doit donc absolument rester strictement encadrée et limitée.
« La relation patient-soignant doit être équilibrée et fondée sur la confiance. Le professionnel de santé ne doit pas décider pour le patient en omniscient, mais éclairer le consentement du patient et le conseiller sans jugement, écrit encore Mme Curat. Laloi Kouchner du 4 mars 2002, sur ce sujet, a été une avancée majeure. Ne retombons pas dans un modèle paternaliste du soin. Maintenir le secret médical est essentiel pour que les femmes puissent continuer à se confier aux soignants, mais aussi à consulter les professionnels de santé. »
Mme Curat le dit autrement : « Lever le secret médical en cas de violences conjugales sans accord de la patiente, c’est donc rompre le lien de confiance et ne pas respecter le choix des femmes. C’est considérer la femme comme incapable et positionner le soignant en sauveur. Une telle mesure contribue à la perte d’estime de soi et d’autonomie de la femme, alors que c’est notamment là l’objectif de l’homme violent. »
De plus la levée du secret médical sans le consentement peut être dangereuse : aujourd’hui, après un signalement effectué au procureur, si la femme nie les faits, le dossier est classé. Cette dernière se retrouve ainsi sans protection, tandis que l’auteur des violences est, lui, alerté et pourra se retourner contre la femme. C’est pourquoi le Conseil national de l’ordre des sages-femmes s’opposait à la proposition de loi actuellement étudiée au Sénatde lever le secret médical « en cas d’emprise et de danger immédiat ». Le Parlement, nourri de clichés et de bonnes intentions, en a décidé autrement. Au grand bénéfice des hommes devenus (pourquoi ?) violents…
A demain @jynau
1 Sur ce thème on lira non sans délectation un échange journalistique d’une violence toute masculine : « Je ne soutiens pas Monsieur Darmanin, quoi qu’en écrive Monsieur Schneidermann » de Claude Askolovitch (Slate.fr, 21 juillet 2020) – mais seulement après avoir pris connaissance de « Gérald Darmanin et ses soutiens » de Daniel Schneidermann (Libération 19 juillet 2020).
Ajoutons à cela que sachant qu’elles ne peuvent plus faire confiance à leur médecin, les femmes dans de telles situations vont encore plus camoufler ce qu’elles vivent et s’isoler davantage.
Donc on a des personnes en danger, qui vont être mises au pied du mur méme si elle ne sont pas prête à franchir le pas (les raisons peuvent être très nombreuses à cela et surtout parfaitement légitimes). Ok, mais est-ce que l’Etat va vraiment les aider à se sortir d’une situation mortifère ? Parce que ce qui est marqué sur les papiers est une chose, ce qui se passe sur le terrain en est une toute autre ! Je ne connais pas très bien cette problématique, un peu mieux celle de l’enfance en danger, et si ça se passe de la même manière, on va vers un grand n’importe quoi où des mots pleins de bonnes intentions vont concrètement faire de la vie de nombreuses personnes un enfer encore plus grand que ce qu’elles connaissaient déjà.
Et il ne faut pas oublier qu’au-delà des lois, ce sont les humains qui les appliquent, humains bourrés de biais et de préjugés. Ces humains seront-ils mieux formés ? Si la situation est semblable à la protection de l’enfance actuellement en France, il ne reste plus qu’à souhaiter bon courage et surtout bonne chance aux femmes maltraitées ! Moi je vais aller pleurer.
Est-il médicalement possible de dénoncer à la justice une personne qu’une patiente dit responsable des atteintes qu’elle dit subir ?
Le médecin n’est jamais témoin des faits délictueux eux-mêmes, il ne peut qu’être le transmetteur d’un récit fait par quelqu’un d’autre.
Le devoir de venir en aide à personne en danger s’impose à lui.
Le risque d’accusation calomnieuse par une personne incriminée sans preuve objective lui pend au nez.
Quant à dénoncer un tiers sans le consentement d’un patient, c’est casser définitivement tout processus de soin dans la continuité indispensable.
Cette levée du secret médical est une disposition perverse pour les médecins eux-mêmes. Ils sauront bien le percevoir et la loi ne sera pas appliquée. Une de plus !